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L'Adolescent tome 0 sur 3

Pierre Pascal (Traducteur)Georges Nivat (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070405527
649 pages
Gallimard (25/11/1998)
3.88/5   167 notes
Résumé :
Des cinq grands romans de Dostoïevski, L'Adolescent est l'avant-dernier, et aussi le moins connu.
Il a pourtant un magnifique sujet, un foisonnement de thèmes, une technique romanesque solide. Le sujet: le passage à l'âge adulte d'un jeune homme ambitieux, malheureux, avide et le conflit entre père et fils. Les thèmes: l'enfant sans bonheur, l'homme fort, l'argent, l'Occident, l'avenir de la Russie, le socialisme, la société future, le mouvement révolutionnai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Quel roman difficile ! de tous les Dostoïevski que j'ai lus, c'est sans conteste possible le plus ardu à lire, et le seul qui m'ait demandé un tel effort sur les cent premières pages. Il faut dire que ces premières pages sont le reflet de l'état d'esprit du héros, un adolescent pas si jeune que ça - 20 ans tout de même – mais encore profondément immature et antipathique, qui décide de nous livrer les mémoires de son adolescence. Bien sûr, le jeune Arkadi Makarovitch porte en lui les stigmates d'une naissance illégitime, abandonné par son père, un noble après qu'il ait séduit sa mère, la jeune serve Sofia. A la fois fier et honteux de sa bâtardise, Arkadi a ruminé toute sa jeune vie durant un esprit revanchard envers son père, un homme pour lequel il éprouve des sentiments complexes entre admiration et fascination, amour et haine. Toutes ses pensées bouillonnent en lui et nous sont livrées de manière brute, sauvage, souvent incohérente car Arkadi est empli d'un orgueil où se mêle de la honte pour les attitudes, gestes infantiles ou infamants qu'il lui arrive d'adopter malgré lui.

Heureusement après avoir réussi à s'accrocher pendant ces pages qui représentent tout de même un sixième du roman, on aborde l'intrigue de manière plus concrète avec l'entrée en scène de Versilov, ce père à la fois si détesté et si aimé, sur lequel le lecteur peut enfin se faire sa propre opinion.

L'intrigue principale du roman est assez simple : Arkadi et son père sont tous deux amoureux de la belle veuve Katerina Nikolaevna, mais Arkadi détient une lettre compromettante pour Katerina dans laquelle celle-ci avait écrit son intention de faire interner son père dans un asile de fous afin de pouvoir profiter au plus tôt de sa fortune. Ce document d'une importance capitale pour tous les protagonistes est le fil conducteur du roman autour duquel se greffent beaucoup d'intrigues secondaires comme les liaisons compliquées et malheureuses de la soeur et de la demi-soeur d'Arkadi.

Il est beaucoup question de folie ou de dédoublement de personnalité dans ce roman, et en effet – tel père, tel fils – Versilov et Arkadi ont l'un comme l'autre des crises plus ou moins passagères d'exaltation fiévreuse ou de débordements irrationnels et contradictoires qui leur font perdre la raison. Cela m'a souvent fait penser à la folie de Rogojine dans l'Idiot. La troisième partie du roman va d'ailleurs crescendo dans un tourbillon de rebondissements, de désordres passionnels illustrés par un rythme d'écriture précipité et captivant, des anticipations dans le récit et par les courses incessantes d'Arkadi entre les logements des différents protagonistes pendant les trois dernières journées fatidiques de ces mémoires.

Si Dostoïevski aborde de très nombreux thèmes dans ce roman comme la pensée révolutionnaire, la foi et l'athéisme, le rôle de la noblesse dans la Russie moderne, les relations père-fils, l'enfance abandonnée, la passion du jeu (dont il s'était enfin détaché), je retiendrai pour ma part son interprétation magnifiquement réussie de la pensée brouillonne et exaltée d'un adolescent en transition difficile vers la maturité de l'âge adulte.

Challenge XIXème siècle 2021
Challenge multi-défis 2021
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Etoiles Notabénistes : *****

Podrostok
Traduction & notes : Pierre Pascal
Préface : Georges Nivat, Professeur à l'Université de Genève

ISBN : 9782070405527

Cet avant-dernier roman du grand auteur russe s'affirme, sans contestation possible, comme le plus difficile de ses livres, non tant par l'intrigue mais par la technique stylistique adoptée. L'auteur, toujours plus ou moins visionnaire, en avait d'ailleurs conscience puisqu'il réfléchit énormément à ce problème de style et opta finalement pour le "Je", espérant que cela donnerait plus de clarté à son récit tout en mettant en valeur la personnalité de "chien fou" qu'il prête à son héros-narrateur, Arkadi Makarovitch Dolgorouki - lequel n'a, disons-le dès maintenant, aucun rapport, de loin ni de près, avec l'illustre famille des princes Dolgorouki.

Bref, Dostoievski voulait une incohérence cohérente, une folie pleine de sagesse (ou le contraire) et que cela se traduisît avant tout par le style. On peut vous assurer qu'il y est parvenu.

Dostoievski nous rend en effet admirablement la pensée alambiquée, tourmentée, souvent trop versatile, ainsi que la théâtralité ombrageuse, la fierté douloureuse et les excès d'enthousiasme comme de colère qui sont le propre de son héros. Mais, pour ce faire - encore est-ce heureux qu'il ait opté pour le "Je" - il brise en quelque sorte sa manière de rédiger habituelle, l'une des plus réalistes qui soit. A un point tel que, lorsque l'on parvient à la fin du volume - pour ceux qui y parviennent - l'on se rend compte, après une première période de quasi hébétude , que cet "Adolescent" annonce en fait les "flux de conscience" si chers à certains écrivains du XXème siècle dont James Joyce, avec son "Ulysse", est à notre sens le plus représentatif.

Et c'est là que l'on peut, que l'on doit reprendre, au sujet de l'oeuvre de Dostoievski, le terme "visionnaire." Même s'il s'agit ici du pressentiment d'un autre type de style, que le Russe sent vaguement à l'horizon du siècle qui se profile mais que, lui-même issu d'une certaine génération et d'une certaine culture littéraire, il ne parvient pas encore à atteindre. Peut-être l'imagine-t-il vaguement mais, en tous cas, il ne réussit pas à la coucher sur papier. Toutefois, et grand est son mérite, il tente de briser le cercle, de faire quelque chose d'entièrement neuf et, sans le savoir, lègue ainsi à la génération suivante une espèce de prototype à la russe du flux de conscience imaginé par les Anglo-Saxons et même, ajoutera-t-on, de ce que Proust produira lui-même un jour avec sa "Recherche ..."

J'ignore ce qu'en ont pensé les lecteurs de l'époque, surtout ceux qui suivaient Dostoievski comme l'on suit un Maître, mais le résultat est déstabilisant au possible et, dans les cent première pages, carrément ennuyeux. Certes, si l'on aime l'écrivain, on s'entête, on poursuit, on va jusqu'au bout de ces six-cents pages (614 chez Gallimard-Folio) écrasantes et l'on finit par saisir enfin une parcelle de ce qu'il recherchait en rédigeant ce roman. Mais surtout, si vous n'avez jamais lu Dostoievski, par pitié pour vous-même , ne commencez pas par "L'Adolescent", ce véritable OVNI qu'on ne peut comparer à aucun autre de ses romans. Dostoievski, c'est un Himalaya littéraire, plus imposant, (à mes yeux en tous cas) plus intéressant et plus novateur, cela ne fait aucun doute, que Tolstoï en personne. Et, une fois prise la décision d'en entreprendre l'escalade, il faut se harnacher solidement et se méfier de toute "chute", là où l'écrivain innove.

L'intrigue regorge, comme toujours, de personnages et la manière dont Arkadi les évoque (car on ne voit jamais l'action que par les yeux du jeune homme, ce qui explique plusieurs fautes d'interprétation et plusieurs impasses dans lesquelles on se retrouve, abasourdi), complique bigrement mais astucieusement l'ensemble.

En gros, Arkadi est le fils naturel d'un noble, Versilov, lequel l'a fait élever loin de lui et de sa mère, Sonia. Mais le mari légitime de Sonia, Makar Ivanovitch Dolgorouki, ancien serf affranchi, a reconnu l'enfant. C'est vers l'âge de sept ans à peu près, quand il entre à l'horrible Pension Touchard, que le petit garçon prend conscience de la différence de statut qui existe entre lui et ses camarades. Et c'est à peu près à cette époque que prend racine en lui une colère formidable envers son père mais aussi envers sa mère qui, bien qu'ils le fassent bénéficier d'une bonne éducation, l'ont abandonné sur le plan affectif. N'oublions pas que l'enfant a eu l'occasion de voir une fois son père biologique, qu'il a trouvé fascinant (car Versilov l'est, effectivement) et dont il a cru qu'il l'emmènerait avec lui à Pétersbourg ou à Moscou. Mais Versilov l'a quitté sans prévenir, après lui avoir consacré une seule journée qui, pour Arkadi, restera un merveilleux souvenir ...

A l'âge de dix-neuf ans environ, Arkadi est enfin appelé à Pétersbourg par Versilov qui y vit avec sa maîtresse, Sonia, et la fille qu'ils ont eue après Arkadi, Liza. C'est dans cette partie, la première, que l'auteur place l'un des thèmes principaux de son oeuvre : la révolte contre le Père. Et pourtant, Versilov ne cesse de fasciner Arkadi qui veut, à tout prix et malgré sa rancoeur, obtenir son affection. En homme pratique, Versilov lui a déjà trouvé un emploi de secrétaire (ou plutôt d'homme de compagnie) chez une connaissance à lui, le vieux prince Sokolski, qui est aussi le parrain d'Anna Andréevna Versilova, la fille née du mariage légitime de Versilov avec une femme de son milieu. (Il a aussi eu d'elle un fils, chambellan à la Cour, et qui apparaît çà et là, plus en silhouette qu'en tant que personnage à part entière.) C'est donc chez Sokolski qu'Arkadi rencontre sa demi-soeur, laquelle tiendra par contre un rôle majeur dans l'imbroglio d'intrigues qui constitue la trame du roman.

Autre personnage-clef du livre : la fille du prince Sokolski, Katerina Nikolaievna, veuve du général Akhmakov, laquelle, à un moment où elle doutait du bon sens de son père, a écrit une lettre pour se renseigner sur les moyens de le mettre sous tutelle. Bien sûr, aujourd'hui qu'Andréï Nikolaievitch Sokolski a retrouvé toute sa santé, la jeune femme n'a qu'une peur, c'est que la lettre ne lui tombe entre les mains. Or, ce document si précieux, c'est Arkadi qui, à la suite de diverses circonstances qu'on ne peut raconter ici, le détient. Enfin, il le détient jusqu'au moment où, ayant renoué, plus ou moins contre son gré, avec un ancien "camarade" de lycée, le Français Lambert, celui-ci, qui fait dans le chantage et l'escroquerie, le lui dérobe ...

Pour compliquer encore plus les choses, Arkadi tombe amoureux de Katerina Nikolaievna et apprend ensuite que son père, Andreï Petrovitch Versilov, est, lui aussi, amoureux depuis des années de la jeune et séduisante veuve.

Au coeur de ce tourbillon dont je ne vous décris que quelques éléments indicateurs, se tord, se convulse, se métamorphose pour mieux se reconstituer le style adopté résolument par Dostoievski, style qui, par l'intermédiaire du caractère assigné à Arkadi, persuade souvent le lecteur qu'il n'est pas loin de l'incohérence absolue. (L'auteur s'en rendit certainement compte car l'épilogue revient à une technique plus classique.) D'ailleurs, pour être franc, il y a, dans ce roman, beaucoup de personnes atteintes de troubles du comportement, voire, comme le prétend Versilov à la fin en ce qui le concerne, de dédoublement de la personnalité.

Le double, la folie comptent, on se le rappelle, dans les thèmes favoris de l'auteur des "Démons" avec, évidemment, la Russie, son âme, sa religion, son mysticisme, la place qu'elle doit tenir en Europe, son avenir. Que deviendra-t-elle, cette Russie qui lui est si chère et qui, en ce terrible XIXème siècle, a connu tant de secousses et même de séismes ? Et l'homme russe dans tout ça ? Sans oublier, souci primordial du grand écrivain, l'Homme tout court et l'avenir de l'Humanité en général.

Infiniment ardu quoique, dans le fond, guère plus touffu que les autres ouvrages de Dostoievski, "L'Adolescent" n'est certes pas un pensum mais, à l'image d'Arkardi Makarovitch, son narrateur, lequel veut absolument faire croire que tout (ou presque) est fatal - c'est son adjectif préféré et presque obsessionnel - fait mille efforts pour en convaincre le lecteur, un peu comme si l'auteur avait cherché à ce que seuls ses lecteurs et admirateurs assez courageux et assez lucides pour ne pas se laisser abattre par cette carapace si bien ajustée parviennent au sommet de cette gigantesque montagne façonnée par son étrange génie précurseur.

A lire, donc. Mais seulement si, pour vous, la lecture de Dostoievski vous apparaît comme essentielle à votre vie de Lecteur et d'Homme ou de Femme. Alors, dans ce cas, et dans ce cas seulement, vous comprendrez que, "fatalement" , vous ne pouviez échapper à beauté curieuse, tantôt tragique, tantôt comique mais en tous points exceptionnelle, sortant du lot, de "L'Adolescent."
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Avec l'Idiot, l'Adolescent est certainement un des romans les plus complexes de Dostoïevski. Il n'en reste pas moins un des plus riches et des plus symboliques. Construit sur les ruines de son prédécesseur, l'effrayant mais génial Les Démons, le roman, à la première personne est une oeuvre pure, brute directement sortie du cerveau de l'écrivain.
le lecteur doit être prévenu de certaines originalités qui risquent de surprendre les perfectionnistes et les esprits les plus méthodiques. Un exemple illustre bien la nature spontanée et surprenante de Dostoïevski : les noms. Parmi la grosse vingtaine de personnages, deux princes ont le même nom (Sokolski) et pourtant, il n'y a aucun lien entre les deux. Un autre personnage, féminin, change de nom entre le début et la fin de l'oeuvre. Explication en bas de page ? L'auteur n'accordait pas d'importance à ce genre de détails…
Rappelons cependant que depuis sa sortie du bagne, Dostoïevski est en constante progression dans un style en perpétuelle évolution. Ses opinions se clarifient et sa vision russophile (plus que slavophile, il faut le dire) du monde se cristallise. Finit l'Europe et l'illusion occidentale de l'Age d'or.
Versilov, père du héros, a voyagé, il a vu les Tuileries comme ses aspirations libérales partir en fumée. Son personnage, prolongement littéraire du Stavroguine (Les Démons). Reviens en Russie, guérit de sa vision erronée et idéalisée de l'Europe. Mais sa réputation présente beaucoup d'incohérence avec le charisme patriarcale et posé du personnage. Une folie mystérieuse et propre à l'univers de l'écrivain semble s'être emparée de lui.
Son fils, le héros, Arkadi, est le symbole de la jeunesse russe de l'époque. Dostoïevski, au crépuscule de sa vie prolifique, avant de faire un dernier roman sur l'enfance, veut s'adresser à la jeunesse, en dehors de tout jeunisme occidento-libéral que l'écrivain détruit allègrement dans ses publications (journal d'un écrivain). On suit ses premiers mois dans la vie d'adulte. Durant cette période, ses rêves et ses déterminations (devenir Rothschild !) s'envolent contre des plaisirs concrets du jeu, de l'endettement, de la vie mondaine et des intrigues amoureuses, bref, le divertissement au sens plein du terme.
le fil rouge du roman est l'admiration frustrée d'Arkadi envers son père et sa quête pour percer le mystère de sa déplorable réputation. Pourquoi l'arrogante fierté du fils vole en éclat à chaque confrontation avec son père ? Ces conversations entre les deux protagonistes nous offrent de magnifiques chapitre et une ode à la Russie orthodoxe, chère au coeur reconverti de l'auteur qui nous lance un discours haranguant la jeunesse russe d'aimer son pays et de ne point céder aux utopies destructrices de leurs parents.
Enfin, dernier personnage notable mais non principal, l'étrange et calme Makarovitch qui traverse l'oeuvre comme une comète, hors de cette société artificielle folle et excessive. Une sorte de Fol-en-Christ sage, point de ce monde, aimant et dépourvu de mauvais penchants. Figure presque christique que l'on retrouve dans l'Idiot. L'avantage de cette figure, hautement supérieure à n'importe quel protagoniste, est qu'il apporte la touche spirituelle qui manque cruellement à cette sphère mondaine plongée dans de basses intrigues et permet à chacun de se confronter à sa propre misère.
La fin de l'oeuvre clarifie évidemment nos idées aussi embrouillées que celles d'Arkadi dans une avalanche de coup de théâtre écrite dans un rythme des plus énergique et endiablé. Six mois après les évènements qui nous sont contés, on respire, le style se pause, comme si l'auteur avait pris le temps de soigner la fin de son roman et pris le temps de faire une rétrospective très similaire à celle que fait notre jeune héros. le livre se ferme et l'on repense à cette tornade d'évènements, de personnages, de liaisons obscures et d'intrigues improbables. Nous sommes passés de l'illusion d'un Age d'or à l'ataraxie de celui de la sagesse.
On ne doit pas commencer Dostoïevski par la lecture de l'Adolescent. La multitude de personnages et la complexité de leur liens (comparables à celles de l'Idiot) voleraient à l'oeuvre sa géniale et truculente description de l'entrée dans la vie d'adulte. Mais si le lecteur audacieux et aguerrit passe outre cette épreuve, il découvre là une richesse étonnante au service d'une oeuvre passionnante et plein d'anecdotes pittoresques (parfois tirées de l'actualité d'époque).
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Quatrième des 5 romans fleuves de Dostoïvski (paru entre Les démons et Les frères Karamazov) L'adolescent est le moins connu et sans doute le moins lu d'entre eux.

L'adolescent du titre, Arkadi Makarovitch Dolgorouki, est le bâtard d'un seigneur, et de la femme d'un de ses serfs, avec laquelle il vit, bien que le mari soit toujours vivant. le livre est le récit fait à la première personne d'un certain nombre d'événements importants arrivés au personnage et à son entourage.

Arkadi a peu connu ses parents dans ses jeunes années, il vient vivre avec eux à Saint-Pétersbourg, son bac en poche. le titre est particulièrement bien choisi, car le héros est vraiment un adolescent "typique". En révolte et opposition, voulant régler des comptes, fier, susceptible, mais en même temps pas du tout sûr de lui, et donc parlant haut et fort, aux moments les plus mal choisis, prétentieux et naïf. Il est par moments tout à fait insupportable.

L'intrigue est presque encore plus compliquée que dans les autres romans de l'auteur, et il faut s'accrocher un peu pour ne pas s'y perdre, et se retrouver dans tous les personnages. Nous retrouvons comme dans d'autres ouvrages de l'auteur le questionnement métaphysique, les notions de liberté, du mal....L'ouvrage comporte de nombreux aspects biographiques, par exemple des scènes de jeu (roulette).

Sans doute moins marquant que d'autres livres de l'auteur, tout au moins pour moi, c'est quand même une lecture très prenante et très dense. Peut-être que le choix d'écrire le roman sous forme d'un journal écrit par le jeune homme n'était pas le meilleur angle possible, car cela est un peu répétitif parfois, et le jeune homme n'étant pas d'une lucidité et pénétration exceptionnelles, certains aspects complexes de la pensée de Dostoïevski ont plus de mal à s'exprimer par sa plume.
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De l'esprit il en faut pour suivre les intrigues qui se nouent et se dénouent au fil de ce classique de 800 pages.


Arcade Dolgorouki sort de l'enfance et débarque dans le monde; il nous livre ici sa biographie. Ou tout au moins, la partie de sa vie qui le marquera durablement, les quelques mois (ou semaines ? le temps n'est pas absolument perceptible dans le roman bien qu'il soit fait mention de mois...) qui le feront passer du naïf adolescent au jeune homme réfléchi qu'il deviendra.

Tout commence par la rencontre que fait Arcade avec sa famille. Longtemps tenu à l'écart, élevé dans des pensions, il est appelé à Petersbourg où il retrouve enfin sa mère, sa soeur et surtout, le père naturel qu'il vénère, Versilov, un homme au caractère changeant, brutal, déroutant et mystérieux. Cette famille bancale permet à l'auteur de brosser un portrait de la société russe de l'époque, à peine sortie du sevrage, avec une noblesse très présente mais souvent désargentée. Chaque personnage représente à lui-seule une classe sociale ou presque et il est intéressant de voir comment elles se côtoient, quels sont les rouages qui leur permettent de cohabiter.

Arcade a alors son "Idée" qu'il veut mettre en application : gagner assez d'argent pour se sentir à la hauteur des autres. Son but n'est pas d'étaler sa richesse mais de se convaincre qu'il est en droit de recevoir le meilleur, lui aussi, grâce à sa fortune. On sent le manque qu'a du ressentir le narrateur, les années de frustrations et de privations qui ont fait de lui le monstre spéculateur qu'il se promet de devenir.

Tout ne se passe pas vraiment comme prévu. Notre jeune (anti-)héros est d'une bêtise sans borne et enchaîne gaffe sur gaffe dans le petit monde au sein duquel il cherche à entrer. Sa bêtise n'est sans doute que naïveté et manque de clairvoyance au milieu des intrigues qui se trament mais il n'est pas rare que nous ayons envie de le gifler tant son arrogance et sa stupidité sont grandes. Ayant été mêlé à une histoire d'héritage via une lettre qui lui a été remise, il agit en dépit de tout bon sens et se retrouve souvent comme un chien au milieu d'un jeu de quilles.

Tout au long du récit, on sent le froid nous transpercer, le thé nous réchauffer ensuite et l'alcool échauffer les esprits. Impossible d'ignorer où on se trouve. La Russie est quasiment un personnage à part entière du roman : constamment présente, on la sent à un tournant de son histoire. Les nobles s'accrochent à leurs privilèges, les anciens serfs ne trouvent pas leur autonomie et les idées communistes pointent le bout de leur nez. Versilov tient d'ailleurs des discours "éclairés" à de nombreuses reprises. Ayant participé à la Commune, il prône un réel européanisme et un amour universel mais son expérience de l'âme humaine le rend parfois cynique. Tout le contraire du père officiel d'Arcade qui a longtemps été ermite et ne quitte pas ses icônes. Ces hommes mais également la mère du jeune homme nous livrent différentes visions de la spiritualité et de la religion, toutes empreintes de beaucoup de tolérance.

Mensonges et dissimulations sont l'essence même de cette aventure. Il ne fait d'ailleurs pas bon lâcher le livre trop longtemps sinon on s'embrouille dans ces noms russes et les détails des liens qui unissent les personnages, des alliances qu'ils forment et brisent au gré des nouvelles qu'ils reçoivent.

Toute cette histoire ne serait pas ce qu'elle est sans les sentiments amoureux qui poussent les personnages à toutes les extrémités. Les hommes parlent des femmes comme d'êtres inférieurs et fourbes mais toutes celles présentes dans le roman sont d'une intelligence et d'une sensibilité extrêmes. Sentiment complexe d'infériorité cachée ? :-)

Un grand classique qui se laisse lire avec plaisir, même si la longueur peut parfois sembler rebutante. On est embarquée dans ce récit qui n'a rien à envier à Santa Barbara.
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Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... J'ai cette idée que, lorsqu'un homme rit, la plupart du temps il est répugnant à regarder. Le rire manifeste d'ordinaire chez les gens je ne sais quoi de vulgaire et d'avilissant, bien que le rieur presque toujours ne sache rien de l'impression qu'il produit. Il l'ignore, de même qu'on ignore en général la figure qu'on a en dormant. Il est des dormeurs dont le visage reste intelligent, et d'autres, intelligents d'ailleurs, dont en dormant le visage devient très bête et partant ridicule. J'ignore d'où cela vient : je veux dire seulement que le rieur, comme le dormeur, le plus souvent ne sait rien de son visage. Il est une multitude extraordinaire d'hommes qui ne savent pas du tout rire. Au fait, il n'y a pas à savoir : c'est un don qui ne s'acquiert pas. Ou bien, pour l'acquérir, il faut refaire son éducation, se rendre meilleur et triompher de ses mauvais instincts : alors le rire d'un pareil homme pourrait très probablement s'améliorer. Il est des gens que leur rire trahit : vous savez aussitôt ce qu'ils ont dans le ventre. Même un rire incontestablement intelligent est parfois repoussant. Le rire exige avant tout la franchise : où trouver la franchise parmi les hommes ? Le rire exige la bonté, et les gens rient la plupart du temps méchamment. Le rire franc et sans méchanceté, c'est la gaieté : où trouver la gaieté à notre époque et les gens savent-ils être gais ? (Pour ce qui est de la gaieté à notre époque, c'est une remarque de Versilov et je l'ai retenue.) La gaieté de l'homme, c'est son trait le plus révélateur, avec les pieds et les mains. Il est des caractères que vous n'arrivez pas à percer : mais un jour cet homme éclate d'un rire bien franc, et voilà du coup tout son caractère étalé devant vous. Il n'y a que les gens qui jouissent du développement le plus élevé et le plus heureux qui peuvent avoir une gaieté communicative, c'est-à-dire irrésistible et bonne. Je ne veux pas parler du développement intellectuel, mais du caractère, de l'ensemble de l'homme. Ainsi : si vous voulez étudier un homme et connaître son âme, ne faites pas attention à la façon dont il se tait, ou dont il parle, ou dont il pleure, ou même dont il est ému par les plus nobles idées. Regardez-le plutôt quand il rit. S'il rit bien, c'est qu'il est bon. Et remarquez bien toutes les nuances : il faut par exemple que son rire ne vous paraisse bête en aucun cas, si gai et si naïf qu'il soit. Dès que vous noterez le moindre trait de sottise dans son rire, c'est sûrement que cet homme est d'esprit borné, quand même il fourmillerait d'idées. Si son rire n'est pas bête, mais si l'homme, en riant, vous a paru tout à coup ridicule, ne fût-ce qu'un tantinet, sachez alors que cet homme ne possède pas le véritable respect de soi-même, ou du moins ne le possède pas parfaitement. Enfin, si ce rire, quoique communicatif, vous paraît cependant vulgaire, sachez que cet homme a une nature vulgaire, que tout ce que vous aviez remarqué chez lui de noble et d'élevé était ou bien voulu et factice, ou bien emprunté inconsciemment, et que fatalement il tournera mal plus tard, s'occupera de choses "profitables" et rejettera sans pitié ses idées généreuses comme des erreurs et des engouements de jeunesse. ... [...]
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Tout à coup faisait irruption dans ma vie un père qui auparavant n'existait pas. Cette idée m'enivrait durant mes préparatifs à Moscou, et dans le train. Un père, ce n'était encore rien, je n'aimais pas les tendresses : mais cet homme n'avait pas voulu me connaître et m'avait humilié, tandis que, toutes ces années, je ne rêvais qu'à lui jusqu'à la satiété (si le terme peut s'appliquer à un rêve). Chacun de mes rêves, depuis mon enfance, se rapportait à lui, flottait autour de lui, revenait finalement à lui. Je ne sais si je le haïssais ou si je l'aimais, mais il emplissait tout mon avenir, toutes mes prévisions sur la vie, - et cela était venu de soi-même, à mesure que je grandissais.
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La société veille à la sécurité de ma personne et de mon bien. Je la paie pour ça, sous forme d'impôts. Personne n'a le droit de rien me demander de plus. Incidemment peut-être me plaira-t-il de servir l'humanité, et qui sait si je ne la servirai pas dix fois plus utilement que les plus agiles discoureurs ? Moi je ne veux pas que personne l'exige de moi, comme on se permet de l'exiger de M. Kraft. Je veux que ma liberté reste entière, même si je ne bouge pas le petit doigt. Se suspendre au cou des gens pour l'amour de l'humanité et verser des larmes d'attendrissement, ce n'est qu'une mode. Pourquoi diable dois-je absolument chérir mon prochain, me sacrifier à votre humanité future ? Je ne la verrai jamais, elle m'ignorera, et, dans la suite des siècles (le temps ne fait rien à l'affaire), elle disparaîtra sans laisser ni trace ni souvenir sur le bloc glacé qui roulera stupidement dans l'espace en compagnie de millions d'autres blocs de glace. Ce qui est bien la plus absurde des choses imaginables ! Voilà votre doctrine ! Voulez-vous me dire, pourquoi il faut absolument être généreux, surtout si tout ne dure qu'une minute ?
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- Ah ! et tu souffres quelquefois de ce que ta pensée ne se plie pas au moule des paroles ? Cette noble souffrance, mon ami, n'est donnée qu'aux élus ; l'imbécile est toujours satisfait de ce qu'il a dit et en outre il dit toujours plus qu'il ne faut ; ces gens-là aiment le surplus.
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Quiconque n'est pas trop bête ne peut pas vivre sans se mépriser, honnête ou malhonnête, peu importe. Aimer son prochain et ne pas le mépriser, c'est impossible. Selon moi, l'homme a été créé physiquement incapable d'aimer son prochain. Il y a là une erreur de langage, dès le début, et "l'amour de l'humanité" doit être compris uniquement de l'humanité que tu te crées à toi-même dans ton coeur (en d'autres termes, je me crée moi-même ainsi que l'amour pour moi), et qui par conséquent n'existera jamais réellement.
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« Les frères Karamazov » , de Dostoïevski, c'est à lire en poche chez Actes Sud Babel.
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