Le danger sociologique (
Gérald Bronner et
Etienne Géhin)
La sociologie, en France, a mauvaise presse. Souvenons-nous de la réaction de
Manuel Valls, face au terrorisme : « expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser» (8 janvier 2016).
L'essai de
Bronner et Géhin montre qu'il y a deux écoles en sociologie. L'école déterministe dans laquelle on peut ranger Bourdieu et ceux qui se réfèrent à ses travaux, et l'école analytique dont se réclament les auteurs. La première a le vent en poupe et est sollicitée souvent par les médias. La seconde est mal connue.
Or, la première, déterministe, défend l'idée que les individus sont complètement « déterminés » par leur environnement social. Elle ne tiendrait pas compte des avancées scientifiques concernant la connaissance du cerveau. Elle aurait surtout le tort de déresponsabiliser les individus en les coupant de leurs actes, comme s'ils n'avaient pas de libre-arbitre et que leurs motivations prétendues n'étaient pas leurs motivations réelles et ne pouvaient par conséquent pas leur être reprochées. Selon les auteurs, les sociologues déterministes considéreraient que les responsables cachés des actes commis sont toujours des entités extérieures : la société, le milieu social, le système, le capitalisme… La césure qui existerait entre les individus et leurs agissements s'apparenterait donc aux théories du complot qui considèrent qu'il existe une instance supérieure qui agit délibérément pour manipuler les foules. On trouve parmi ces déterministes, des gens comme
Christine Delphy qui a fait du patriarcat son « ennemi principal » et
Geoffroy de Lagasnerie, ce sociologue qui a « expliqué » les fusillades contre les terrasses des cafés par les djihadistes comme l'expression d'une révolte de classe, les terrasses des cafés étant considérées comme des lieux intimidants et discriminants. Ces sociologues utilisent la sociologie comme un « sport de combat » à des fins idéologiques.
En opposition, l'école analytique tient compte des avancées scientifiques dans le domaine de la connaissance du cerveau et dans les découvertes concernant la psychologie. Pour cette mouvance, les phénomènes sociologiques sont à étudier de manière méthodique. Ils sont imprédictifs et ne peuvent être imputés à une causalité unique, indépendante de l'ensemble des phénomènes psychiques observables chez chacun des individus qui constituent un collectif. le fonctionnement du cerveau serait le résultat d'une hybridation entre des dispositions innées et des implémentations acquises. Les neuro-sciences démontrent que le cerveau est infiniment complexe et que l'individu est sujet à des concurrences intra-individuelles entre des désirs contradictoires qui peuvent concerner le plaisir à long terme et le plaisir à court terme (exemple : j'ai envie de manger un gâteau = plaisir à court terme et j'ai envie de rester mince = plaisir à long terme) qui entraînent des conflits intérieurs qui peuvent être gérés d'une manière ou d'une autre…L'individu doit donc en permanence « arbitrer entre des valeurs, des informations, des objectifs ou des préférences et il ne le fait pas toujours de manière cohérente » parce que « la personnalité d'un homme n'est pas une entité homogène, mais un ensemble de contrastes, d'inconstances et de contradictions. » Selon
Max Weber, l'homme est « avant tout une tête, c'est-à-dire une liberté, ou en termes plus concrets, un agent autonome qui est capable de manipulation, et qui s'adapte et invente en fonction des circonstances et des mouvements de ses partenaires ».
On le voit, il s'agit donc de la mise en concurrence de deux thèses que tout oppose : d'une part une thèse dans laquelle l'homme ne serait que le produit de son milieu et une autre thèse dans laquelle l'homme aurait des choix possibles, même s'il fait de mauvais choix.
Il va de soi, que je préfère la seconde thèse même si elle est plus complexe à appréhender et qu'il est bien plus facile de dédouaner tout crime en l'imputant à des entités maléfiques qui nous gouverneraient.