▶️1968:
Paul Morand, 80 ans, présente pour la cinquième fois sa candidature à l'académie française. Les précédents refus de l'y voir entrer jusque là n'ont rien à voir avec la littérature : le procès pour mauvaise conduite sous l'occupation n'était alors pas encore terminé ; le général de Gaule s'est toujours opposé à son entrée sous la Coupole, lui reprochant sont ralliement au gouvernement de Vichy ; Hélène, la femme de
Morand, dira : "Nous n'avons renié ni le maréchal, ni Laval, n'avons pas demandé pardon à
De Gaulle, ce qui nous eut été facile. Nous pouvons mourir la tête haute". Refus de Mauriac également - les deux hommes de se vouent une haine tenace : «Je ne me présenterai pas à l'académie pour ne pas voir
François Mauriac quand il y va ; bien assez d'être obligé de le rencontrer en enfer »...
▶️Cette fois, il est enfin élu, mais la victoire a un goût de revanche sinon même de défaite : «mieux vaut jamais que tard », écrira, perfide,
Natalie Barney..
▶️C'est ici le portrait d'un
Morand vieillissant, loin de l'écrivain brillant de l'entre deux guerre, de l'Ambassadeur dandy et grand séducteur, qui s'interroge sur sa fin : «la vieillesse; on bouche un trou, il s'en ouvre un autre...en attendant le grand »...
▶️Au-delà de l'élection de
Morand, l'auteure nous fait revivre les grandes heures de la vie de l'écrivain, son âge d'or: les rencontres déterminantes,
Proust,
Cocteau, Chardonne, Nimier, Gallimard, les conquêtes amoureuses, nombreuses, tellement nombreuses, sa rencontre avec Hélène, 10 ans de plus que lui, qui deviendra sa femme - une femme qui lui passe tout : "Un homme qui ne trompe pas sa femme n'est pas un homme"...
▶️Il est aussi question des postes d'Ambassadeur tenus à Londres et ailleurs, de la collaboration puis de l'exil en Suisse, les inimitiés tenaces, Mauriac et
De Gaulle...
▶️On y croise aussi la jeune garde des lettres d'alors,
Jean d'Ormesson et
Patrick Modiano...et une toute jeune
Nathalie Baye, engagée comme lectrice pour Hélène..
▶️Balade follement littéraire entre le quai Conti, siège
De l'Académie Française et l'avenue
Charles Floquet, où résident les
Morand, qui reçoivent dans leur grand appartement avec vue sur la tour Eiffel le tout Paris des Lettres - l'occasion pour
Morand de continuer à briller et de partager son aversion pour mai 68 et la déliquescence qui l'entoure ; à propos de la jeunesse justement : "c'était une jeune fille d'aujourd'hui, c'est à dire à peu près un jeune homme d'hier". Sur la production littéraire ; "J'en ai assez de ces romans d'une exceptionnelle fraîcheur, je préfère relire les classiques. Et puis dans ce monde moderne où tout le monde s'appelle par son prénom, on n'arrive plus à situer les gens, à se souvenir des personnages. Au moins, quand je lis
Flaubert,
Balzac ou
Proust, je m'y retrouve. Cette manie des prénoms, c'est tout ce que je déteste dans notre époque ; à force, on confond le trottoir et la chaussée". A 80 ans, l'esprit est toujours vif et saillant, le propos souvent cinglant....
▶️Un roman biographique réjouissant, érudit et jubilatoire sur un écrivain aujourd'hui oublié, porté par une écriture enlevée et élégante à l'image de
Morand lui-même - un roman biographique court et brillant - j'ai adoré !!.