Dans le but d'attirer le chaland, la quatrième de couverture annonce que « Trois coeurs, trois lions » est l'un des romans fondateurs de la fantasy moderne. C'est un poil exagéré.
Certes, il y a des éléments qui plaident en ce sens. le roman commence façon « portal fantasy » avec Holger Danske, en mauvaise posture pendant la seconde guerre mondiale, qui est transporté dans un monde différent et quelque peu déstabilisant. Puis
Poul Anderson développe les notions du combat éternel entre la Loi et le Chaos, de l'existence d'un multivers où tout ce que l'on peut imaginer existe quelque part, et du champion éternel qui s'incarne d'une façon ou d'une autre dans chacune des réalités afin de rétablir la balance entre les deux Forces.
Comment ne pas songer à l'univers de
Michael Moorcock en voyant ça ? Ce dernier a-t-il vampirisé toutes les idées d'Anderson ? Pas sûr, car
Moorcock a débuté Elric en 1961, année de publication de Trois Coeurs, Trois Lions justement. A mon avis il y a eu interaction plus qu'inspiration. En tout cas,
Poul Anderson développe ici des idées qui seront souvent reprises.
Maintenant, la fantasy moderne n'a pas attendu 1961 pour être fondée.
Poul Anderson lui-même avait déjà publié
l'Épée Brisée sept ans plus tôt, qui fleure plus la fantasy que Trois Coeurs, Trois Lions. Je dis ça car, bien que le roman exploite un grand ensemble de mythes et légendes comme le cycle Arthurien, les romans de Charlemagne, la Faërie ou les loups-garous, il exploite aussi le fait qu'Holger Danske vient de notre monde. Ingénieur de son état, c'est autant par ses connaissances scientifiques que par son épée qu'il parvient à défaire ses ennemis fabuleux. J'avoue avoir adoré cette approche plutôt originale qui permet à
Poul Anderson de jouer sur les deux cordes de son arc : fantasy et science-fiction (faisait-il la distinction d'ailleurs ?).
Le ton du roman est léger avant tout (à l'opposé de
l'Épée Brisée). Il y a beaucoup d'humour, y compris dans certains combats. Il faut attendre la proche fin pour que l'atmosphère s'alourdisse, une fin traitée de façon surprenante je dois dire. Je ne m'attendais pas à ça. J'ai apprécié l'intention de laisser des choses en plan et d'offrir à l'imagination du lecteur de quoi combler les blancs, mais j'ai aussi conscience que certains lecteurs risquent de détester ça.
Le roman est complété par deux nouvelles qui ont pour héros l'auberge du Vieux Phénix. Vous savez, c'est le genre d'endroit hors de l'espace et du temps où des héros de divers univers peuvent se retrouver pour boire un canon et tailler une bavette.
Poul Anderson utilise ici ce complément indispensable à un multivers —
Moorcock jouera avec pour permettre des rencontres entre Elric, Corum, Hawkmoon et Erekosë — avant tout pour satisfaire son goût de l'Histoire (oui, Poul aime l'Histoire ; il n'y a qu'à lire
la Patrouille du Temps pour s'en convaincre). On rencontre peu de ses héros mais beaucoup de vedettes de l'Histoire. La première nouvelle, écrite en 1976, est plutôt amusante quand la deuxième (1991) est assez grave.
Dans la préface, il est dit que
Poul Anderson a écrit une rencontre au Vieux Phénix entre Holger Danske, le prince Ruppert héros de « Tempête d'une Nuit d'Été » et Valéria Matuchek, la fille des héros de «
Opération Chaos », matérialisant ainsi réellement son multivers.
Malheureusement ce n'est pas dans ce livre. Il va falloir que je lise les deux autres opus. Quelle plaie ! ^^