Tableau d'une société qui pourrait être la nôtre,
Grands carnivores confirme tout le talent d'écriture de
Bertrand Belin qui publie là son troisième roman après
Requin et
Littoral. C'est la première fois que je le lis alors que je l'ai vu et apprécié sur scène à plusieurs reprises dont cet hommage émouvant à Paul Otchakovsky-Laurens (
P.O.L.) son éditeur, avec
Rodolphe Burger, aux Correspondances de Manosque 2018. Quelques années auparavant, un film lui avait été consacré et avait été projeté au Train-Cinéma de Portes-lès-Valence.
Bertrand Belin étonne, subjugue dans ses chansons aux textes parfois énigmatiques mais toujours très poétiques et soutenus par une musique envoûtante. Quand il écrit un roman, il en est de même.
Dans
Grands carnivores, il ne cite aucun nom, présente ses personnages en les nommant par leur fonction ou leur rôle : le valet de cage, le peintre, le fondateur, le récemment promu… Je ne sais pas où il m'emmène, quelle est cette ville qui pourrait être n'importe laquelle de nos cités tentaculaires avec ces quartiers où sont rangés les gens suivant leur classe sociale comme dans le Labyrinthe pour les plus démunis. Pour le pays, il parle simplement de l'Empire et je n'ai pas envie d'y vivre !
Le récemment promu nouveau directeur des entreprises de boulons… trouve dans le fondateur quelqu'un d'encore plus obtus que lui, d'encore plus réactionnaire. Mais lui est surtout torturé par son frère, le peintre, qui réussit dans son art au mépris de toutes les rigueurs et disciplines qui semblent indispensables aux dirigeants.
Pour compléter le tableau et transformer le roman en fable grinçante, il y a ce cirque qui s'installe et dont le valet de cage, le premier soir, laisse échapper les fauves… Enfin, lui n'est pas d'accord avec cette version, il répète comme un mantra : « J'ai fait la merde, changé un os, la paille, refait les bassines et j'ai donné mon coup de clef. J'ai donné mon coup de clef et je suis rentré prendre ma soupe. »
Les fauves sont dans la ville, la peur s'installe, la peur gouverne et les puissants espèrent que lions et tigres, on ne sait pas très bien, s'en prendront aux plus faibles, aux isolés, aux malades.
Grands carnivores passe au scanner notre société. Son style épuré, ses formules qui reviennent comme des refrains m'ont permis de réfléchir à notre monde et, surtout, ce roman se révèle d'une criante actualité dans l'après confinement que nous vivons.
Le livre est court mais la prose de
Bertrand Belin me hante encore et je sais que, dès que l'occasion se représente – les spectacles, les concerts reprendront bien un jour ! – je retournerai baigner dans sa poésie et sa musique envoûtantes.
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