MA VIE AVEC COLETTE
_________
On peut s'interroger sur le démon qui pousse des auteurs, par ailleurs reconnus, édités et primés, à s'installer dans la coquille d'un autre auteur -mort bien évidemment- et à y jouer les Bernard-l'ermite en livrant à un lecteur abusé des fragments ou des pans de leur propre existence.
S'agissant de Colette, sur laquelle beaucoup de gens ont écrit, et parfois d'excellentes biographies à partir de points de vue très différents, la coquille est surencombrée et les multiples admirateurs montent devant une garde plus que vigilante. C'est dire si l'exercice est risqué.
«
Ma vie avec Colette » consiste essentiellement pour la vie de Colette en un survol, appuyé uniquement sur ses oeuvres complètes si on en croit la bibliographie jointe. N'en déplaise à
Louis-Henri de la Rochefoucauld, qui dans sa critique récente dans « L'express », se félicite que le livre échappe « aux radotages universitaires », ce survol, divisé en cinq rubriques, n'apporte rien à ceux qui pratiquent Colette et/ou qui ont lu ses biographes. Bien plus, il contient quelques grossières contre-vérités, s'agissant par exemple de sa « promotion canapé » au « Matin » (
Jouvenel est rédacteur en chef adjoint, c'est lui qui a proposé à Colette, déjà célèbre, de prendre la rubrique des « Contes de 1001 matins » mais quand son co-rédacteur menace de démissionner du journal, c'est le directeur lui-même qui lui montre la porte -et lui n'est pas l'amant de Colette) ; autre contre-vérité : si Colette était indifférente aux particules et titres, elle n'aurait pas autant bataillé pour empêcher la première épouse de
Jouvenel de continuer à utiliser le titre de baronne. Les universitaires radotent peut-être mais leur jury de thèse laisse rarement passer de telles erreurs…
La vie de
Pauline Dreyfus, qu'elle évoque en parallèle, rappelle irrésistiblement l'histoire du petit garçon invité à décrire une famille déshéritée, qui écrit bravement : « le papa était pauvre, la maman était pauvre, le majordome était pauvre, la femme de chambre, le chauffeur et le jardinier aussi…. C'était une famille très pauvre ». Comme dans les feuilletons qui font rire Colette à la veille de son accouchement, le lecteur a droit au château familial (certes décati), à
Polanski qui en fait le décor d'un de ses films, aux émissions éminemment populaires (« le masque et la plume »), aux bals d'Etienne de Beaumont, aux week-ends à la campagne… On cherche en vain, dans ce paysage sucré de boboïsme où « les appuis » permettent de contourner la loi, la sève qui irrigue l'univers de Colette et surtout le regard unique, bienveillant ou critique, mais toujours acéré et juste, qu'elle porte sur tous ceux, musiciens, paysans, acteurs, prostituées, hommes et femmes de tous les jours... qui peuplent ses écrits.
Plus irritant, les échanges de rhubarbe et de séné affectent la sincérité du propos : on cite l'ami
François Sureau, qui dirige la collection « Ma vie avec »,
Jean d'Ormesson, qui lui a été proche, tout un univers des lettres parisien plus proche de la coterie que du vivier intellectuel. On ne s'adresse pas à la lie du peuple ni même au provincial ou au non-initié.
Peut-être l'autobiographe pure de
Pauline Dreyfus serait-elle intéressante -elle écrit bien et a sans doute vécu des expériences intéressantes pour un lecteur, mais convoquer Colette dans son livre n'apporte strictement rien, ni à la connaissance de cette dernière ni à l'expérience de
Pauline Dreyfus : « ma vie avec » suppose une imprégnation et une influence qu'on ne sent pas et ce livre, où on soupçonne la commande de complaisance, est tout bonnement un écrit-vain.