Les désarrois de l'orphelin Toku Misa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko, plus simplement Moise, alias
Petit Piment.
Alain Mabanckou le sorcier s'amuse, et derrière les rires, les danses des pygmées rythmées par le prêtre Zaïrois Papa Moupelo visitant l'orphelinat tous les samedis, il nous fait partager la fièvre qui enflamme les petits, leur fait oublier les punitions, les sévices corporels : en un mot ils retrouvent, en plus de la Bible, leurs racines, le bercement du chant des griots, la transe du saut de la grenouille qui « exigeait une souplesse de félin, une rapidité d'écureuil pourchassé par un boa, et surtout ce déhanché remarquable …. »
Non seulement ce prêtre leur fait chanter des stances traduites en lingala par les missionnaires européens, dans lesquelles leurs croyances, leurs légendes, leurs contes sont recueillies, mais surtout « cet homme plein de bonté nous vendait l'Espérance au prix le plus abordable parce qu'il était persuadé que sa mission était de sauver les âmes, toutes les âmes de cette institution. »
Le lingala n'est pas la seule langue, et les habitants de Pointe-Noire pas tous de la même ethnie : ils se reconnaissent par leur gastronomie (un peu comme nous les français connus des anglais comme mangeurs de grenouilles et d'escargots), les uns mangeant des chenilles, de la viande de requin, du chien ou du crocodile. C'est un monde écartelé entre les ethnies, les rivalités politiques, la haine des Ponténégrins ( habitants de Pointe-Noire) pour le Zaïre.
Le tout pimenté par la manière de voir le monde truculente et bon enfant du
Petit Piment, racontant avec ses mots la classique guerre entre nordistes et sudistes.
Car justement, le nouveau directeur de l'orphelinat est sudiste, et donne dans la révolution, s'attaquant à « l'impérialisme et ses valets locaux ». Humour de Mabanckou, quand on sait combien ces mots ont été dits et répétés parmi l'intelligentsia africaine dans les années 60. La Révolution vue par un enfant ! Lui même quand il fait une bêtise a peur d'être qualifié de « petit valet local de l'impérialisme » !
Dans le monde intérieur de Moise, s'entremêlent le pharaon Egyptien, bête noire des Hébreux, Robin des bois, Alcatraz, le trafic des compteurs d'eau et d'électricité, que chacun s'arrange pour ne pas payer, les partis politiques, avec leurs mots d'ordre avant chaque élection, et aussi, l'importance de la culture africaine : la force de la sorcellerie des jumeaux, et la déesse ancestrale Mami Wata, puissance de l'eau, mi femme mi poisson, les uns comme l'autre aussi féroces et craints que révérés en Afrique de l'ouest.
Sans doute pour provoquer, Mabanckou plagie sciemment ou cite intelligemment ( ainsi qu'il le fait dans
Verre Cassé, voir l'excellente liste d' andras):
« on ne nait pas pute, on le devient », Quand Moise mange, il « ne sait pas séparer le bon grain de l'ivraie ». Les chats n'ont apparemment pas lu la fable du rat des villes et du rat des champs, beaucoup plus peinards et loin des Bembés qui les chassent pour les manger. Lorsqu'il a un champ d'épinards, il essaie de copier le fameux geste auguste du semeur, et voudrais aussi aller cracher sur la tombe de celle qui l'a abandonnée.
Rabelesque, ironique, rendant bien le foisonnement de la vie africaine, dramatique, comme toute vie, où la sorcellerie est bien présente, la folie aussi, sûrement plus vivante que la vie occidentale, plus juteuse, plus colorée, plus tendre aussi bien que vue par un des plus pauvres, honnête quant aux misères de sa société, et aux misères de ce petit Moise. Grand livre.