AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782213672533
584 pages
Fayard (08/05/2013)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Parce que je reviens d'où nul n'est revenu Vous croyez que je sais des choses. Et vous vous pressez vers moi. Tout gonflés de vos questions. De vos questions informulables. Vous croyez que je sais les réponses. Je ne sais que les évidences. La vie La mort. La vérité. Je reviens de la vérité. Prologue de Françoise, Qui rapportera ces paroles ?
Que lire après Qui rapportera ces paroles ? Et autres écrits inéditsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
«Certains ont dit que la déportation ne pouvait pas entrer dans la littérature, que c'était trop terrible, que l'on n'avait pas le droit d'y toucher… Dire ça, c'est diminuer la littérature, je crois qu'elle est assez grande pour tout englober.»
Témoignant de son expérience concentrationnaire, Charlotte Delbo nous donne donc à voir le cauchemar des camps.
Il y a une tension douloureuse entre la crainte d'une inutilité ou d'une impossibilité de témoigner de ce vécu, exprimée par exemple dans le prologue:
« Alors pourquoi dire
Puisque ces choses que je pourrais dire
Ne vous serviront
À rien »
et ce sentiment d'une nécessité pour les prisonnières, exprimé plusieurs fois, qu'une d'elles au moins survive pour rapporter leurs paroles - quelque chose d'assez fort pour leur donner la volonté de s'accrocher à la vie alors même qu'elle n'en est plus une.
« Il faut qu'il y en ait une qui revienne pour dire. Voudrais-tu qu'on ait détruit ici des millions d'êtres et que tous ces cadavres soient muets pour toujours, que toutes ces vies soient sacrifiées pour rien? »
Nous sommes interpellés, placés devant nos responsabilités - comment faire pour que ces paroles ne servent pas à rien?

Il n'y a pas dans cette tragédie de héros mis en avant, ce à quoi s'attache Charlotte Delbo, c'est le collectif, les relations des prisonnières - le héros, c'est leur solidarité, leur façon de se soutenir les unes les autres, de rester si humaines, la beauté de leur fraternité - ou plutôt sororité. On aimerait alors être à la hauteur de cette oeuvre, de cette écriture, on sent bien qu'il y a quelque chose d’essentiel, de précieux à apprendre non seulement de cette mémoire historique d'une « cruauté pure, horreur pure », mais aussi de ce sens du collectif, de la générosité tenace de ces femmes privées de tout.
Commenter  J’apprécie          190
Charlotte DELBO (1913-1985) est avant tout connue pour ses écrits historiques et en partie autobiographiques de son expérience de déportée à Auschwitz. Il faut absolument avoir lu sa trilogie « Auschwitz et après » rédigée entre 1965 et 1970 (mais certains fragments furent écrits bien avant), ainsi que son témoignage « le convoi du 24 janvier », le tout sorti chez Minuit et représentant un sommet de la littérature concentrationnaire. Ces quatre ouvrages furent déjà présentés sur le blog ici :

Le convoi du 24 janvier

Trilogie "Auschwitz et après"

Mais Charlotte DELBO a aussi écrit des pièces de théâtre, évoquant ou non la déportation. Dans ce blog avait déjà été commentée la pièce « Ceux qui avaient choisi » là, par ailleurs absente de ce recueil. Un précédent recueil réunissant deux pièces, « Une scène jouée dans la mémoire » et « Qui rapportera ces paroles ? » avait été également recensé ici, cette dernière pièce donnant le nom à ce recueil de quelques 600 pages (pour information, « Une scène jouée dans la mémoire » n'y figure pas).

Ces neuf pièces peuvent être découpées en deux thèmes très distincts : le théâtre concentrationnaire et donc en partie autobiographique, et le théâtre historique et politique.

Place tout d'abord au théâtre de souvenirs de déportation. « Qui rapportera ces paroles ? » est une adaptation théâtrale de 1974 du premier volet de « Auschwitz et après ? » intitulé « Aucun de nous ne reviendra », souvenirs effroyables mais jamais désespérés du quotidien des prisonnières à Auschwitz. « Et toi, comment as-tu fait ? » est quant à elle l'adaptation inédite de 1971 du troisième volume de la trilogie, « Mesure de nos jours », dans lequel des femmes évoquent « l'après », la reconstruction difficile voire impossible, la vie civile faite de fantômes du passé, une certaine inadaptation malgré la volonté de résilience. « Les hommes » est une pièce inédite de 1978, une pièce dans une pièce puisque des femmes tentent de monter un spectacle théâtral en pleine déportation, texte faisant inexorablement penser au « Verfügbar aux enfers » de Germaine TILLION. C'est celui qui clôt le présent recueil.

Les autres pièces représentent un panel riche de théâtre historique, politique et international. « La théorie et la pratique » paru originellement en 1969 est peut-être le récit le plus ardu, il imagine un dialogue soutenu et palpitant entre les sociologues Herbert MARCUSE et Henri LEFEBVRE. « La capitulation » est un texte inédit de 1968, traitant du printemps de Prague alors tout juste survenu et des accords entre tchèques (on dit alors tchécoslovaques) et russes, accords soudainement jugés obsolètes par ces derniers qui envahiront une Tchécoslovaquie désignée comme traîtresse à la cause communiste.

« La sentence » de 1972 est une représentation de femmes dans le pays basque rural de l'Espagne franquiste, et la lutte de ces femmes contre l'oppresseur, combattant vaillamment pour la liberté ainsi que pour ces hommes jugés par le régime fasciste. « Maria Lusitania » de 1975 met une fois de plus les femmes en scène dans le sud de l'Europe, au Portugal cette fois-ci, en pleine révolution des oeillets de 1974. Toujours le sud, avec ce roi marocain dans « le coup d'État » paru en 1975, dans lequel il va être question de la préparation du renversement du roi alors que l'anniversaire royal est célébré au milieu d'une foule de miséreux. Quant à « La ligne de démarcation », pièce inédite de 1975, elle revient sur les dernières heures de Salvador ALLENDE dans son palais de la Moneda de Santiago du Chili avant le coup d'État de PINOCHET.

Nous avons là un théâtre ample, brillant, fort, divinement écrit, empli d'une certaine grandiloquence – au sens positif du terme - qui n'est pas sans rappeler le théâtre d'Albert CAMUS, tant sur la forme que sur le fond. Autant dire que l'on atteint les hautes sphères théâtrales. Charlotte DELBO montre ici qu'elle fut une vraie militante, une combattante de la liberté, contre toute dictature, tout autoritarisme, en un féminisme affirmé. Et si elle a pris en exemple des faits historiques majeurs du XXe siècle, ce n'est nullement par hasard mais bien dans un désir de frapper fort et d'éveiller les consciences.

Charlotte DELBO déroule de manière précise sa pensée dans des textes lucides, poétiques, parfois teintés de tragédie grecque, jamais complaisants mais toujours pleins de compassion et d'empathie, de la part de celle qui est revenue de l'enfer sans savoir ni pourquoi ni comment. Mais qui a survécu. Et a décidé de se battre pour les autres, contre les dictatures, pour le peuple, pour les opprimés. « Pour moi, pour nous, les combattants de la liberté, il s'agissait de fonder sur des bases inébranlables la liberté, la justice, l'égalité entre les individus et entre les peuples. Nous voulions adopter tous ensemble un style de vie nouveau : la démocratie où le peuple est directement responsable des affaires, se gouverne, s'administre par le moyen d'instruments simples : les conseils populaires ».

Une figure de cet ordre manque cruellement en ce siècle désordonné et confus. Il n'en est que plus urgent de redécouvrir ce théâtre de lutte, résolument féministe, entre souvenirs et positionnement politique radical, franc et sincère, une leçon de vie absolument sublime. Recueil paru en 2018, il est une gifle claquante sur les fesses des autoritarismes de tous bords, il est indispensable et il serait souhaitable qu'une partie en soit étudiée dans les lycées, pour marquer les mémoires. Lire Charlotte DELBO est une expérience unique en son genre, une tempête en même temps qu'une utopie, une catastrophe suivie d'une reconstruction, pour des lendemains qui ne chantent pas toujours gaiement ni juste, mais qui chantent. Et donnent de la voix. Des textes d'une femme remarquable qui a su se rendre visionnaire.

« Il y a une misère proche, celle de la sensibilité. Tout le monde aujourd'hui souffre du manque d'échanges, du manque de communication. Tout le monde souffre de solitude, d'ennui. Alors que les possibilités techniques d'information sont quasi illimitées, au niveau des individus, il n'y a plus d'échanges » (1970).

https://deslivresrances.blogspot.fr/

Lien : https://deslivresrances.blog..
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Dans la vie, qui a besoin de voir au travers des êtres, de savoir d’un regard s’ils partageraient leur pain ou aideraient d’autres à marcher? Cette perspicacité que nous avons acquise, il faudra nous en défaire, parce que ce sera atroce de tout voir dans sa vérité. Ici, tout est vrai. Durement. Sans ombré. Les bourreaux sont les bourreaux. Ils en ont le costume, les insignes, les traits. Ils ne cherchent pas à dissimuler, à passer pour des hommes. Ils sont les bourreaux sans hypocrisie. Jamais ils ne cherchent à amadouer, jamais ils ne singent un sourire. Ils ne nous voient pas. Nous les voyons dans leur différence toute nette. Les victimes sont les victimes, brutalisées, défaites, humiliées, dégoûtantes, pouilleuses. Et celles qui, de victimes, s’arrangent pour passer du côté des bourreaux, elles prennent immédiatement les signes qui les distinguent: brassard, bâton ou fouet, gueule assortie. Nous aurons vu côte à côte, la pire cruauté et la plus grande beauté. Quand je dis cela, je pense à celles qui m’ont presque portée à leur bras pendant les semaines où je ne pouvais pas marcher, à celles qui m’ont donné leur tisane quand je suffoquais de soif, quand ma langue était comme un morceau de bois rugueux dans ma bouche, à celles qui m’ont touché la main en réussissant à former un sourire sur leurs lèvres gercées quand j’étais désespérée, à celles qui m’ont relevée quand je tombais dans la boue, alors qu’elles étaient déjà si faibles elles-mêmes, à celles qui m’ont pris les pieds dans leurs mains, le soir, au moment de se coucher et qui ont soufflé sur mes pieds quand je sentais qu’ils avaient commencé à geler pendant l’appel. Et je suis là. Toutes mortes pour moi. Personne ne meurt pour personne, dans la vie.
Commenter  J’apprécie          120

Videos de Charlotte Delbo (20) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Charlotte Delbo
Charlotte Delbo : Spectres, mes compagnons - Lettre à Louis Jouvet (France Culture / Théâtre et Cie). Texte présenté par Geneviève Brisac. Réalisation : Marguerite Gateau, avec des archives INA. En partenariat avec l’association “Les Amis de Charlotte Delbo”. http://www.charlottedelbo.org/. Conseillère littéraire : Céline Geoffroy. Enregistré au Festival d’Avignon le 18 Juillet 2013. Diffusion sur France Culture le 2 octobre 2016. Texte lu par Emmanuelle Riva. Photographie : Charlotte Delbo, via le site internet de “L'association des amis de Charlotte” • Crédits : @copyright Schwab. « Charlotte Delbo fut l’assistante de Louis Jouvet au Théâtre de l’Athénée avant d’entrer dans la Résistance. Elle est arrêtée avec son mari Georges Dudach le 2 mars 1942. Le 23 avril 1945, après vingt-sept mois de captivité dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück, elle fut libérée par la Croix-Rouge et internée en Suède. Elle n’avait pas encore trente-deux ans. Des deux cent trente prisonnières de son convoi, elles n’étaient plus que quarante-neuf. Et Charlotte Delbo se préparait à consacrer le restant de ses jours à trouver les mots justes, à écrire des livres et des pièces de théâtre pour faire vivre la mémoire et les mots de ses amies assassinées, et de son mari fusillé. La première chose qu’elle fit, le 17 mai 1945, ce fut d’écrire une lettre. On peut imaginer dans quel état de faiblesse elle se trouvait. C’était une lettre à Louis Jouvet, qui disait : « Je reviens pour entendre votre voix. » Il y eut d’autres lettres, jusqu’à cette dernière qu’Emmanuelle Riva lira, une lettre non envoyée, non terminée, non reçue, interrompue par la mort de Louis Jouvet, en 1951. Une lettre comme un testament politique et littéraire, où le courage, la peur, le rêve et la pitié pèsent leur juste poids. » Geneviève Brisac Cette lecture de « Spectres, mes compagnons » est agrémentée d'extraits de la Radioscopie consacrée à Charlotte Delbo, produit par Jacques Chancel et diffusée le 2 avril 1974. Remerciements à Claude-Alice Peyrottes, présidente d'honneur de “L'association des amis de Charlotte”. Source : France Culture
+ Lire la suite
autres livres classés : déportationVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (13) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1710 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}