Le sociologue
Dominique Reynié est aujourd'hui bien connu des Français. Ce professeur de
Sciences-Po est un familier des plateaux télévisés où il analyse, en direct, les résultats des élections. En 2005, dans un livre que l'on sent écrit sous le coup de l'émotion suscité par l'échec cinglant du référendum du 29 mai 2005, il analysait la « gauche du Non », cette fraction du parti socialiste qui, profitant de la cure d'opposition dans laquelle le PS était plongé et de l'absence de la figure tutélaire et pro-européenne de
François Mitterrand, en a profité pour emboucher les trompettes du nationalisme.
L'expression « social-nationaliste » n'est pas nouvelle. Elle était utilisée par
Jacques Attali dans un éditorial de L'Express en avril 2005. Elle fut surtout inventée par Léon Blum face à la scission des néo-socialistes de Adrien Marquet dont il confessait, dans des pages restés célèbres, l'épouvante qu'elle suscitait en lui : « Gardez-vous du danger (...) que dans votre haine du fascisme vous ne lui empruntiez ses moyens et même son idéologie » . L'histoire allait lui donner raison, les sécessionnistes du PSF rejoignant bien vite la Révolution nationale vichyste (Marquet, Belin) voire la collaboration (Déat, Albertini).
Pour instructives que soient les pages que Reynié consacre aux divisions de la SFIO au coeur des années 30, il n'est pas certain que le parallèle esquissé soit des plus pertinents. Sans doute, Emmanuelli,
Mélenchon, Fabius ont-ils tourné le dos, le temps de la campagne référendaire à l'internationalisme qui est au coeur du socialisme – quoi qu'ils s'en défendent. Pour autant il serait exagéré de voir en eux les fourriers d'un Nouvel Ordre, chauvin et xénophobe.
Cette réserve levée, l'ouvrage de
Dominique Reynié constitue une critique fort efficace du « nonisme » de gauche. Il se désintéresse en effet du Non de droite pour des raisons simples : l'extrême droite du Front national ou la droite nationaliste des Villiers,
Pasqua, Seguin, ont été sont et seront anti-européens. le fait n'est pas nouveau et ne mérite pas qu'on s'y arrête. Il en va de même à l'extrême gauche où l'opposition du Parti communiste à la construction européenne remonte aux origines de la Guerre froide et n'a pas faibli après la chute du mur de Berlin. le fait nouveau du référendum de 2005 est le ralliement d'une partie du Parti socialiste au Non. Et ce ralliement inédit mérite d'autant plus d'être analysé qu'il explique en grande partie la victoire du Non : c'est le revirement de l'aile gauche du PS, qui a voté Oui à Maastricht et Non au traité constitutionnel, qui explique l'échec du référendum.
Dominique Reynié décrypte les ressorts du Non de Gauche. Il insiste sur la part d'opportunisme d'une opposition socialiste qui a vu dans le référendum l'occasion d'infliger un camouflet au Chef de l'Etat – beaucoup de nonistes ont autant voté sur le contexte que sur le texte – tout en se rapprochant d'un électorat populaire qui lui avait fait défaut le 21 avril 2002. Il dénonce l'amalgame pratiqué tout au long de la campagne dans les thèmes choisis par cette gauche souverainiste : la critique de la troisième partie du Traité qui ne constitue pourtant que la reprise des Traités de Luxembourg, d'Amsterdam et de Nice que le PS avait pourtant défendus quand il était au pouvoir, la stigmatisation de la directive Bolkenstein au prix d'un langage xénophobe , la lutte contre les délocalisations dont la cause est moins la construction européenne que la mondialisation, l'hostilité rampante, maquillée en défense de la laïcité à la française, à l'adhésion turque, etc.
Avec le recul, ce Non de gauche laisse un curieux malaise. « L'envie de lynchage » qu'il traduit constitue une ombre portée sur le fonctionnement de nos institutions à laquelle nulle réponse n'a été apportée. Il est frappant que la candidature de
Laurent Fabius à l'investiture socialiste ait eu si peu d'échos : est-ce le signe d'une évolution de l'électorat socialiste ? ou plus probablement d'une défiance à l'égard d'un leader dont la sincérité des positions européennes suscite le scepticisme ? En désignant
Ségolène Royal pour porter leurs couleurs aux élections de 2007, les électeurs socialistes ont-ils choisi d'oublier leur vote du 29 mai et de désigner la candidate la mieux placée pour défaire
Nicolas Sarkozy ? ou ont-ils ouvert un boulevard à la Gauche de la Gauche qui pourrait, à condition de faire taire ses divisions historiques, récolter un jour les dividendes du 29 mai ?