Les grands auteurs ne meurent qu'une fois, lorsqu'ils quittent leur vie terrestre. Ils continuent à vivre tant que leurs oeuvres continuent à être lues et appréciées. Mais il y en a, grands auteurs eux-aussi, qui, ayant eu le bonheur d'être célébrés de leur vivant, tombent dans l'oubli une fois morts, et doublement quand leurs oeuvres cessent d'être publiées.
C'est un peu ce qui est arrivé à
Georges-Emmanuel Clancier (1914-2018), un de nos plus grands serviteurs de la littérature française. Auteur d'une monumentale histoire de la poésie française (1953-1963) et poète lui-même, on lui doit au moins deux chefs-d'oeuvre romanesques : La tétralogie le Pain noir (1956-1961) et
L'Eternité plus un jour(1969). Un auteur et une oeuvre à redécouvrir d'urgence.
Pour ma part, quand j'ai lu
L'Eternité plus un jour, j'avais une vingtaine d'années. Autant dire que je n'avais pas de mal à m'identifier à ces héros qui avaient le même âge que moi - à une autre époque, toutefois.
L'Eternité plus un jour est un roman attachant à plus d'un titre. C'est d'abord un roman sur l'adolescence, et plus encore sur les rêves forgés à cet âge, avec leur corollaire, ce qu'il en advient une fois adulte. Et quand cette transition entre adolescence et âge adulte coïncide avec une période troublée par la guerre, l'Occupation, la Résistance, la Déportation, les rêves, forcément, se fragilisent et parfois se fracassent. Reste l'amour. Et les enfants sont là pour reprendre la suite, et d'une certaine façon panser les blessures de la génération précédente.
L'histoire raconte le destin de deux couples d'adolescents, Henri et Elisabeth, réunis par la passion (brûlante) du théâtre, François et Hélène par celle de la psychiatrie. Autour de ce quatuor infiniment attachant, évolue une nuée de personnages secondaires qui eux aussi retiennent l'attention : André Couderc, le quincailler, amateur de jeux de mots mais écorché vif dans sa vie sentimentale (j'avais beaucoup aimé ce personnage dans lequel je me reconnaissais), les Russes Serge et Nicolas que la politique dressait l'un contre l'autre, leur soeur Théo, devenue folle après une déception amoureuse...
L'Eternité plus un jour rejoint ces grands romans qui à l'occasion des grands cataclysmes que sont les guerres, les catastrophes, font la part de la petite histoire dans la grande, quand les destinées individuelles essayent de surnager dans la grande tourmente, et finissent par y arriver parce que, d'une certaine façon, c'est la vie qui a le dernier mot.
Relire
Georges-Emmanuel Clancier est un bon service à lui rendre, il le mérite grandement. Et vous, vous n'aurez pas perdu votre temps, vous aurez eu un beau, un grand moment de lecture.