Le grand auteur allemand
Heinrich Böll nous propose un portrait. D'ailleurs, le titre le l'ouvrage porte bien son nom : «
Portrait de groupe avec dame ». La dame en question se nomme Léni Pfeiffer, née Gruyten. Elle est belle, trop sans doute (cela attise les mauvaises langues) mais surtout mystérieuse. C'est comme si personne n'avait jamais su la déchiffrer ni comprendre les faits et gestes de sa vie. Et l'auteur-narrateur-enquêteur, bien qu'il reste toujours en retrait même s'il est constamment présent, fait de son mieux pour élucider ce mystère.
À travers les témoignages de multiples personnes (amies de jeunesse Margret Sclömer, née Zeist, et Lotte Hoyser, née Berntgen, domestique des parents Marja van Doorn, partenaire financier du père Otto Hoyser, enseignante au pensionnat soeur Clémentine, etc.), l'auteur parvient à dresser un portrait de Léni. Mais chaque nouvelle information soulève un mystère nouveau. C'est un casse-tête sans fin.
Sans nécessairement se contredire, les différents témoins livrent une image, une facette inattendue de Léni. Oui, elle semble être une femme correcte, une bonne Allemande, travailleuse, peu portée vers le luxe ou l'accumulation de richesse (elle se départit d'un immeuble, sous-loue des appartements à un prix dérisoire). Aussi très patriotique. Mais, en même temps, elle lit des auteurs juifs et se lie avec un prisonnier soviétique, qui deviendra le père de son fils. Et plus tard avec un Turc. Plutôt déroutant. Pourtant, même ceux qui dénoncent certains de ses revers (et qui pourraient faire en sorte qu'on en fasse un portrait peu flatteur) s'entendent sur ses qualités. Malheureusement, en tant que lecteur, nous ne disposons jamais de l'opinion, du point de vue ni même du moindre commentaire de Léni elle-même.
Qu'est-ce qu'il faut retenir de ce roman ? Peu importe tous les documents et tous les témoignages que l'on peut accumuler sur une personne, le portrait qu'on en dresse sera toujours incomplet. La preuve ? À la fin du roman, malgré toutes les informations qu'on dispose sur Léni, elle demeure un mystère. de plus, à travers et au-delà son portrait de Léni,
Heinrich Böll nous offre un portrait de l'Allemagne, allant de l'Entre-deux-guerre jusqu'aux années 70. La vie dans la petite bourgeoisie, l'éducation des jeunes filles, le rôle de la femme, le commerce important des couronnes de fleurs pendant la Seconde guerre mondiale, le sort réservé aux juifs puis aux prisonniers russes. Mais c'est à peine si Léni semble en avoir conscience. On dirait qu'elle est insensible à tout ce qui se passe autour d'elle, un simple voyageuse, perdu au milieu de ces années de tourmente.
Les romans de Böll ne sont pas d'approche facile. En tous cas, pour moi. Je sens toujours que je me livre à un exercice intellectuel ardu. Et il y a cette distance (quoique, dans ce cas-ci, l'approche journalistique ou d'enquête me semble appropriée). Mais, si j'accroche difficilement, je persévère toujours. Puis, tout d'un coup, il y a ce moment qui me perd complètement. Dans le cas présent, c'est le voyage qu'entreprend le narrateur-enquêteur en Italie pour questionner soeur Clémentine. Trop étrange à mon goût et, surtout, peu utile. le roman s'étirait et j'avais perdu l'intérêt à continuer dans le délire de l'auteur.
Je pense souvent à cet enseignant de littérature qui nous faisait lire des oeuvres indigestes ou pénibles et qui, pour nous encourager, nous vantait leurs qualités artistiques, leur originalité. Avec le recul, je me dis qu'il n'avait pas tort, mais cela ne rendait pas les romans plus accessibles ou intéressants. Eh bien c'est souvent à cet enseignant que je pense quand je lis du
Heinrich Böll ou encore du
Günter Grass. le chemin n'est pas aisé, je ne comprends pas tout, mais, malgré tout, j'en retire toujours quelque chose rendu à la fin. Même si je ne m'en rends pas compte sur le moment...