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Aleks Buda (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070371426
352 pages
Gallimard (16/10/1979)
4.21/5   109 notes
Résumé :
Des remparts ensanglantés que des dizaines de milliers d'hommes tentent, malgré tout, d'escalader; un commandant en chef, dont le sort est dramatiquement lié à la prise de ces murs; une angoisse constante, sous un soleil torride. Les événements se déroulent au XVe siècle. Laplace assiégée est une citadelle albanaise. Elle évoque parfois Troie, avec ce cheval assoiffé, vivant cette fois, qui tournoie autour d'elle. Et elle rappelle à plus forte raison l'Albanie moder... >Voir plus
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Kështjella
Traduction : Jusuf Vrioni

ISBN : 9782070371426

Deux extraits de ce roman sont donnés sur Babélio
Une liste des personnages de ce livre sera bientôt disponible sur http://notabene.forumactif.com/


Qu'on apprécie ou pas l'homme qui se cache derrière les lunettes d'Ismail Kadare, on ne saurait nier à l'écrivain qui co-habite avec lui un grand, un très grand talent. Ces "Tambours de la Pluie", parus dans leur langue originelle sous le titre peut-être plus révélateur, de "La Citadelle", en constituent une preuve nouvelle et éclatante.

Notons cependant que, pour une fois, le titre français est pratiquement aussi évocateur que l'original puisque la pluie et les roulements de tambour qui, dans les camp ottoman, annoncent sa venue, tiennent ici, et de façon assez paradoxale car on ne les entend à vrai dire que deux fois, le tout premier rôle, bien avant, pourrait-on dire, les troupes en présence, celles, énormes, de la Sublime Porte opposées à celles, forcément réduites mais terriblement pugnaces, de la pugnacité du désespoir, des Albanais retranchés dans la citadelle qu'ils défendent.

De la pluie, de son absence ou de sa présence, dépend l'issue du siège. Tout le monde le sait, aussi bien les assiégés dont le porte-parole s'exprime dans de brefs chapitres en italiques que les assiégeants, auxquels reviennent les chapitres plus longs en caractères normaux. Longueur bien explicable puisque l'Empire ottoman, dans sa longue marche décidée vers l'Europe - rappelons que, deux siècles après les événements relatés par Kadare, les Turcs seront aux portes de Vienne d'où parviendra heureusement à les chasser le roi de Pologne Jean III Sobieski - n'a cessé de jeter dans la bataille un maximum de troupes. Si "Les Tambours de la Pluie" se termine par leur défaite et même par le suicide de leur chef, Tursun Pacha, qui n'a pourtant failli ni en courage, ni en talent de stratège mais préfère mourir de sa propre main plutôt que de celle des sbires d'un sultan qui envoie en fait ceux dont il veut se débarrasser combattre les redoutables et fiers Albanais, les Turcs, un jour, finiront par conquérir la fameuse citadelle et quelques autres et à soumettre, on le sait, l'Albanie tout entière.

Pas plus qu'elle ne le fera au XXème siècle en faveur de la Tchécoslovaquie ou de la Pologne dépecées par Hitler, l'Europe ne viendra pas en aide à l'Albanie du XVème siècle. Qu'ils se débrouillent avec les mahométans, ces lointains Albanais qui ne sont d'ailleurs que des chrétiens orthodoxes et ne s'agenouillent pas devant Rome ! Leur pays n'est pas franchement la porte à côté et avant que les Turcs arrivent à Vienne, bien de l'eau aura coulé sous les ponts ... Si encore ils y arrivent un jour ! ...

Le Temps tourne et file mais les mentalités politiques, on peut le constater, demeurent. Comment, dans de telles conditions, s'étonner des perpétuels recommencements auxquels semble vouée L Histoire ?

Fort heureusement, la résistance nationale fait aussi partie de ces éternels retours historiques. le récit de Kadare rend hommage au premier héros national albanais, Gjergj (ou Georges) Kastriot, mieux connu sous le surnom que lui donnèrent ses ennemis les Turcs : Iskander Bey [= prince Alexandre, par référence à Alexandre le Grand], devenu, par allitérations successives, Skënderbeu en albanais et Skanderbeg en allemand et en français.

Skanderbeg rôde dans les pages des "Tambours de la Pluie" mais on ne le voit jamais. Ses attaques-éclair se font en général de nuit et sont la terreur des Ottomans. Ceux-ci n'ignorent pas son courage car ce prince albanais fut jadis pris comme otage à la cour du Sultan et grandit pour devenir un janissaire, en d'autres termes l'un des membres d'un véritable corps d'élite de l'armée musulmane. Il a si bien combattu pour Murad II que celui-ci l'a fait gouverneur général de certaines provinces albanaises. Mais après la mort de ses frères, empoisonnés dans des circonstances mystérieuses, le dernier des Kastriot se laisse submerger par la révolte et, rejetant l'islam qu'on lui a imposé, redevient chrétien et prend la tête de la rébellion contre la Sublime Porte. de succès en succès, invisible mais terriblement présent, Skanderbeg entre vivant dans la légende albanaise : il n'en sortira plus jamais et aujourd'hui encore, son nom continue à être vénéré dans son pays natal comme celui du premier libérateur de l'Albanie.

N'allez pas croire pour autant que Kadare nous donne ici un roman revanchard ou d'un claironnant chauvinisme. Bien au contraire : son coup de génie est de nous présenter tous les protagonistes, Turcs et Albanais, du plus humble fantassin au pacha en personne, sous leur aspect avant tout humain. Ils sont capables de fanfaronner, de pavoiser, de triompher mais aussi de souffrir, de réfléchir à la condition de l'Autre au-delà de la leur et de s'interroger enfin, pour les plus intelligents, sur la vanité de toute chose en ce monde. Les seules exceptions - ce qui n'étonnera personne - appartiennent à la race des politiques et des religieux. Kadare voue d'ailleurs à ces derniers une haine bien particulière et dépeint leur fanatisme inexorable, intemporel comme une force aveugle et infiniment malveillante, susceptible de jeter n'importe quelle troupe dans le plus sanglant et le plus sot des massacres pour la seule gloire supposée de Dieu.

Cette haine s'explique en partie par le fait que les Turcs ne se contentèrent pas de chercher à islamiser l'Albanie. Ils firent bien pire : ils cherchèrent, en l'interdisant, à éradiquer la langue du pays. Non tant par mépris de l'albanais et par vénération de leur propre dialecte mais parce que l'albanais était, avec le latin, la langue du clergé local, évidemment chrétien. Cette tentative d'assassinat linguistique est probablement la plus grave erreur commise par la Sublime Porte dans son traitement des terres et des populations albanaises.

N'oublions pas de mentionner les quelques femmes de ce livre : on ne voit pour ainsi dire pas les Albanaises assiégées, sauf lorsqu'elles viennent sur les remparts de la citadelle assister au spectacle du cheval assoiffé que les Turcs font tourner et tourner dans l'espoir qu'il parviendra à dénicher les canalisations cachées qui alimentent en au la forteresse ; les concubines que le pacha a emmenées avec lui sont au pire des objets, au mieux des ventres ; quant aux malheureuses prisonnières ramenées d'une razzia par les soldats turcs, elles ne survivront pas aux viols multiples qu'elles auront à subir. Pour toutes, le lecteur tire le triste constat d'un machisme certes omniprésent chez les Ottomans mais qui semble presque aussi naturel chez les Albanais.

En résumé - si la graphomane que je suis peut se permettre l'expression - "Les Tambours de la Pluie" est un roman ample, puissant, d'une puissance qui repose sur une technique d'une simplicité absolue. L'auteur se veut d'une impartialité totale, sauf quand il désigne du doigt les véritables responsables du siège : la classe politique et religieuse. Il n'y a pas vraiment de "méchants" et de "bons" dans ce roman, rien que des hommes, avec leurs grandeurs et leurs faiblesses, qui s'affrontent pour une certaine idée qu'ils se font de leur nation. Fatalement, cette idée diverge selon la partie prise en compte et pourtant, tous souffrent et s'interrogent, sous la chaleur éclatante de cet été qui semble ne jamais vouloir prendre fin. Et puis, c'est l'éclatement, les tambours de la pluie se mettent à résonner et l'espoir change de camp - enfin, jusqu'à l'été prochain ... ;o)
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Nous sommes en 1443. L'immense armée ottomanes assiège la citadelle albanaise de Kruja (Krujë) qui résiste envers et contre tout dans une guerre sans merci. Les Turcs attendent la reddition des Albanais assoiffés. Les tambours de leur armée donnent le signal des attaques. Donneront-ils le signal de la pluie libératrice? Ce roman relate l'épopée de Scanderbeg, héros national albanais dont le surnom est une déformation d'Alexander Bey (Alexandre le Grand), de son vrai nom, Georges Kastriote. En Albanie, vous trouverez ses statues et plein d'objets au nom de Scanderbeg (vin, biscuits,...). Enfant, il fut enlevé par les Turcs, élevé à la cour du sultan, puis devint général dans l'armée ottomane avant de se retourner et de prendre la défense de son peuple. le château de Skanderbeg à Krujë est maintenant un musée le roman alterne des chapitres vus par les Turcs, mettant en scène de multiples personnages qui se chamaillent, et de plus brefs chapitres en italiques, écrits par un chroniqueur albanais où aucune individualité n'est citée et mise en avant pour montrer l'unité du peuple. Avant chaque bataille, le Pacha réunit son conseil: architecte des machines, intendant chargé de nourrir cette colossale armée, spécialiste des poisons, astrologue chargé d'annoncer les jours favorables, chef des fondeurs de canons, chroniqueur, officiers... Ils ne sont jamais d'accord et plusieurs seront rétrogradés après l'échec de ce qu'ils proposent successivement. Les assaillants des murailles reçoivent des brulots incendiaires. On creuse un souterrain, on tente de saboter l'aqueduc, d'introduire la peste,... Les Albanais, nombreux mais unis et plus ingénieux, déjouent chaque plan et les pertes sont énormes parmi les guertekindjis, dalklitchs, janissaires, serdengestlers, musélems, asapes, sandjakbeys, tchaouckes, djébelous et autres militaires ottomans.
Avant de partir, le pacha se demande s'il doit amener quelques-unes de ses 18 femmes, vu que les Albanaises sont de grande beauté. Finalement, il en prend quatre et laissera les Albanaises à ses officiers.
Les canons les plus puissants jamais fabriquées, «ces armes nouvelles, changeront la nature de la guerre, (et) rendront les citadelles inutiles».
«Calme plat. Apparemment, ils s'apprêtent à donner l'assaut. On les voit préparer des cordes, des échelles et d'autres appareils»... La première bataille (chapitre IV) est véritablement cinématographique avec l'assaut des murailles, la riposte des archers, les échelles incendiées,... du grand art. Les Ottomans espèrent encore.
«La nuit où on prendra la citadelle. Quel sabbat ! Quelles orgies ! Leur désir assouvi, les hommes échangeons leurs captives. Ils les garderont une heure, puis les revendront pour en racheter d'autres. Elles passeront de tentes en tentes... Nous dépouillerons leurs femmes et leurs jeunes filles de leurs vêtements impudiques pour les revêtir de la noble mante noire, bénie par la religion. Nous leur ferons courber leurs têtes indociles... comme le prescrit le saint Coran... Les prix, qui n'étaient jamais fixés, variaient d'heure en heure. Ils dépendaient généralement du nombre de femmes capturées... Les blondes étaient généralement plus appréciées et parfois, leur prix montait si haut que seuls les officiers supérieurs... pouvaient s'offrir le luxe de les acquérir... Les prix, élevés au retour de l'expédition, baissaient parfois brusquement le lendemain... ils étaient prêts à s'en débarrasser à moitié prix». Des acheteurs les achetaient en grand nombre le matin, sachant que les prix remonteraient le soir».
«Le deuxième canon manqua par trois fois sa cible... La pièce doit être possédée du démon, dit le mufti... Allah nous a choisi cette mort, il nous faut l'accepter».
«Le 26 juillet, nous décidâmes de faire effondrer la galerie».
Le chapitre VIII relate les conversations des femmes. Exemple: «S'il est victorieux, il sera promu... s'achètera de nouvelles femmes, et nous aurons de nouvelles compagnes. Ah, comme ce sera amusant s'écria Edjère. S'il est vaincu, il nous vendra, et qui sait quel sera notre destin, peut-être meilleur, peut-être pire».
«Ils (creusent) là où aurait dû se trouver le canal... Notre ancien aqueduc passait autrefois là... et ils nous auraient depuis longtemps coupé l'eau si, prévoyant ce long siège, nous n'avions ouvert un nouveau canal qui suit... un chemin imprévisible... Ce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir par les canons et la galerie, ils espèrent maintenant l'atteindre par la soif». L'aqueduc sera percé, mais il reste trois puits dans la citadelle.
Pendant ce temps, Scanderbeg se cache dans la plaine, attaque les Turcs de nuit, par surprise, et détruit les caravanes qui assurent leur ravitaillement.
L'allabey demanda à Siri Selim combien de jours il faudrait attendre, après le lancement des rats infectés par la peste pour que la première maladie se déclarât, mais les Albanais installent des pièges à rats.
«Les assauts auront lieu chaque jour, ou presque, sans tenir compte des pertes ni des obstacles» car la saison des pluies approche, et la citadelle aura de nouveau assez d'eau. Bientôt, les tambours annoncent la pluie.
«Nous avons cru leur donner la mort, alors que de nos propres mains, nous les rendions immortels».
«Et maintenant, qui nous achètera ? - dit Leïla».
L'Albanie a souvent été dominée, et longtemps par l'Empire Ottoman. Beaucoup de romans de Kadaré exaltent le courage des Albanais contre ceux qui veulent les asservir, et en filigrane, derrière celui-ci (de 1970, 10 ans après la rupture du pays avec l'URSS), comme dans d'autres, on trouve aussi une subtile dénonciation de l'asservissement au grand frère soviétique.
J'ai eu la chance de prendre le thé avec Kadaré et sa femme à Durrës, en 1987, un homme charmant parlant très bien français. Écarté de la nomenklatura communiste, il finit par être qualifié d'«ennemi» lors du Plénum des écrivains en 1882 mais, trop apprécié, ne subit aucune sanction. En disgrâce pour sa subtile critique du régime, il obtient l'asile politique en France en 1990 et est fait commandeur de la légion d'honneur. Comme Kundera et d'autres, il fut souvent cité pour le Nobel sans l'obtenir.
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Les tambours de la pluie restent bien silencieux durant ce siège interminable. La chaleur accable les assiégés ; elle offre une aide puissante aux assaillants. Et lorsqu'ils résonnent enfin, ils sonnent le glas de la bataille terrible ainsi que celui des destinées humaines qui se sont, des semaines durant, fracassées contre les murailles.

L'action de ce récit, entre conte et roman, se passe en Albanie, au milieu du 15ème siècle. Georges Kastriote Skanderbeg s'est révolté contre le sultan d'Istanbul, entraînant son pays dans une quête à la liberté qui trouve, en son chemin, le plus puissant empire de ce temps : l'empire ottoman. Tursun pacha, redoutable chef militaire, se trouve en charge de prendre une citadelle – c'est le nom du titre en albanais – que vient de quitter Skanderbeg.

Tout au long du récit, les armées ottomanes échouent contre les remparts. Les combats sont féroces, le sang coule à flot. La nuit, les Ottomans sont harcelés par Skanderbeg qui suscite l'effroi chez l'envahisseur. Ne reste bientôt plus qu'une obsession : quand viendra la pluie qui délivrera les assiégés et désespérera les assiégeants ?

Le récit tient du conte car il exalte la nation albanaise, qui s'est notamment forgée lors de ces guerres contre les Ottomans. La figure de Skanderbeg est un symbole sacré, celle du héros libérateur et invincible et qui concentre en lui toutes les valeurs de résistance et de liberté du peuple albanais.

Mais ce qui est intéressant, dans ce récit où se mêlent plusieurs destinées de personnages de rang divers - un historien, un janissaire, un maître fondeur de canons, le pacha, un astrologue … -, c'est que la parole est avant tout turque, et que seules quelques pages rendent compte de l'état d'esprit des assiégés. En montrant la force de l'empire – ses troupes innombrables et organisées, ses chefs valeureux, ses talents de techniciens –, Ismaïl Kadaré montre combien la détermination des Albanais est importante, eux qui n'ont même plus d'eau, quasi plus de vivres et leurs épées pour seules armes.

Kadaré opère, en ce récit, une habile transposition de ce qui se passa entre l'Albanie et l'URSS dans les années 1960 lorsqu'Enver Hoxha, mécontent de la politique de déstalinisation, rompit peu à peu avec le grand frère russe, qui était alors l'une des deux superpuissances de l'époque, pour essayer de trouver sa voie propre dans le socialisme. On peut aussi y voir une transposition dans un contexte médiéval albanais de l'Iliade d'Homère, dans laquelle les Albanais tiennent le rôle des Troyens – le cheval assoiffé qui cherche l'eau, n'est-il pas celui que les Grecs construisirent pour entrer dans Troie ? – face à une armée déterminée à passer autant de temps que nécessaire pour prendre la cité.
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Cela fait plus de vingt ans qu'on avait découvert Ismail Kadare, porte-drapeau de la littérature albanaise.
Et cela doit bien faire la quatrième fois qu'on lit et relit Les tambours de la pluie, sans doute son meilleur roman, en tout cas celui qu'on préfère.
C'est peut-être aussi la porte la plus facile d'accès sur l'Albanie de Kadare.
En l'an 1443, alors que l'Empire Ottoman est aux portes de Vienne, les albanais de Georges Kastriote faussent compagnie au Sultan ...
C'est le début d'une longue guerre entre l'immense empire turque et la petite et fière Albanie.
Les invasions s'enchaînent, les sièges s'éternisent mais les sultans se succèdent sans succès et la petite et fière Albanie résiste, du moins pendant plus de trente ans.
Il y a un peu d'Astérix ou du village gaulois (l'humour en moins) dans cette histoire. Ou de Jeanne d'Arc (les voix en moins).
Georges Kastriote, dit Skanderberg, devient le héros national.
Les tambours de la pluie racontent l'un de ces sièges, au début du conflit.
On assiste en effet à un véritable siège du temps jadis, du temps où l'on coulait encore les canons sur place.
Les albanais de la citadelle de Kruja sont assiégés par les innombrables armées turques.
Un siège qui s'éternise au fil des saisons et lorsque les turcs trouvent enfin l'aqueduc enterré et secret, on croit bien que la soif aura raison de la résistance albanaise ... jusqu'à ce qu'on entende les roulements des tambours de la pluie.
Les tambours de la pluie qui, dans la tradition militaire turque, annoncent l'arrivée des nuages : la saison des pluies sauvera donc les assiégés. du moins pour cette fois.
Le bouquin de Kadare nous conte tout cela de manière habile : nous sommes en effet dans le camp des turcs, aux côtés du pacha et de son chroniqueur. Dans le camp des "autres" donc, et comme "eux" désemparés devant la citadelle imprenable.
Entre chaque chapitre, quelques lignes nous éclairent sur la situation des assiégés, le camp de Kadare, le camp du "nous".
Car derrière cette histoire médiévale se cache (à peine) le propos de Kadare, chantre de la fierté nationale albanaise.
Cet ancien combat a en effet, pour les albanais, un écho beaucoup plus récent : lorsqu'en 1960, l'Albanie communiste de Enver Hoxha rompt ses relations avec le grand frère soviétique devenu à ses yeux un peu trop encombrant.Ismail Kadare
Les armées turques (euh, pardon : les armées soviétiques) envahiront Budapest et Prague mais la petite et fière Albanie ne sera jamais inquiétée !
Bien sûr il faut prendre avec un peu de recul le discours de Kadare : les couleurs du nationalisme sont souvent troubles et Enver Hoxha ressemblait sans doute plus à un dictateur communiste qu'au héros Skanderberg de 1443.
Mais les écrits de Kadare ont gardé leur fraîcheur des années 70, bien avant que n'éclatent les balkans. On peut savourer sans arrière-pensée une très belle plume au service de son pays et de sa culture.
Lien : http://bmr-mam.over-blog.com..
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Enfin j'ai lu un roman d'Ismaïl Kadaré et plongé dans l'histoire de l'Albanie.

De l'Albanie, je connais peu de choses si ce n'est que c'est un pays des Balkans, fort peu donc. Avec ce roman, on plonge dans l'histoire de ce pays aux prises avec son énorme voisin: l'Empire Ottoman. L'Empire Ottoman est un ogre puissant qui croque tous les pays ou groupes alentours. Petit pays, l'Albanie est forte d'un héros légendaire Skanderberg. Il a provoqué les Ottomans et ceux ci ne comptent pas laisser passer.

Ils entament donc le siège d'une citadelle albanaise. le roman nous raconte ce long long siège, les attaques, les ruses, les canons, les morts. Ce qui pourrait être lassant, est parfaitement réussi, on ne s'ennuie pas à lire les différents actes de cette guerre. C'est sans aucun doute dû au talent de l'auteur et aux choix narratifs faits.
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... - "Tu penses peut-être qu'à force de guerres et de massacres, on peut supprimer un peuple," [dit l'intendant en chef]. "C'est ce que croient bien des gens, le vieux Tavdja et Kursdidji entre autres. Mettons que, dans une grande bataille, [les Albanais] laissent sur le terrain trente mille morts. Ce devrait être une brillante victoire pour notre armée, n'est-ce pas ? Eh ! bien, n'est-il pas triste de se dire qu'avec une telle bataille, qui demande tant de préparatifs et d'efforts, on ne réussit à prélever à ce peuple que l'augmentation de population d'une seule année ?

- C'est curieux," dit le chroniqueur.

- "Aussi, sans faire le rêve chimérique d'anéantir ce peuple, nous devons nous estimer satisfaits de l'empêcher de croître. Par des expéditions punitives, des massacres, des guerres réitérées, en leur enlevant leurs jeunes garçons pour en faire des janissaires, nous réduirons en une certaine mesure sa capacité de croissance. Et pourtant, cela ne suffit point. Les peuples sont comme l'herbe. Ils poussent partout. Il faut donc concevoir d'autres moyens, plus insidieux. Moi, je ne m'occupe que des comptes. Le grand padicha [= le Sultan] a des hommes à lui qui étudient, eux, ces problèmes. Et ils ont certainement pensé à tout. Ce sont des experts de la dénationalisation des peuples, de même que Sarudja est un expert de la destruction des forteresses. Ils étudient jour et nuit les meilleures méthodes à appliquer pour maintenir la tranquillité dans notre grand empire."

L'intendant en chef but une lampée de sirop.

- "Il existe notamment," reprit-il, "parmi les tribus des déserts d'Arabie, une coutume par laquelle tous les parents d'une personne tuée intentionnellement dans une querelle ou une embuscade sont obligés de reprendre le sang de la victime en tuant à leur tour un membre de la famille adverse, et cela même après trois générations. Une chaîne de morts lie ainsi les familles entre elles, car les meurtres se succèdent sans discontinuité. Implanter une telle coutume vaut bien plusieurs victoires sur le champ de bataille. Je t'ai dit qu'il y a là-haut des gens qui ont pour principale tâche de s'occuper de ces problèmes. Ils pensent à tout et ils ont certainement aussi songé à cela.

- Je crois que les Albanais ont déjà une coutume analogue," l'interrompit Tchélébi.

- "C'est possible mais même s'ils ne l'ont point ou qu'elle ne soit pas aussi répandue chez eux qu'il serait souhaitable, nous l'apporterons alors d'Arabie si c'est nécessaire, et la sèmeront comme une mauvaise graine parmi eux. Ils sont emportés par nature, et cette semence peut prospérer sur ce terrain. Mais si celle-ci ne germe pas, nous en trouverons une autre, peut-être encore plus nocive. Nous la ferons venir, s'il le faut, du royaume des glaces, pourvu qu'elle nous soit utile." ... [...]
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[...] ... Le tumulte, dans le camp, ne cessait de croître, et ils étaient maintenant obligés d'élever la voix pour s'entendre.

- "Eh ! bien", fit Sadedin, "[les femmes albanaises] sont ... elles sont ... Mais comment te les dépeindre, mon frère ! Elles sont comme un nuage mouvant qui, lorsqu'on tente de le saisir, ne vous laisse rien dans la main. Et leurs vêtements aussi sont de la couleur des nuages. Blancs, blancs, bordés de lisérés rouges et noirs.

- Tu t'en achèteras une, lorsqu'on aura pris la citadelle ?" demanda le janissaire.

- "Bien sûr, à n'importe quel prix. J'ai déjà l'argent de côté ..." - il porta la main à son sein - " ... tout ce que j'ai reçu pour mes poésies.

- Tu en as, de la chance !"

Le poète sortit la gourde et la porta à ses lèvres.

- "Ca suffit," lui dit l'astrologue, "tu ne marches plus très droit."

Sadedin la refourra dans son sein.

- "Il s'en passera, des choses, dit-il, la nuit où l'on prendra la citadelle ! Quel sabbat ! Quelles orgies ! Leur désir assouvi, les hommes échangeront leurs captives. Ils les garderont une heure, puis les revendront pour en racheter d'autres. Elles passeront de tente en tente. Il y aura des rixes. Peut-être même des meurtres ! Oh ! sûrement !"

Le janissaire l'écoutait, l'air triste.

Ils marchèrent un moment sur un chemin bordé d'asapes [= troupes d'infanterie légère] étendus par terre, dans l'ombre plus obscure projetée par les tentes.

- "Ils sont ennuyeux, ces asapes," dit Sadedin. "Ils rêvent de recevoir un lopin ou quelque vigne dans les terres ici conquises, puis de se courber sur leur charrue pour le reste de leur vie.

- A chacun ses rêves," dit l'astrologue.

Le poète fut tenté de lui répondre, mais il préféra boire une nouvelle lampée de raki. Il continuait de marmotter en composant sa poésie.

La multitude devenait de plus en plus dense. Des tambours roulaient de toutes parts, noyant presque de leurs grondements les voix des cheiks qui haranguaient les soldats. Les derviches s'abattaient par terre, priaient, hurlaient sans cesse.

-"Nous enseignerons le saint Coran à ces rebelles maudits," criait un cheik. "Sur leur terre bosselée comme le dos d'un démon, nous élèverons les minarets sanctifiés par Allah. Du haut de ces tours, au crépuscule, la voix de nos muezzins tombera sur leurs têtes mal dégrossies, tel un haschisch qui s'empare de l'esprit. Nous ferons en sorte que ces infidèles se prosternent cinq fois par jour en direction de La Mecque. Nous envelopperons leurs têtes malades et agitées dans le bienfaisant turban de l'islam.

- Comme ce cheik parle bien !" dit l'astrologue. ... [...]
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Le pacha suivait avec une attention extrême chaque mouvement du cheval. Les yeux fixés sur lui, il paraissait fasciné. Il était si tendu qu'au bout de quelque temps, il sentit ses genoux et son cou fatigués, comme si c'eût été lui qui galopait devant les remparts en baissant de temps en temps la tête pour rechercher un peu d'humidité sur le sol brûlé. A un moment, il eût même la sensation qu'il avait de l'écume à la bouche, et il y porta la main pour l'essuyer.
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[...] Ils ont tout tenté contre nous, depuis les canons gigantesques jusqu'aux rats infectés. Nous avons tenu et nous tenons. Nous savons que cette résistance nous coûte cher et qu'il nous faudra la payer plus cher encore. Mais sur le chemin de la horde démente, il faut bien que quelqu'un se dresse et c'est nous que l'Histoire a choisis.
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[...] La fumée monte jour et nuit de la fonderie. Dès les premiers jours de leur arrivée, le bruit se répandit qu'ils coulaient une arme nouvelle. On dit que son grondement secoue le sol comme un tremblement de terre, qu'elle crache une flamme aveuglante, et que le déplacement d'air qu'elle provoque rase une maison en un clin d'oeil.
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Videos de Ismaïl Kadaré (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Ismaïl Kadaré
http://www.club-livre.ch#Bessa_Myftiu Interview de Bessa Myftiu réalisée par le Club du Livre en partenariat avec Reportage Suisse Romande
Bessa Myftiu, née à Tirana, est une romancière, poète, conteuse, essayiste, traductrice, critique littéraire, journaliste, scénariste et actrice établie à Genève, en Suisse romande, de nationalité suisse et albanaise. Pour commander un ouvrage de Bessa Myftiu : En SUISSE : https://www.payot.ch/Dynamics/Result?acs=¤££¤58REPORTAGE SUISSE ROMANDE36¤££¤1&c=0&rawSearch=bessa%20myftiu En FRANCE : https://www.fnac.com/SearchResult/ResultList.aspx?SCat=0%211&Search=bessa+myftiu&sft=1&sa=0
Fille de l'écrivain dissident Mehmet Myftiu, Bessa Myftiu fait des études de lettres à l'université de Tirana et par la suite elle enseigne la littérature à l'université Aleksandër Xhuvani d'Elbasan. Elle devient ensuite journaliste pour le magazine littéraire et artistique albanais La scène et l'écran. Elle émigre en Suisse en 1991 et s'établit à Genève dès 1992, passant son doctorat et devenant enseignante à l'université de Genève en faculté des Sciences de l'éducation, tout en poursuivant en parallèle ses activités dans les domaines de l'écriture et du cinéma. Depuis 2013, elle enseigne à la Haute École Pédagogique de Lausanne. Elle est par ailleurs membre de la Société Genevoise des Écrivains BIOGRAPHIE 1994 : Des amis perdus, poèmes en deux langues, Éditions Marin Barleti [archive], Tirana 1998 : Ma légende, roman, préface d'Ismail Kadaré, L'Harmattan, Paris (ISBN 2-7384-6657-5) 2001 : A toi, si jamais?, peintures de Serge Giakonoff, Éditions de l'Envol, Forcalquier (ISBN 2-909907-72-4) 2004 : Nietzsche et Dostoïevski : éducateurs!, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-05-6) 2006 : Dialogues et récits d?éducation sur la différence, en collaboration avec Mireille Cifali, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-09-4) 2007 : Confessions des lieux disparus, préface d'Amélie Nothomb, Éditions de l'Aube, La Tour-d'Aigues (ISBN 978-2-7526-0511-5), sorti en 2008 en livre de poche (ISBN 2752605110) et réédité en 2010 par les Éditions Ovadia (ISBN 978-2-915741-97-1), prix Pittard de l'Andelyn en 2008. 2008 : An verschwundenen Orten, traduction de Katja Meintel, Éditions Limmat Verlag [archive], Zürich (ISBN 978-3-85791-597-0) 2008 : le courage, notre destin, récits d'éducation, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 9782915741087) 2008 : Littérature & savoir, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-915741-39-1) 2011 : Amours au temps du communisme, Fayard, Paris (ISBN 978-2-213-65581-9) 2016 : Vers l'impossible, Éditions Ovadia, Nice (ISBN 978-2-36392-202-1) 2017 : Dix-sept ans de mensonge, BSN Press, (ISBN 978-2-940516-74-2)
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LES ROMANS DE KADARE

L'arrivée de deux Irlandais new-yorkais, Max Roth et Willy Norton, dans la ville de N., au coeur de l'Albanie, fait l'effet d'une bombe dont les intéressés auraient bien étouffé l'explosion. Le sous-préfet de N. partage bien sûr l'avis de son ministre : il n'est pas exclu que les deux étrangers soient des espions...

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