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EAN : 9782021524857
176 pages
Seuil (05/01/2024)
3.66/5   34 notes
Résumé :
Le brave soldat Sam ne dispose plus que de quelques fractions de secondes avant d’être enveloppé par les flammes d’une vague de napalm qui se précipite sur lui. C’est l’occasion de s’inventer en urgence une biographie et de se raconter des histoires. Il s’entoure alors de personnages féminins hauts en couleur : des grand-mères centenaires qui dirigent le clan, des cousines à la volupté épanouie, et surtout des tantes sorcières, jeunes femmes attirantes, sexuellement... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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« Après tout, pour cet ultime pétillement d'agonie, plutôt que visionner le film de ma vie, cette suite apocalyptique que je connais par coeur et qui ne m'apportera aucun plaisir de découverte, autant composer un roman. Un petit roman hurlé en accéléré, à toute vitesse. A la va-vite. (...) Voyager une dernière fois. Dire tout, inventer tout, ne pas s'affoler en face de l'indicible. C'est dans mes cordes. Et vu comme ça, au jugé, je dispose d'une seconde. J'ai donc tout mon temps. »

Le prologue pose clairement le cadre. le narrateur, un soldat nommé Sam, va mourir brûlé dans les flammes du napalm. Aucune échappatoire possible, aucune fuite possible. Et dans la seconde qui lui reste à vivre, il va inventer un monde autre, marqué par le feu qui s'apprête à le tuer, et se donner ainsi une autre vie pleine d'autres souvenirs ; la vitesse de l'action se décalant totalement avec la vitesse de la narration qui elle se dilate. Comme Shéhérazade racontant des histoires pour échapper à la mort, Sam étire le temps de son récit dans un déploiement narratif qui brouille tous les repères classiques.

Les chapitres portent le nom d'un membre de sa foutraque famille imaginaire, quasiment que des femmes puissantes, toutes sorcières et magiciennes dont les apparitions semblent venues du fonds des temps pour lui donner des leçons de feu afin de l'aider à s'accoutumer à son destin : entrer dans le feu tout en continuant à y exister, « faire l'éternité entre deux flammes », le Graal.

Chaque tante, grand-mère, oncle ou cousine est associé à une scène à l'action fugace comme la flamme d'une allumette que l'on vient de gratter, mais qui laisse une empreinte forte et visuelle dans la tête du lecteur : un féroce oiseau de feu, une collection d'homoncules qui se collent contre le verre de leur boîte-prison, un étrange voyage initiatique sur une voie ferrée au coeur d'une montagne accessible après une longue chevauchée dans les steppes.

C'est ma première incursion dans l'oeuvre post-exotique de Volodine. Je n'ai pas cherché à comprendre ce qui m'était raconté ou à y chercher une lecture psychanalytique ou métaphorique. Je me suis laissée porter par la superbe écriture chamanique de l'auteur, je me suis mise « en mode onirique » comme certains personnages dans le livre. J'entendais la voix du narrateur comme s'il narrait à haute voix un très vieux conte plein de sagesse, de malice, de cauchemar et de poésie.

Et j'ai aimé cette expérience à la fois inclassable et stimulante. J'ai aimé cet ailleurs littéraire qui convoque un imaginaire très excitant, m'évoquant l'univers d'Enki Bilal avec en bande-son lancinante et mystique le This is the end des Doors, susurré et hurlé par Jim Morrison.

La fin m'a totalement décontenancée car je ne l'ai pas vue arriver, j'avais l'impression qu'il me restait encore plein de pages à lire. C'était brutal, et j'étais déçue qu'elle ne revienne pas factuellement sur le prologue en le complétant ou apportant une réponse. J'attendais bêtement un bouquet final classique. En relisant les dernières pages, je les ai finalement trouvées certes frustrantes, mais cohérentes, en écho à la dernière seconde qu'il reste à vivre à Sam. Des dernières gouttes de vie à suspendre pour l'éternité.
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« Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable ».

Cette citation d'Apollinaire sied à merveille au dernier opus d'Antoine Volodine. Goutte essentielle d'huile volodinienne, « Vivre dans le feu » concentre avec tendresse et facétie en effet tous les éléments de l'univers chamanique de ce singulier auteur qui a su développer, au fil des livres, un monde à nul autre pareil.

Ce roman est situé, comme tous les autres romans de l'auteur et également les romans de ses nombreux pseudonymes, dans le courant post-exotique qu'on pourrait qualifier, pour imager grossièrement, de post-post apo, la catastrophe étant désormais plus qu'un vague souvenir et la société entièrement détruite, quelques âmes errent et seul le clan a valeur de refuge. le post-exotisme c'est la dystopie ultime qui l'éloigne ainsi de la science-fiction pour former un courant singulier et marginal où les repères spatio-temporels ont explosé, où les codes sont autres, où rêve et réalité se confondent.

Nous faisons la connaissance du soldat Sam destiné à finir dans le feu. En effet, alors que lui et ses hommes, en terrain découvert, font face à l'arrivée inéluctable d'un nuage orangé de napalm déversé par avion, ne pouvant plus ni fuir ni se cacher, puisqu'il est certain de mourir, qui plus est dans d'atroces souffrances, il décide de faire un pied de nez à l'inéluctable et, les quelques secondes restantes, de composer un roman, un petit « roman hurlé, en accéléré ». Quelques microsecondes suffisantes, le temps d'un craquement d'allumettes, le temps d'un clignement de paupières, ou encore d'un ultime pétillement d'agonie, pour fuir dans l'imaginaire à défaut de fuir physiquement, avec dignité, face à la douleur sans doute inouïe qui déferle.

« Et vu comme ça, au jugé, je dispose d'une seconde. J'ai donc tout mon temps ».

Dans cette grandiose mais brève aventure imaginaire, Sam invente une histoire fantastique et fantasque, il s'imagine membre d'un clan composé de tantes et de grands-mères, d'une petite poignée d'oncles aussi. Les tantes de Sam cherchent à lui apprendre à « vivre dans le feu ». Des femmes belles et fortes, chamaniques, des femmes ancestrales, sans âge, qui ne sont menacées que par ce qui reste de la société, tueurs en tout genre, hommes et femmes davantage mus par la violence et les instincts primaires que par la volonté de refaire société. Cette dernière, en tant que telle, est détruite depuis bien longtemps.
Manuel pour débutants expliquant comment être dans les flammes, mentionnant la déformation de l'espace-temps à l'intérieur des flammes, travaux pratiques, expériences, anecdotes, voilà ce que lui transmettent ces tantes et grands-mères, certains hommes de la famille ayant pour destinée de vivre dans le feu. Pourquoi pas Sam ? Ainsi décident-elles de lui transmettre le flambeau si on peut dire, de lui donner de solides leçons de feu pour savoir exister dans le feu et arrêter d'être étranger au feu. Faire l'éternité entre deux flammes.

« L'habituation au feu n'est pas chose facile. J'en parlerai plus tard si les événements ne se précipitent pas ».


Si le feu nucléaire de Terminus radieux laisse place ici aux flammes du napalm, les paysages sont très proches de ceux traversés dans les autres livres de l'auteur, un paysage redevenu sauvage composé d'immenses steppes aux herbes hautes et sèches, ondulantes, vertes et argentées, aux fleurs et graminées comme les aime l'inventif Volodine, « touffes d'avoine sauvage, mirmine-bréhaigne, fière-mirmine, shizane –violette », immensités entrecoupées par endroit par des étendues désolées, anciennes mines, vestiges éparpillées d'anciens déserts industriels, ou casses immenses. La poésie émane de ces lieux désolés et hypnotise, un peu à l'image des photographies de lieux abandonnés, l'urbex.

« Jeep hors d'usage, berlines cabossées, écrasées, autocars désossées, démantelés, incendiés, caravanes éventrées, citernes vides, déchirées, camionnettes, camions, machines agricoles aux fonctions indiscernables, engins de chantier, matériel de l'armée. Coulures d'huile de vidange, odeurs jamais disparues de pneumatiques, de peinture en désagrégation, de carburants divers, de matières plastiques déjà en miettes. Un monde silencieux, puant, dangereux et désert. Un immense labyrinthe, trois dimensions qui s'étendait sur des kilomètres ».

Cette marche dans le Bardo nous plonge en mode onirique au sein d'une zone ténébreuse. L'aventure des morts ou des quasi-morts qui vont dans l'espace noir en direction d'une hypothétique renaissance ou simple survie, est une nouvelle fois mise en valeur, ici de façon très réaliste.
Roman tribal par ailleurs, cette famille dysfonctionnelle semble davantage régie par les lois claniques d'une tribu dans laquelle le noyau familial classique, père/mère/enfant, n'existe pas. La parenté concerne les oncles, les tantes et les grands-mères. le clan est la structure centrale dans l'éducation de Sam et la transmission familiale porte sur des valeurs étranges, des dons non-humains. Un clan qui casse les codes avec nos propres structures familiales et notre acception de la transmission. Les codes sont différentes, j'en veux pour preuve l'inceste qui n'est ici pas un tabou.

Alors que le sujet est atroce, mourir dans du napalm n'est pas sans rappeler de sombres moments historiques depuis l'holocauste en passant par l'image insoutenable de cette petite fille au corps ravagé, j'ai trouvé que l'humour noir était très présent et d'ailleurs dès l'incipit. Humour noir et humour fantastique lorsque l'on pense aux homoncules de Tante Yoanna qui a, en modèle réduit et à sa merci, dans une sorte de terrarium, des hommes qui dans la vie l'importune…De quoi leur faire faire ce qu'elle veut. C'est croquignolet à souhait…


Toujours aussi sombre, étrange, radicale, mais peut-être un peu moins sensorielle et poétique que mon préféré de Volodine, Des anges mineurs, mais paradoxalement plus facétieux, voire drôle, la dernière pierre de l'édifice post-exotique de Volodine n'est certainement pas la plus importante de l'édifice mais c'est sans doute la plus accessible du fait de la malice évoquée. Ce livre est d'autant plus important qu'il s'agirait du dernier livre signé Volodine dans l'épopée post-exotique, terminus incandescent qui en rend la lecture d'autant plus touchante.

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« Ma dernière cendre sera plus chaude que leurs vies » carnets de la poétesse russe Marina Tsvetaieva réunis par Tzvetan Todorov dans ‘Vivre dans le feu'.

Gros Plan sur l'image du napalm, symbole de la violence de la guerre et de l'impuissance des populations civiles.
Au coeur du tableau, dans une guerre innommée, le soldat Sam : il va mourir, c'est une affaire de secondes, le temps que la fureur du feu le saisisse.
Puisque l'on va mourir, « autant composer … un petit roman hurlé, en accéléré ». Avant que tout se termine, il faut « voyager une dernière fois », « dire tout, inventer tout, ne pas s'affoler en face de l'indicible ».
Et nous découvrons des « narrats », plus ou moins longs, une narration éclatée. Vont se succéder d'étonnantes figures féminines, cousines, tantes ou grands-mères, unies dans le brigandage et le chamanisme.
Réduction des pères en homoncules évoluant dans un monde souterrain .Funérailles traditionnelles du grand-père Bögdrom : découpe et abandon de sa dépouille aux vautours. Sam raconte sa formation aux techniques permettant d'entrer dans « le monde noir » et de vivre enfin, dans le feu.
Ce dernier livre signé Volodine, écrit avec limpidité, sans les complexités langagières et narratives des précédents pourrait désorienter certains lecteurs déjà accoutumés à l'auteur.
Pour les autres, au contraire, ce sera une introduction au « Post exotisme ».
Elli Kronauer, Manuela Draeger (pour la jeunesse) Lutz Bassmann, Antoine Volodine et même un collectif '' Infernus Iohannes ‘', (peut-être d'autres !), sont les écrivains de ce mouvement. Mais, tous, sont des pseudonymes derrière lesquels se cache le nom du seul véritable auteur de ces romans.
Chacun de ces écrivains devient «réel», avec sa maison d'édition, son style.
D'abord sans vision d'ensemble, la suite des oeuvres aboutit à une somme qui se différencie de la science-fiction. se signale par sa radicalité, son étrangeté, son humour noir, sa poésie.
Ils construisent un monde onirique, hanté par l'histoire des tragédies humaines du XXe siècle, la révolution et sa violence, où le chamanisme et le livre des morts tibétain ont leur part.
On a parfois tenté de le décrire comme une tentative de « créer un univers étranger à la culture française et francophone et d'écrire en français une littérature étrangère ».
D'abord orienté politiquement par l'effondrement des rêves humanitaires : fin des idéologies, basculement de la révolution vers sa caricature, sa trahison.
Puis évoluant vers le refus d'une « écriture de la clarté », une mise en cause des romans qui se veulent politiques parce qu'ils abordent des sujets sociaux mais ne développent par là que des écrits plats. Persuadé que littérature et politique ne peuvent se rencontrer que dans l'invention formelle et l'imagination.
Bien sûr, les lecteurs de ces ouvrages ont le sentiment d'appartenir à une communauté, comme celle des proustiens, qui sait que les temps les plus sombres peuvent avoir aussi les « éclats trompeurs de la transparence communicante ».

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Ce dernier roman de Volodine se présente comme une sorte de chronique familiale à la première personne : le narrateur et héros, Sam, sur le point d'être consumé dans un bombardement au napalm, emploie sa dernière seconde de vie à raconter, en douze chapitres, ses rencontres avec une infinité de grands-mères et de tantes variées, dans un univers post-apocalyptique situé dans un avenir lointain, bien après l'effondrement de la civilisation telle que nous la connaissons. le lecteur rencontrera les éléments familiers qui font le charme des autres romans de Volodine, et ce sera pour lui un plaisir de redécouverte et de retrouvailles. En revanche, qui voudra savoir si le romancier a progressé et fait évoluer son univers, s'il n'a pas caché dans les replis de ses pages quelques malices post-exotiques, numérologiques et bardo-tibétaines, devra soumettre ce petit roman à un examen et à un épluchage minutieux qu'il ne me semble pas absolument mériter. Faire loger tout un univers et ses récits dans la dernière seconde de vie d'un héros, est un procédé qui rappelle Clive Barker, si je ne me trompe, et aussi Jorge-Luis Borges, mais je n'ai pas poursuivi plus loin l'analyse. Que d'autres, plus passionnés et plus intéressés, s'y consacrent.
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À une seconde d'être incinéré par une bouffée de napalm, le soldat Sam crée pour nous un roman chamanique et politique, redoutable et réjouissant. Un nouveau sommet, paradoxal et invaincu, du post-exotisme tel qu'on l'adore.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/06/02/note-de-lecture-vivre-dans-le-feu-antoine-volodine/

Le soldat Sam va mourir dans un instant, immolé par l'une de ces giclées de napalm dont les militaires sûrs de leur fait, face aux guérillas insistantes, ont longtemps eu le secret. « Comment rester immobile quand on est en feu ? » auraient pu écrire Vanessa Veselka ou Claro en pareille circonstance. Mais Sam appartient au post-exotisme d'Antoine Volodine et de ses hétéronymes, dont « Vivre dans le feu », paru en janvier 2024 dans la collection Fiction & Cie du Seuil, constitue le quarante-septième volume officiel, antépénultième étape prévue d'un parcours fixé de longue date à 49 interventions : plutôt qu'à quelque flash rétrospectif, il préfèrera donc, en adéquation avec la culture le plus souvent souterraine d'une littérature « carcérale, de la rumination, de la déviance mentale et de l'échec » (comme l'appelait, entre autres qualifications, l'auteur porte-parole lui-même au détour d'une conférence reprise dans l'indispensable « Désarroi – Tout autour du gouffre ») qui hantent ces couloirs-là, consacrer cette ultime seconde à l'invention d'un roman complet.

« Vivre dans le feu » se présentera donc à nous, in fine, comme l'explosion sereine d'une ramifiée affaire de famille : le soldat Sam y convoque en une succession de chapitres plus ou moins brefs un certain nombre de figures auxquelles il serait apparenté, figures qui se succèdent en une série de fondus-enchaînés ou comme en se transmettant mine de rien bâtons de parole ou bâtons à message. Grand-mère Rebecca, Tante Moïrane, Tante Yoanna, Tante Maïa, Oncle Slutov, Tante Mahsheed, Grand-Mère Padaraya, Tante Sogone, Grand-Mère Wolfong – et bien d'autres figures plus discrètes, ou n'intervenant qu'en tant qu'éléments, de décor ou de déclenchement, mais jamais purement annexes – se succèderont ainsi pour nous aider à dresser, autour de Sam et de sa probable capacité, rudement acquise jadis (« Mes premières leçons de feu n'ont pas été concluantes pour moi, et, pour mes instructrices, elles ont été désastreuses »), à vivre dans le feu (au sens propre comme à un bon nombre de sens métaphoriques, naturellement), un redoutable paysage de quasi-vie et de quasi-mort, de quête interstitielle et souterraine, de télescopages fructueux et insensés, de matériels militaires et de matériaux mystiques (on bondira sans doute de joie en voyant apparaître soudainement le motif ancien de la draisine – en même temps d'ailleurs que le noir absolu qui caractérisait le « Black Village » de Lutz Bassmann et que les instructions hurlées du « Slogans » de Maria Soudaïeva, reprises désormais dans le « Débrouille-toi avec ton violeur » d'Infernus Iohannes), tous abandonnés – ou presque. C'est que, comme le souligne Antoine Volodine dans le « Désarroi » sus-cité, si cette littérature fut bien nommée un jour comme un post-exotisme anarcho-fantastique (ayant perdu dans la transmission critique extérieure son adjectif pour ne conserver, abusivement en quelque sorte, que son nom), elle est aussi – et parfois surtout, songeons au « Kree » de Manuela Draeger, pour ne citer qu'un seul exemple extrême – « un édifice romanesque qui a surtout à voir avec le chamanisme, avec une variante bolchevique de chamanisme ».

« Vivre dans le feu », à deux étapes du terme du parcours, constituera ainsi sans doute l'une des plus vives et des plus paradoxalement réjouissantes illustrations de cette composante essentielle du formidable « À la recherche de la révolution perdue » que peut constituer le post-exotisme (anarcho-fantastique, donc).
Lien : https://charybde2.wordpress...
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critiques presse (5)
LeDevoir
03 juin 2024
L'ultime livre d'Antoine Volodine dilate l'espace et le temps.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
LeMonde
26 février 2024
L’écrivain très secret qui signe, entre autres pseudonymes, Antoine Volodine affirme être près d’achever son œuvre avec la parution de « Vivre dans le feu ». Une bonne raison de profiter de son incandescence littéraire, avant que le froid ne gagne.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
22 février 2024
Ce qui frappe surtout, c’est qu’il n’y a rien de pesamment testamentaire dans ce roman nerveux, d’une alacrité étincelante, plutôt bref et bien dans la manière d’un écrivain définitivement singulier.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
02 février 2024
Dans un instant Sam est mort. Il le sait. C’est là qu’arrive l’idée qui porte le livre : en lieu et place de sa vie, c’est « un petit roman hurlé en accéléré » qui va défiler dans sa tête, procédé narratif efficace qui fascine d’emblée le lecteur. « Je dispose d’une seconde donc j’ai donc tout mon temps », dit Sam, ce qui est très volodinien.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
09 janvier 2024
On commence "Vivre dans le feu" par le début, mais on pourrait tout aussi bien le prendre par la fin. Il est un cercle. Infernal.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Aux obsèques de grand-père Bödgröm, grand-mère Abazane a pris les choses en main et elle a officié comme si elle n’avait pas été séparée de son époux pendant les vingt dernières années, et comme s’il occupait encore une place essentielle dans ses sentiments. Personne ne lui a contesté son droit à jouer ce rôle, personne n’a remis en cause son autorité sur le déroulement des funérailles. La dernière maîtresse connue de grand-père Bödgröm, une femme de la forêt, était injoignable. Les autres étaient soit décédées, soit indifférentes à ce qu’était devenu leur amant. Quoi qu’il en soit, aucune n’aurait été capable d’organiser la cérémonie. Sans l’intervention de sa veuve officielle, grand-père Bödgröm aurait été déclaré sans famille et aurait été jeté dans une fosse commune par des employés municipaux. Pas une seule voix ne se serait élevée pour réclamer le corps du défunt et exiger pour lui un traitement plus digne que ce qu’on réserve aux inconnus ramassés sur les terrains vagues. mais grand-mère Abazane, prévenue on ne sait comment ni par qui de la mort de son ex-époux, n’a pas laissé traîner les choses et a endossé les habits et surtout les responsabilités qui, chez nous, reviennent à l’épouse délaissée par un mort. Elle s’est démenée, et c’est pourquoi, au lieu d’une glissade vers le fond répugnant d’une tombe collective, il bénéficiait de la présence d’une partie du clan, et de l’ensemble des rituels qui accompagnent, pour les gens respectables, la sortie vers le néant.
Je ne sais pourquoi, grand-mère Abazane a insisté pour que je me place dans le cortège à côté de tante Maïa, et pour que je lui donne la main sans faire d’histoires.
Tante Maïa était un oiseau. Elle était nimbée d’un très léger mais permanent remugle de plumes et de guano, une odeur de faucon crécerelle ou de goéland en captivité. Je suis sensible aux odeurs mais je peux témoigner qu’on s’habituait très vite à celle-là, après une seconde ou deux de désarroi.
Je suis allé vers tante Maïa et je lui ai pris la main. Elle m’a serré les doigts et elle a tourné vers moi son visage de magicienne. J’étais très fier de devoir cheminer près d’elle et de lui offrir mon bras, et, même si au premier contact je m’étais senti dérangé par ce qui venait à mes narines, j’ai évité de le montrer. J’ai balayé des yeux la fantastique beauté de ses traits, et je ne les ai pas baissés quand ils ont croisé les siens. J’avais à cette époque un air ahuri qui me permettait de fixer les gens sans qu’on y vît de l’impertinence. Tante Maïa m’a rendu mon regard. Ses prunelles paraissaient coulées dans un mélange d’or liquide, de miel de sapins et de cuivre brun. La légende colportait que d’un seul coup d’œil, d’une seule œillade, elle pouvait rendre un homme éperdument amoureux, et que plus tard, si elle le désirait, si son prétendant l’importunait, il lui suffisait de lancer une autre œillade pour éteindre en lui toute velléité d’amour.
– Je crois que grand-mère Abazane veut nous marier, ai-je plaisanté.
– Quelle vieille chouette ! s’est exclamée tante Maïa.
Nous nous sommes insérés dans le cortège. La dernière rangée de maisons franchie, nous avons pris plein ouest, la direction des montagnes qu’on appelle les « Quinze jumelles noires ». Nous n’irions pas si loin, bien évidemment. Notre objectif était un contrefort pierreux où devait se dérouler l’ultime moment de l’existence de grand-père Bödgröm. Autour de nous, devant nous, la famille marchait tranquillement. Personne ne se lamentait ni ne pleurait.
– Ça te fait quel âge, maintenant, Sam ? a demandé tante Maïa.
– Vingt-neuf, quasiment trente, ai-je menti.
– Comme moi, a dit tante Maïa.
Elle aussi mentait. Dans notre famille, que ce soit pour mes grands-mères, mes tantes ou mes oncles, l’âge avait toujours été une valeur fluctuante, sans conséquence. Une sorte de supercherie dont on pouvait se moquer. Un peu comme si nous vivions dans un monde marqué par l’éternité ou par une élasticité variable de la durée, comme si nous avions bizarrement perdu les repères de la naissance et des générations. Si grand-père Bödgröm avait été interrogé sur son âge juste avant sa mort, il aurait par exemple assuré qu’il avait quarante ans, ou cent treize, ou n’importe quoi d’autre. Des chiffres idiots, ne correspondant à rien de vraisemblable.
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Début de la fin
L’avion a commencé son épandage de napalm en haut du village. Je ne sais à quelle civilisation modèle il appartenait ni en quel charabia le pilote conversait avec sa base et les donneurs d’ordre. Une langue d’assassins, forcément, mais peut-être pas de l’américain militaire basique. La coalition compte toutes sortes de tueurs et de nations tueuses et de partisans d’un nettoyage ethnique sans frontières, et les transfuges ne manquent pas. Alors, peut-être, quand il a appuyé sur le bouton qui déclenchait l’ouverture des déversoirs, le type aux commandes a-t-il bramé une formule enthousiaste dans un idiome qui ressemblait à ma langue maternelle. De l’américain militaire basique, mais avec un accent de plouc des hauts plateaux. Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça peut faire, la vilaine ou l’impeccable prononciation des assassins, à l’instant où ils lâchent sur nous des tonnes de bombes incendiaires ? Ça ne change pas grand-chose, pour nous, qu’ils soient les ennemis de toujours ou des traîtres récemment ralliés. Maintenant que le liquide enflammé se dirige vers nous à la vitesse d’un tsunami de cauchemar, ça ne change pas grand-chose.
Nous nous trouvons en terrain découvert et nous sommes en plein sur la trajectoire de l’immense nuage orange. La mort se précipite sur nous. S’abriter ? Fuir ? Chercher un abri est une pauvre idée absurde. Se mettre à courir n’a plus aucune signification. Dans très peu, très peu de temps, nous serons drapés dans l’horreur, sans air pour hurler, nous serons enveloppés d’une souffrance inouïe. Mais, à l’avance, on ne sait pas à quoi elles vont ressembler, cette horreur, cette souffrance. Évidemment, on souhaite que ça dure le moins possible. Mais on ne sait pas. Pareil pour la suite. Rien. Plus rien ?… Ça aussi, on le souhaite.
Soudain je ne pense plus aux autres à côté de moi. je suppose qu’on ne nous distingue plus, un groupe de dix soldats indigènes, en coton kaki puisque c’est la guerre, terrorisés, désespérés, envahis de haine ou de rage, tous de la même taille et avec la même expression d’idiotie finale. De scepticisme idiot en présence de l’inéluctable. Je les ai regardés une dernière fois sans avoir le temps de les reconnaître, et maintenant je ne les vois plus.
Je ne les vois plus.
C’est comme si j’avais déjà oublié leur existence.
Je ne pense plus qu’à moi.
Je suis sur le point d’atteindre le dernier moment, celui où on passe en revue tout ce qu’on a vécu, de l’enfance à l’âge adulte et à sa conclusion brutale. Comme tout le monde j’ai entendu ceux qui prétendent que, pendant l’ultime sursaut, le film de la vie se déroule en accéléré derrière les paupières, à toute vitesse, offrant au condamné une somptueuse satisfaction de cinéphile. Je n’en ai pas encore fait l’expérience, mais ça m’étonnerait. J’ai plutôt tendance à imaginer que la conscience en panique n’arrive plus à fonctionner, qu’elle se bloque sur une unique image du présent. Une image qui s’arrête, accompagnée par une sensation de basculement sans remède. Même pas un souvenir précis, agréable ou non. La conscience crie une dernière image inutile. L’abominable certitude est là. Et quand le cri s’éteint au milieu des flammes et de la douleur, je suppose que c’est encore pire.
Mais bon, assez spéculé.
Va savoir ce qui se passe pendant l’instant suprême.
Voilà, je ne pense soudain plus qu’à moi. Il faut dire que je ne vois plus du tout les autres. Et là, droit devant, une gigantesque vague, avec déjà ses embruns de kérosène.
Je me retiens de respirer. Je déteste cette odeur.
Et puis, bon, puisqu’on en est là, autant réagir. Après tout, pour cet ultime pétillement d’agonie, plutôt que visionner le film de ma vie, cette suite apocalyptique que je connais par cœur et qui ne m’apportera aucun plaisir de découverte, autant composer un roman. Un petit roman hurlé en accéléré, à toute vitesse. À la va-vite. C’était dans mes cordes, autrefois, pas de raison que ça rate ici, même si les circonstances m’empêcheront de revenir dessus pour corriger répétitions et maladresses.
Voyager une dernière fois. Dire tout, inventer tout, ne pas s’affoler en face de l’indicible.
C’est dans mes cordes.
Et vu comme ça, au jugé, je dispose d’une seconde.
J’ai donc tout mon temps.
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Mais bon. Je ne pensais aucun mal de tante Yoanna. Je ne faisais pas partie de ceux et celles qui répétaient mentalement, et à coup sûr sans les adoucir, les accusations de cauchemar de grand-père Bödgröm. Et je me rendais chez tante Yoanna sans me poser de questions.
L’entrée une fois franchie, on était invité à s’asseoir dans la pièce principale, organisée et décorée d’une manière qui rappelait l’intérieur d’une tente de nomades plutôt qu’un logis petit-bourgeois. On prenait place sur les coussins et on avait aussitôt entre les mains un verre de thé très sucré, pimenté avec des herbes et des graines dont elle vantait les sucs, les qualités curatives, hallucinogènes ou aphrodisiaques – le commentaire variait selon l’hôte. Pour moi, elle privilégiait des décoctions hallucinogènes.
– Tu les tiens de qui, tes connaissances sur les herbes ? demandais-je.
Elle souriait malicieusement.
– Ben tu sais bien que je suis un peu sorcière, disait-elle sans répondre.
Le long des murs, sur les armoires basses, trônaient de gros bocaux en verre épais, d’une contenance de dix ou douze litres. Ils hébergeaient des embryons dans de l’alcool. Le liquide était trouble, les fœtus y flottaient sans grâce, blêmes et difformes, avec des têtes d’aliens hydropiques. Cinq fœtus, à mon avis sans anomalie autre que leur état navrant d’incomplétude recroquevillée.
Je me levais, j’examinais cela sans grand plaisir, et, quand j’avais fait le tour des bocaux, je revenais m’asseoir sur les coussins.
– Oh, ce n’est pas une collection grandiose, commentait tante Yoanna.
– Ça m’étonnerait qu’il y en ait une de pareille ailleurs dans le monde, bafouillais-je en réponse.
– C’est vrai, Sam, elle est unique, approuvait-elle avec une pointe d’ironie.
En réalité, la collection de tante Yoanna se trouvait ailleurs. Celle qu’elle exposait dans son salon était destinée à donner le change, à satisfaire les amateurs de monstruosités et à faire taire ceux et celles qui étaient sous l’influence de grand-père Bödgröm et ne croyaient pas à la réalité de son petit musée.
Un jour, alors que nous étions tous deux vautrés sur les coussins multicolores du sofa et que nous bavardions à propos de tout et de rien, tante Yoanna a orienté la conversation sur la famille, sur mon attachement à la famille, à mes grands-mères, à mes oncles, sur mes relations avec la théorie du sang, avec la théorie du feu, sur mon rapport à l’idée de vengeance. Je savais depuis longtemps qu’elle m’avait en sympathie, mais là, je me rendais compte qu’elle n’était pas sûre du jugement qu’elle portait sur moi, et qu’elle me sondait pour avoir des certitudes sur le genre de garçon que j’étais devenu. Je revenais d’un séjour chez des oncles éloignés qu’elle n’avait pas vraiment à la bonne, et elle voulait savoir s’ils ne m’avaient pas mis dans la tête des sottises, des mièvreries sociales-démocrates ou des nostalgies inappropriées ou apocalyptiques. Elle souhaitait vérifier que je n’avais pas changé au cours des derniers six mois.
Elle me posait des questions de plus en plus indiscrètes et pointues.
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Les proches du défunt rémunèrent les fossoyeurs, mais ils les méprisent, ils les craignent, et pour rien au monde ils ne s’aventureraient à leur serrer la main. D’ordinaire. Mais grand-mère Abazane ne l’entendait pas ainsi. Elle avait été élevée chez des gens de très basse caste et elle ne ressentait sans doute aucun dégoût envers les misérables du bas de l’échelle, les travailleurs chargés de remettre le défunt aux envoyés du ciel. Peut-être aussi souhaitait-elle vérifier de visu que grand-père Bödgröm allait bel et bien être tronçonné, tranché et malaxé en boulettes jetées aux oiseaux, selon le rituel établi depuis des siècles. Les boulettes seraient englouties par les oiseaux, elles feraient un très court voyage à basse altitude et, qu’on le veuille ou non, elles finiraient sous forme de crottes puantes.
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Les chats. Des bêtes affectueuses, facilement ronronnantes, mais qui ne se laissaient caresser que par elle et qui crachaient quand on voulait leur faire des câlins. En réalité, une pure excroissance organique de ma grand-mère, des compléments fauves qui n’obéissaient qu’à elle. Zahime, Dadouk, Mimine, Chichi, Mitsuko. On avait envie de se frotter languissamment à eux et, dès qu’on approchait la main, on se prenait un coup de griffe.
L’air sentait le renfermé animal, la fourrure, les biscuits trempés dans du lait, le parquet de nombreuses fois compissé, les vêtements en laine. Sans oublier les aigreurs mal dissimulées d’un corps de vieillarde.
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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