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EAN : 9782070179282
208 pages
Gallimard (02/05/2016)
3.88/5   106 notes
Résumé :
«J’ai touché l’immense en peu d’espace, l’épuisement du corps et l’énergie absorbée par un fruit cru de mer. J’étais une chose de la nature exposée à la saison. Je donnais le nom de l’île à cette liberté. Si je ne suis pas une strate jaune de sa croûte craquelée, fendue par les vignes qui la forent, si des chardons ne poussent pas de mes yeux, si je ne rêve pas la nuit comme un rocher balancé par des bradyséismes, je ne pourrai pas apprendre.»
Ischia, Naples,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Du temps où il s'appelait encore Harry, le jeune De Luca s'était senti terriblement inspiré lors d'une rédaction sur les animaux. Une incroyable fougue fourmillait dans ses doigts, fournie par une imagination soudaine. Il fut accusé de plagiat et, de ce jour, une fissure dans la confiance envers les autorités s'insinua en lui. Il opposa au maître injuste la rébellion du silence. Il ne se défendit pas, il n'en pensa pas moins.

Ceci constitue le premier fragment des nombreux qui pavent la vie de l'écrivain italien. Bouleversé par la révolte de la jeunesse à partir de mai 1968 (il avait 18 ans), il se reconnut dans les revendications estudiantines et les luttes sociales de l'époque. Particulièrement aux Etats-Unis où les jeunes appelaient à la résistance contre la guerre au Vietnam, où Bob Dylan écrivait des chansons contestataires, où Angela Davis et les Black Panthers manifestaient pour les droits civiques de tous. « Sous cette pression, des réformes avaient lieu et aussi des tentatives opposées, des tentations de coups d'Etat militaires… du reste, l'Italie était la seule démocratie provisoire dans une Méditerranée de fascismes : Espagne, Grèce, Turquie » (p. 17).

Il doit l'amour des livres à ses parents, à son père surtout qui les achetait par kilos, pour qui ils étaient un dérivatif aux tomates et aux fruits qu'il cultivait durant la journée. Harry vivait dans une « chambre de papier », il a attrapé le virus de la lecture d'abord, de l'écriture ensuite. Il achetait les livres sur le trottoir, auprès de marchands ambulants, et il comptait 200 pas pour savoir s'il terminerait le livre ou s'il finirait dans une poubelle. Un jour, il tomba sur « Voyage au bout de la nuit ». Il reconnut immédiatement en Céline une acidité semblable à la sienne, une intensité identique. Il garda le livre.

Il fut ouvrier pendant vingt ans, expérimentant divers métiers dans lesquels, comme les autres, il vendait la « force de son travail ». Maçon, il connut l'épuisement sous le soleil qui casse le dos plus sûrement que les pierres. de Naples, il monta à Turin, ouvrier d'usine chez Fiat où il apprit à rester debout et à se concentrer sur les machines « qui ne pardonnent pas la moindre inattention », usine d'où il est expulsé suite à une grève mémorable. Il vint ensuite à Paris, embauché lors de la destruction du stade de Colombes. Il vécut là une expérience de fraternité incroyable quand, sans ressources et sans logement, alors que le patron refuse de payer les salaires, il occupe les bureaux avec cinq musulmans. Au moment de Noël, ils lui firent la surprise d'un petit repas de fête.

Les pages de résistance sont entrecoupées de tendresse à travers le souvenir de ce père qui, voyant son enfant unique pris dans les remous de la rébellion, s'intéressa de près à ses revendications « pour réduire la distance », ce père qui lui communiqua l'amour de la montagne. Il fait le deuil de son père à travers les livres qu'il écrit et les montagnes qu'il gravit. Par des pages consacrées à sa mère aussi et au plat préféré qu'elle faisait lors de ses retours. Il fait le deuil de sa mère en ne mangeant plus jamais d'aubergines à la parmesane.

Voilà Erri de Luca. Il raconte comment les choses se sont passées, simplement, sans en rajouter, et la sensibilité du lecteur fait le reste car, pour l'auteur un livre n'est pas un produit fini, c'est au lecteur de l'achever en l'associant ou non à son existence. Chacun peut calquer des souvenirs personnels sur les siens, revivre des rappels photographiques de lieux, d'événements, d'anecdotes, d'expressions. Pour lui, l'écriture est une issue à tous ses verrouillages.

Des Trois Mousquetaires que sa mère lui lisait pendant sa poussée de scarlatine jusqu'à la Montagne magique qu'il parcourait dans le bus qui le ramenait de ses longues journées de travail, il a gardé une exigence, que le livre le porte car « s'il se hasarde à me demander de le porter, d'ajouter des misérables grammes aux quintaux de la journée, alors va-t'en au diable, livre, je ne suis pas ton porteur ».

Quant à la Bible dont il lit chaque jour quelques lignes, il apprit l'hébreu pour être plus en phase avec le texte original et le yiddish parce qu'il ressemble dans ses accents vifs et secs au napolitain qui lui est si cher.

Tous ces épisodes de vie ont été écrits au moment d'un procès pour incitation au sabotage qui opposa Erri de Luca aux dirigeants de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Il a été relaxé mais durant le temps du procès, il était sans cesse interrompu et ne parvenait pas à écrire un roman. Il se décida à transcrire ses souvenirs familiaux, intimes, de luttes sociales, d'événements du monde, comme la guerre en Tchécoslovaquie, comme ces guerres modernes qui tuent toujours davantage de civils, de ses convictions d'égalité et de liberté pour tout individu nonobstant sa race ou sa religion.

Toujours avec autant de simplicité et d'humanité.



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Erri de Luca, emprunte à l'art du lapidaire et du graveur pour faire naître ses trente quatre textes ramassés, denses qui pourtant se déploient à la lecture pour laisser sourdre une émotion profonde. Il évoque sobrement les moments intenses qui ont émaillé sa vie de l'enfance à l'âge adulte.
C'est dans sa peau qu'ils sont inscrits avant de l'être sur le papier. Ainsi en est-il de cette jouissance solaire qui jaillit après une escalade lors de vacances sur l'île d'Ischia :
"Un jour, j'ai pressé ma semence tout seul par pur bonheur de solitude du haut d'un rocher que j'avais escaladé. Fatigué par la nage, raidi par le froid, j'étais monté tout en haut, là où il y avait des épines, des lézards, des crottes de mouettes et où la terre brûlait. Je m'étendis sur l'aspérité du sol et je fus pris par la chaleur du soleil au-dessus de moi et celle du terrain surchauffé.
Ma respiration se fit plus profonde, mon sexe se dressa fier et joyeux et la semence roula dans la poussière à l'aveuglette.
J'ai touché l'immense en peu d'espace, l'épuisement du corps et l'énergie absorbée par un fruit de mer." p 81

Il connaîtra un autre épuisement du corps à l'âge adulte quand il trimera avec d'autres dans les chantiers où la peur et le courage se côtoieront : "Une fois adulte, quand j'ai exercé des métiers manuels, j'ai appris quel genre de charge le soleil ajoute au dos de celui qui travaille dessous, combien il pèse sur l'effort et la durée de son passage du matin au soir. le soleil est un lest sur le corps d'un ouvrier courbé sur la terre et la mer."

De très belles pages sont consacrées bien sûr aux livres liés à l'évocation de ses parents qui tous les deux lisaient avec passion, à Naples, à la cuisine (son plat préféré, les aubergines à la parmesane qu'il s'abstient de manger depuis la mort de sa mère), à l'escalade dans les Dolomites, aux belles rencontres telle cette femme :
"J'ai vu un de mes livres dans les mains d'une femme. Elle était assise dans une voiture du métro, ses doigts serraient les pages pour les maintenir immobiles,ils les tournaient délicatement.
(...) Mes pages ont de la chance dans les mains de la femme assise. J'ai eu aussitôt envie d'en écrire une pour l'ajouter à la fin de son livre.
(...) Prises et retenues, ces pages sont plus à elle maintenant que lorsqu'elles étaient miennes auparavant." p 109-111

Contraste tout au long du recueil, d'un texte à l'autre oscillant entre l'ombre et la lumière, la joie et la peine qui accompagne chaque moment d'une vie. Le plus et le moins est bien le titre qui convient à ce livre où leur auteur préfère nommer les années de plomb marquées par la lutte armée, les années de cuivre, fil conducteur de cette énergie qui permet de transformer et éclairer ce qui est enfoui au fond de soi.


Et ceci qui pourrait être la conclusion de cette belle suite de textes :
"Je pratique l'escalade et je sais qu'un sommet atteint exauce un désir autant qu'il l'épuise. Tandis qu'il le porte à son comble, il le vide aussi. le profit et la perte coïncident. C'est ce qui arrive aussi avec les livres et avec tant d'autres histoires. Il reste la cendre résiduelle d'une lecture, d'un désir, engrais du suivant." p 164
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Quand j'ai ouvert ce livre, j'ai eu l'impression de pénétrer dans un lieu qui ne m'était pas inconnu, un jardin verdoyant, un espace végétal dans lequel le vent fait murmurer les feuilles en les agitant, dans lequel l'ombre des ramures joue avec les rais du soleil pour chuchoter... Un lieu qui apaise, dans lequel la solitude se fait moins présence. Je me suis assise sur un banc, à l'ombre d'un olivier immobile, et j'ai écouté... A moins, qu'à l'invitation des phrases de l'écrivain, j'ai pu fouler le sable de l'île d'Ischia, chère à son coeur d'enfant, et senti le sel imprégner ma peau tandis que les mouettes criaient les mots des récits à lire...

Parce que lire ces textes d'Erri de Luca, c'est un peu comme une conversation sans questionnement. L'écrivain, par petites touches, comme il le fait parfois, se raconte, raconte les siens et l'Italie... le lecteur devient auditeur silencieux, il s'imprègne de cette vie qui se déroule pour lui, de ces idées débattues, de ces méditations, et surtout de ce regard permanent et curieux de l'Autre.
C'est un monologue tout en simplicité qui n'existe que pour cheminer autour de l'homme-écrivain, pour en dire un peu, pour en suggérer beaucoup...

Si, à certains passages, j'ai eu l'impression fugace d'une relecture, j'ai vite réalisé qu'il n'en était rien car Erri de Luca, toujours merveilleux conteur, relate un même évènement ou épisode de façon autre, un peu comme si le regard provenait d'un autre angle de la scène décrite, un peu comme si le lecteur revêtait l'apparence d'un autre personnage à chaque fois et qu'ainsi son point de vue soit déplacé, l'obligeant à se questionner à nouveau pour des faits similaires racontés d'un livre à l'autre.

Erri de Luca parle de l'enfance, de l'évolution de ce monde des découvertes vers celui de l'âge adulte souvent bien désespérant.

Il évoque ses parents, son départ en ligne de fuite pour faire de sa vie un engagement au services d'idées plus généreuses pour l'opprimé ou l'exclu, pour ne pas juste embrasser un chemin tout tracé. Il dit leur absence de jugement, leurs pas vers la compréhension, les bras ouverts quand viendra l'heure d'un retour vers eux...

Il se remémore les murs de livres qu'ont été ceux de sa chambre, livres de son père, livres qui en infusant en lui, même malgré lui, de par leur proximité, l'ont nourri, lui, l'homme adulte qui se défait de sa journée de labeur ouvrier en lisant, toujours et encore plus, debout dans le tram ou le bus qui le ramène vers la nuit qui l'attend. Lui pour qui la lecture permet de franchir une frontière, celle du monde de la peine et de la tâche vers celui du repos ou de l'étourdissement de l'homme harassé.

Il fait revivre les compagnons de lutte, ceux rencontrés et côtoyés pour inventer un monde plus juste et meilleur. Met en musique – et quelle musique ! - les actes et les repos en évoquant la personnalité de Bob Dylan, figure d'une génération dont il ne s'est pourtant jamais voulu l'incarnation, lui faisant don de mots chantés pour dire lui aussi, à sa manière, ses aspirations à l'autre bout du monde, loin d'une Italie en pleine effervescence. Bob Dylan, un des pointillés de cette révolte qui embrase les continents dans ces années...

Et il se fait conteur quand lui qui ne croit pas réécrit certains passages des évangiles d'une façon si humainement acceptable, quand il invite ce chien abandonné, image incarnée de tous ces humains sur le chemin d'un espoir qu'il n'atteindront jamais. Ce chien dont la vie est tout sauf vaine… et dont l'imaginaire tisse les moments de désespoir.

Bouleversant est le regard posé sur l'étranger, le différent, celui qui n'a pas la même couleur de peau, celui qui n'a pas la même religion, celui qui tente seulement de vivre sur un territoire où il n'est pas seulement le bienvenu... Bouleversante est cette solidarité, cette fraternité des exilés, entre ceux qui foulent pour le labeur un sol qui n'est pas le leur, acceptant d'être exploités...

Et sur ses actions qu'il minimise, en restant sur la bordure de leur réalité, pour expliquer son désir d'engagement là où la main tendue possède encore une existence et surtout la valeur incommensurable qu'elle devrait toujours représenter. Là où le sourire se fait trésor à partager, monnaie précieuse à dilapider sans compter...


Lire Erri de Luca est pour moi un besoin, une nécessité.
Avec lui, descend sur le lecteur un instant d'humanité, que souffle l'écrivain par sa personne et ses idées. Avec lui, un espoir ténu en l'Homme demeure, celui d'une générosité jamais assouvie qui pourrait être au lieu de cet égocentrisme qui construit les sociétés actuelles. Une réalité rêvée dans laquelle l'effacement et l'humilité seraient l'évidence, chassant ce besoin de briller et cette indifférence à l'Autre qui habitent nos civilisations choyées.

Et s'il ne restait qu'un juste, alors...
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Une dernière lecture... juste du pur bonheur !


J'ai encore trop peu lu cet auteur italien, atypique et franchement inclassable. Ce qui me réjouit ....
J'ai lu dernièrement de très beaux textes, d'une qualité littéraire indéniable...
mais si sombres !... que la prose d'Erri de Luca m'a transportée, emportée
dans un ailleurs transformé et positif... Et pourtant, il s'agit d'un ouvrier,
d'un manuel, d'un autodidacte qui parle du travail qui abîme le corps, et
laisse la personne dévastée, démunie... Et de tout cet épuisement, il y a
encore et toujours la Flamme, le combat, l'espoir d'un monde meilleur...
Et l'espoir de ce monde meilleur passe évidemment par la littérature et
la magie de l'écrit !

Il y a des mots littéralement magiques sur l'acte de lecture... j'adhère
totalement au bonheur des mots, à celui d'un homme qui a souffert de
tous les métiers physiques les plus durs, ayant su transcender toutes
les difficultés: sociales, intellectuelles... pour se créer, se frayer son
chemin, avec authenticité...
Il nous parle de son attachement filial à ses parents, à son père, qui lui a légué deux trésors: l'amour de la lecture et la passion de la montagne...

"S'ils avaient été des armes accrochées au mur, je serais devenu un
chasseur, mais c'étaient des livres, empilés jusqu'au plafond. Ils étaient autour de moi et tout contre moi. J'ai été un enfant, puis un jeune garçon à l'intérieur d'une chambre en papier. Mon père les achetait par kilos ,ils étaient son ailleurs, la distance entre lui et les tomates et les fruits au sirop, produits de son travail. Il rentrait le soir, se mettait dans un fauteuil, étendu sous un livre.
Ainsi, il se trouvait en plein air. (p. 70)"

Un ensemble de textes très personnels, qui offre un portrait très affiné d'Erri de Luca...qui nous le rende tellement proche et si attachant dans ses convictions et ses engagements passionnés...

"Les livres ne redoublent pas l'épaisseur des murs, ils l'annulent au contraire. A travers les pages, on voit dehors. "(p. 72)
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C'est difficile. Je ne me souviens pas avoir écrit ce livre. Non, je m'exprime mal. Je me souviens ne pas avoir écrit ce livre. Voilà la terrible vérité que j'affronterai. En écrivant cette phrase, en fait, je l'affronte déjà, avec courage. Et voilà aussi pourquoi j'ai tant aimé ces extraits de vie concentrés d'Erri de Luca. Mieux encore que l'espresso, du ristretto : c'est cela le plus et le moins.

Cet amour de la liberté, comme lui je l'ai et jusqu'à l'isolement. Mais j'ai vite su que ce livre n'était pas le mien. Je l'ai longuement et souvent caressé. Besoin viscéral, ce papier tendre au toucher et ces mots si familiers mais comment bien rassemblés. "Mon père, homme doux, [...] de ces livres, [...] j'ai reçu l'usage de l'effleurement." p.169 Je suis ému qu'il m'ouvre ainsi son album photo, simplement, pour moi, qu'il ne connaît même pas. Elles sont touchantes. J'ai souri, j'ai tremblé, j'ai coeuré. Il ne cache rien. Même pas celles où il est à nu. Non ce ne sont pas mes souvenirs, ses instantanés sont bien les siens.

Mon père à moi, m'a rapporté d'une bibliothèque, où il avait un accès privilégié, des livres de la collection de la pléiade en papier vélin. Je me souviens : quelle douceur. Et quel plaisir de tourner ces pages fragiles, délicatement. Ainsi j'ai découvert Guy de Maupassant. J'avais quinze ans ! Je n'ai jamais tenu de cahier, et depuis longtemps je ne regarde plus mes photos...

Puis tout soudain, au détour d'un autre chapitre, je me retrouve dans la cuisine de ma grand-mère. Il fait déjà noir, les lampes sont allumées, et sur le poêle au charbon que l'on voit rougeoyer mijotte depuis le matin un lapin aux pruneaux. A sept ans j'en captais toutes les odeurs. J'ai les bras écartés et tiens dans mes mains un fil de laine dévidé. Rouge bordeau, le fil et puis gris souris. Ma grand-mère accumule les pelotes. Je ris. Elle tricotais énormément ; le crochet aussi. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai cru comprendre qu'elle échappait ainsi à la conversation : "Tu vas me faire rater une maille !";) Pour la cuisine, elle mettait beaucoup de beurre et encore plus d'amour. Ah la puissance d'évocation de l'écriture d'Erri de Luca. Je ne peux vous promettre que la même magie opèrera sur vous, la myriade de citations m'enclin à l'optimisme et à vous le souhaiter.

Ce livre, qui n'est pas le mien, me porte à un douloureux questionnement. Et par la douleur, que je connais bien, je signifie exactement ce que lui dit pour la peur "Je sais que la peur rend impitoyable envers soi-même" p.137 Car ce n'est pas mon livre. Nous n'avons pas pris les mêmes "tickets sans retour". Moi, la voie du milieu dite de la sagesse. Lui, la voie des extrêmes, celle qui consiste à empoigner la vie des deux mains et faire corps avec elle comme il empoigne la roche dans l'escalade en montagne. Et toute cette matière, toute cette vie est l'essence de ce livre et en fait toute sa force. Magnifique cadeau qui je sais ne me tuera point et me rendra plus fort.

Ce livre fait grand bien et si je parais fort nostalgique c'est que fin de l'année dernière une personne m'a emmené découvrir de nouveaux sommets. Elle avait mal au dos, fatiguée, vidée. Je lui tendais la main, je voulais l'assurer la croyant fragile. Aujourd'hui je me rends compte que c'est moi qui l'étais. Je n'avais pas réalisé qu'à vouloir prolonger cet instant éphémère, elle finit en avril par le percevoir comme une entrave à sa liberté. Probablement elle me le signalait et je n'entendais pas. Ma main se tendait dans le vide, inutile. Lumineuse ascension, déprimante descente. Je sais que ces brefs mais intenses instants magiques tout comme les instants durs associés rien ne pourra vraiment me les effacer. Vient maintenant le prix de la liberté.

Je me souviens aussi lors d'un vol vers les Etats-Unis, il y a bien longtemps, ouvrir le magazine de la compagnie et tomber des nues devant cette phrase "La vie est plus belle quand on l'écrit soi-même !" signée Sophie Marceau. J'y repense souvent, à la phrase évidemment.^^ La version d'Erri de Lucas est plus explicite dans son exigence : "IL EST DANGEREUX DE SE PENCHER AU-DEHORS, dit l'écriteau des temps modernes. Il est nécessaire de le faire." p.162

Je ne sais si vous lisez à ma manière mais je peux témoigner : la force de ce livre est que "Je me sentais loin et je me trompais. Les images de son album me concernent toutes. [...] et j'avale les manques dont je suis composé." p.69
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critiques presse (1)
Culturebox
26 mai 2016
Un recueil qui éclaire toute son oeuvre.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (151) Voir plus Ajouter une citation
Je bénis la chance d'écrire des histoires et non pas des articles pour les journaux, car à côté de la femme était assis un homme avec un quotidien. Il en tournait les pages avec des gestes brusques, le lisait avec mauvaise humeur, puis il l'a replié et l'a fourré dans sa poche. Avant le soir, il le jettera dans une poubelle, au pilon.
Mes pages, elles, ont de la chance dans les mains de la femme assise. J'ai eu aussitôt envie d'en écrire une pour l'ajouter à la fin de son livre.

Les mots que j'ai écrits ne sont plus à moi, ils sont devenus les siens. Elle les a voulus, en piochant justement ceux-là dans le grand bazar des livres. Elle les a payés avec de l'argent prélevé sur d'autres dépenses, en se passant par exemple d'une bouteille de vin, d'une séance de cinéma ou d'un concert. Ils ont pour elle la valeur ajoutée d'avoir remplacé des choses plus agréables qu'un livre. Et maintenant, ils sont là: sur ses genoux, feuilletés par la douceur d'une caresse, ses cheveux tombant en cascade.
Prises et tenues ainsi, ces pages sont plus à elle maintenant que lorsqu'elles étaient miennes auparavant. (p. 110-111)
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Le dimanche, nous allions déjeuner chez la mère de ma mère, nonna Emma. Depuis le vendredi soir, elle se relayait avec sa belle-fille Lillina devant la toute petite flamme où mijotait le ragù.
(...) Cette sauce était un applaudissement de stade debout après un but, c'était une étreinte, un saut et une cascade dans les narines.
(...) Chez elles, Emma et Lillina, j'ai reçu ensuite des informations détaillées sur la composition des aubergines à la parmesane, mon plat préféré à l'âge adulte. Elle les préparaient en faisant passer le légume par trois feux. Elles coupaient les aubergines en tranches, les mettaient au soleil, la flamme la plus puissante pour sécher leur eau et renforcer leur goût. Puis elles les faisaient frire, dorant la cuisine d'une couleur de fête. Dernier feu, le four, après les avoir disposées par couches, chacune recouverte de sauce tomate, basilic, mozzarella et d'une poignée de parmesan. Trois feux participaient au plat qui coïncident le mieux pour moi avec le mot "maison". p 25-26
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La révolte n’était pas seulement politique : il n’était pas seulement question du funeste et détestable Viêt Nam où était anéanti pour rien un pourcentage énorme de la jeunesse américaine, prise et envoyée crever et s’aigrir dans les marécages du Mékong.
Le sifflement général que (Bob) Dylan soufflait dans son harmonica, comme un chef de gare sur le quai, n’était pas seulement politique : parce qu’il refusait les pouvoirs, les adultes et leur droit. Il sabotait leur monde, de la façon de faire l’amour à celle de jouir d’ une victoire olympique, en montrant le point fermé des Panthères Noires, tandis que retentissait l’hymne national, Mexico, remise du prix du 200 mètres, Smith et Carlos, octobre 1968. Le troisième sur le podium, Peter Norman, un Blanc, portait un badge de solidarité avec les deux premiers.
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S'ils avaient été des armes accrochées au mur, je serais devenu un chasseur, mais c'étaient des livres, empilés jusqu'au plafond. Ils étaient autour de moi et tout contre moi. J'ai été un enfant, puis un jeune garçon à l'intérieur d'une chambre en papier. Mon père les achetait par kilos ,ils étaient son ailleurs, la distance entre lui et les tomates et les fruits au sirop, produits de son travail. Il rentrait le soir, se mettait dans un fauteuil, étendu sous un livre. Ainsi, il se trouvait en plein air. (p. 70)
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Ces pouvoirs avaient besoin de corps ankylosés pour imposer leur version du savoir. Le seul fait d'arriver en classe un peu échauffés après notre unique heure d'éducation physique leur déplaisait.
A ce moment de friction entre ma vérité et la leur, se forma dans mon corps une noix de résistance opposée à la domination, qui par instinct abuse. Aujourd'hui, je sais que, par leurs accusations, les pouvoirs peuvent rendre le plus grand honneur à celui qui écrit. Faire de l'écriture un corps de délit qui dérange leur discipline.
Avec leurs insultes, les pouvoirs sont susceptibles d'ajouter une valeur à celui qui écrit. (p.14)
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Vidéo de Erri De Luca
Rencontre animée par Olivia Gesbert
De la bibliothèque paternelle à l'ombre de laquelle il a grandi jusqu'aux chantiers où il a été ouvrier, Erri de Luca a noué avec la lecture, puis avec l'écriture un rapport particulier pour bâtir une oeuvre double, celle d'une fiction romanesque aux forts accents autobiographiques et celle d'une réflexion sur l'Écriture. Depuis trente ans, c'est une oeuvre foisonnante et protéiforme qu'il bâtit, caractérisée par un style limpide, poétique, épuré. Ponctués de pensées, de métaphores, d'aphorismes, ses récits endossent souvent la forme d'une fable, d'une parabole empreinte d'une touche de merveilleux, dans une langue unique. Pour cette édition Quarto, ont été retenus une dizaine de textes publiés auxquels s'adjoignent cinq textes inédits, qui portent en eux la puissance de l'écriture d'Erri de Luca dans des genres littéraires variés, sa réflexion sur l'appartenance et l'identité, le poids du passé et l'importance de l'histoire, sur la fragilité et l'importance des relations humaines.
« Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie. » Trois chevaux, Erri de Luca
À lire – Erri de Luca, Itinéraires, Gallimard, coll. « Quarto », 2023.
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