Livre lu dans le cadre de mon défi personnel de lectures 2024, item : "Lire un livre écrit par un acteur". J'avais celui-ci dans ma PAL (j'adore tout ce qui touche aux témoignages et autres récits de vie) donc, je l'ai choisi. Je ne suis pas particulièrement fan de cet acteur, j'ai apprécié certains de ses films, mais ce sont surtout le titre du livre (qui m'a interpelée) et le résumé (qui m'a touchée) qui ont été à l'origine de mon achat.
Pour la petite histoire, il faut savoir que L'Homme invisible est un film américain de 1933 qui est sorti en France en 1934 et a été suivi de multiples suites... Plus tard, en 1976, le film sera adapté en une série très célèbre en France.
Cet ouvrage évoque une tranche de la vie de
François Berléand (acteur français né en 1952) : de ses presque onze ans à ses dix-sept/dix-huit ans. Sous un "je" narratif et avec un registre de langue d'un enfant, il raconte avec beaucoup de pudeur, de naïveté mais aussi d'autodérision combien ses années d'enfance et d'adolescence lui furent pénibles à vivre, tant il prenait pour argent comptant tout ce qu'on lui disait. En effet, ses difficultés d'apprentissage ne lui ont pas permis d'intégrer très tôt certains des fondamentaux et notamment la raison d'être du langage. Comment, retardé dans ses acquis, peut-il comprendre quand son père lui assène en plaisantant qu'il "est
le fils de l'Homme invisible" qu'il ne l'est pas vraiment ? de là, François se tourne des films intérieurs complètement irréalistes mais qu'il justifie néanmoins en pensant que ses parents lui ont organisé, autour de lui, dans la rue, à l'école, avec ses relations amicales, avec les médecins qu'il rencontre... tout un monde adapté à cet état de fait pour lui permettre de ne pas en être trop affecté.
Un exemple : quand il veut vérifier qu'il est bien "invisible", chez lui ou dans la rue, il voit bien que son image apparaît. Mais par une déviation de son esprit, lui, pense que ses parents ont fait fabriquer dans l'appartement des vitres et miroirs spéciaux permettant de réfléchir son image ou fait apposer sur les vitres des magasins des films spéciaux lui permettant de rester visible.
S'ensuit toute une série de situations grotesques et de quiproquos qui, pourtant, ne l'éclairent pas et souvent le maintiennent dans une situation de peur, d'isolement, de honte et d'incommunicabilité avec les autres. L'épisode de la consultation avec le psychiatre Khan est révélateur. Enfermé dans son monde et ses secrets, incapable d'exprimer ce qu'il ressent et pourquoi, il donne au praticien l'image d'un enfant attardé voire mutique qui, donc, aurait besoin d'être accompagné spécifiquement dans ses apprentissages via des méthodes alternatives (dont on verra qu'elles sont plus ou moins douteuses). Dès lors, cela lui donne la confirmation qu'il est attardé puisque la société estime qu'il a besoin d'être dans ce type de classe, et renforce à la fois son manque d'estime de soin et sa paranoïa. Il est enfermé dans un cercle vicieux dont il n'a pas conscience et dont il ne cherche d'ailleurs pas à sortir...
Le lecteur suit donc
François Berléand dans les difficultés de sa vie quotidienne, à la fois avec ses proches, avec ses "copains" et "copines" d'école et ses différents professeurs, vers ses premières amours et expériences. Dans ses errements aussi... qui auraient pu le mener à la folie s'il n'avait eu la chance, en terminale, de rencontrer un psychologue qui, enfin, comprendra ce qu'il vit et lui ouvrira les yeux !
Il faut noter qu'il ne s'agit pas, de la part de l'auteur, d'une analyse a posteriori des faits. Il n'évoque pas ceux-ci de sa voix d'adulte. le lecteur est amené à suivre les événements racontés au présent. Il s'agit-là de poser ce qui a été, sans chercher à en faire une analyse introspective ni à tirer des enseignements. le propos s'arrête en terminale sur la phrase du psy (et dernière phrase du livre) : "Toi, tu devrais être acteur !" On comprend alors qu'il l'aura entendu.
Ce qui m'a émue dans ce petit livre (215 p.) qui se lit vite, c'est la solitude et la tristesse existentielles qui ont accompagné les jeunes années de l'auteur. La lectrice que je suis avait envie de le secouer et de lui dire "mais réveille-toi bon sang". Je ne comprends pas non plus comment les parents ont pu passer à côté de ce mal-être et de ces comportements déviants. Ce n'est pas qu'ils n'aimaient pas leurs enfants, mais force est de constater que tant la mère que le père n'étaient pas très proches d'eux ni à l'écoute de leurs détresses éventuelles.
C'est aussi un livre très éclairant sur le poids des mots que les adultes peuvent ainsi asséner à leurs enfants et la douleur ou l'incompréhension qu'ils peuvent générer s'ils ne sont pas totalement et correctement expliqués. Ici, clairement, François prenait tout ce qui lui était dit au premier degré, sans comprendre qu'il pouvait s'agir d'une plaisanterie, ou encore sans connaître le véritable sens des mots, ce qui lui ouvrait la porte à des interprétations malpropres ou à des délires paranoïaques.
C'est un récit intime qui concerne l'auteur, mais pas seulement. Il donne à voir un modèle éducatif qui devrait ne plus avoir cours (on l'espère). En effet, j'ose espérer que les parents d'aujourd'hui sont plus conscient du poids de leurs paroles en direction de leurs enfants, mais aussi de la nécessité d'être à leur écoute (y compris lorsque le silence pesant s'installe), de communiquer régulièrement avec eux et de les accompagner sereinement dans la construction de leur personnalité, sur le chemin de leur devenir.
En terminant la dernière page, on se dit : "Ouf ! Il a eu de la chance finalement en rencontrant cet homme. Qui serait-il devenu sinon ?"