Je n’ai pas la prétention d’affirmer que le consentement à l’être proposé par Goethe et hérité en partie des stoïciens et de Spinoza, soit la réponse la plus parfaite au problème tragique de l’existence humaine. Je me contente de proposer un modèle qui peut convenir ou non à tel ou tel lecteur. Pour ma part, je suis séduit par cette attitude d’émerveillement. Toutefois, j’ai depuis longtemps des scrupules que j’ai exprimés plusieurs fois déjà. D’une part, cette attitude intérieure n’est-elle réservée qu’à des privilégiés ? Et, d’autre part, peut-on se résigner à acquiescer à l’immense souffrance dans laquelle est plongée la plus grande partie de l’humanité, broyée par les appétits de pouvoir et de richesse, ou par le fanatisme aveugle d’un petit nombre d’hommes sans scrupules ?
Cette idée de l'illusion de la liberté se retrouvera chez Schopenhauer...
L'homme ne fait jamais que ce qu'il veut, affirme Schopenhauer, et pourtant il agit toujours nécessairement. La raison en est qu'il est déjà ce qu'il veut, car de ce qu'il est découle naturellement tout ce qu'il fait, et il ne peut pas être autrement.
Il faut, au contraire, reconnaître que chaque instant présent n’est pas trivial, qu’il est nécessaire d’en découvrir la richesse et la valeur, de déceler en lui la présence de l’idéal, soit parce qu’effectivement il est riche et prégnant par l’intensité de l’expérience qu’il fait vivre, soit parce que l’on peut lui donner une valeur morale, en répondant aux exigences du devoir, soit parce que la poésie ou l’art parviennent à l’idéaliser. C’est seulement grâce à cette prise de conscience de la valeur du présent que la vie peut retrouver sa dignité et sa noblesse.
C’est le propre de l’homme antique de se réjouir spontanément, inconsciemment de sa propre existence, sans passer, comme le font les Modernes, par le détour de la réflexion et du langage. Telle est, précisément, aux yeux de Goethe, la santé antique. Il aurait certainement volontiers accepté de considérer, comme Plotin, que c’est la santé qui est inconsciente, parce qu’elle est conforme à la nature, et que la conscience correspond à un état de trouble, à un état de maladie : plus une activité est pure et intense, moins elle est consciente.
Ce qui compte aux yeux de Goethe, ce n'est pas de parler, mais de penser et d'agir.
Penser et agir, agir et penser, c'est la somme de toute sagesse (...). L'un et l'autre doivent éternellement alterner leur effet dans la vie comme l'aspiration et l'expiration. Il faut soumettre l'action à l'épreuve de la pensée et la pensée à l'épreuve de l'action.
Pierre Hadot : La simplicité comme exercice spirituel.
Pierre Hadot : La simplicité comme exercice spirituel.
"La vie comme elle va" du 3 janvier 2002. Francesca Piolot s'entretient avec Pierre Hadot, philosophe, spécialiste du stoïcisme ancien et du néoplatonisme, professeur honoraire au Collège de France, il est l'auteur notamment de "Exercices spirituels et philosophie antique", "La citadelle intérieure", "Qu'est-ce que la philosophie antique ?"
"Le monde et la raison, dit Merleau-Ponty, ne font pas problème? Disons si l'on veut qu'ils sont mystérieux, mais ce mystère les définit, il ne saurait être question de le dissiper pour quelque solution, ils sont en-deça des solutions. La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde."
Réapprendre à voir le monde en toute simplicité ? C'est à cet exercice spirituel que nous nous livrerons en compagnie de Pierre Hadot, philosophe, auteur notamment de "La philosophie comme manière de vivre".
La chronique du jeudi 3 janvier 2002: "la simplicité : la valeur d'une illusion"
Sur le thème de La Simplicité, une méditation philosophique en trois temps :
- Rien n'est simple
- C'était si simple
- Soyons simples !
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