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Le code Jupiter est écrit sous le pseudonyme de Démosthène, Dany-Robert Dufour, professeur de philosophie à Paris VIII, tombe le masque. C'est lui qui est l'auteur du pamphlet anti-Macron. "Quand vous stigmatisez, blâmez, jetez l’opprobre sur ceux qui n'y arrivent pas, comme depuis le début de ce quinquennat [...] il y a un moment où ces stigmatisations se traduisent par un sentiment d'injustice totale, et par un sentiment de revanche." Et Dufour de se rapporter à Démosthène (celui du IVe siècle avant JC), qui expliquait que l'outrage, l'affront, déclenchent bien mieux la révolte que le coup. Dufour, toujours en s'appuyant sur Démosthène, explique qu'il est bon pour le pouvoir de stigmatiser une fraction de la population, pour créer en regard une classe de vertueux. Mais Macron, poursuit Dufour, a stigmatisé beaucoup trop largement. "Au lieu de stigmatiser un petit groupe de dangereux, Macron a stigmatisé l'ensemble du peuple français. Et le peuple français est en train de lui répondre." Pour comprendre la haine qu'agrège sur lui d'Emmanuel Macron, nous revenons sur son parcours, et notamment son passage à la banque Rothschild. C'est là-bas qu'il a appris à "raconter des histoires crédibles même quand on y croit pas du tout", raconte Dany-Robert Dufour, qui rappelle qu'Alain Minc considérait la fusion-acquisition, le métier d'alors de Macron, comme un "métier de pute" pour lequel l'actuel président "avait toutes les qualités, parce qu'il savait séduire". Un point dans le livre de Dufour a fait tiquer Daniel Schneidermann : l'affaire Fillon, dans laquelle Dufour voit la main de Macron. C'est lui qui aurait transmis des documents au Canard enchaîné. "Là-dessus je n'ai pas de preuve", reconnaît notre invité. Ce n'est qu'une hypothèse, mais une hypothèse "solide", pour l'auteur, parce qu'"elle explique beaucoup de choses". Autre point marquant du Code Jupiter, l'idée que Macron aurait depuis la campagne un plan caché visant à une mise en concurrence généralisée de la société. Macron ne cachait pas son projet, objecte Daniel Schneidermann, prenant l'exemple des "bus Macron", mis en place explicitement pour concurrencer la SNCF. "Mais ce n'est pas seulement les autocars qu'il veut ouvrir, répond Dufour. C'est l'ensemble des secteurs où fonctionnaient encore en France ce qu'on appelle des services publics." Débarque le nom d'un écrivain du XVIIIe siècle largement inconnu, et pourtant essentiel pour Dufour : Bernard de Mandeville, psy et philosophe. Cet écrivain, dont le nom est beaucoup moins connu que ceux d'Adam Smith ou de Friedrich Hayek, serait pourtant l'un des plus importants maîtres à penser de l'école de Chicago, qui a imposé sa théorie néolibérale dans les années 1980. Dans la Fable de l'abeille, Mandeville racontait l'histoire d'une ruche qui fonctionnait à merveille parce que tout le monde "était un peu voleur", et qui périclite dès lors que les abeilles se décident à être vertueuses. Morale : "les vices privés font la vertu publique". Dans cette fable, Dufour voit l'une des premières évocations de la "théorie du ruissellement", revisitée par Macron avec les "premiers de cordée". Et dans le comportement loué par Mandeville, celui par exemple de Carlos Ghosn, le patron de Renault récemment incarcéré au Japon pour minoration de ses revenus. Si Mandeville est resté largement inconnu du grand public, certains connaissent très bien cet auteur. "Il est considéré comme le maître à penser de l'école de Chicago, qui dirige le monde depuis 30 ans." Mais étant donné la théorie clairement immorale, ou détachée de toute préoccupation morale que développe Mandeville, il ne serait pas mis en avant à tout bout de champ par les penseurs de cette école. Cette discrétion n'est d'ailleurs pas propre aux néolibéraux, assure Dufour : de leurs temps, les philosophes et sociologues Voltaire et Max Weber ont déjà fait de larges emprunts au psy, sans jamais le citer. Mais quel rapport avec Macron? "Il a baigné dans les théories libérales et néolibérales, et évidement celles en vigueur depuis les années 80, celles de Hayek et de Friedman", eux-mêmes largement influencés par Mandeville, d'après l'auteur du Code Jupiter. Problème, Macron aurait appliqué un peu vite les théories de Mandeville, notamment, comme Dufour l'explique, en "dosant mal" les flatteries et les blâmes. Aujourd'hui le président ""apparaît comme un manipulateur qui a utilisé les histoires qu'il a appris à la banque ""Rothschild"" pour manipuler les gens. Mais il a été très maladroit dans le dosage des maximes mandeviliennes de la ""flatterie"" et du ""blâme""."" Et le voilà avec tout le peuple contre lui. Lien : https://www.arretsurimages.n.. + Lire la suite |
Cercle Aristote - 23 janv. 2020
Dany Robert Dufour : Une histoire souterraine du capitalisme
Nous avons eu l'honneur de recevoir le philosophe Dany Robert-Dufour pour échanger sur son dernier ouvrage Baise ton prochain...Une histoire souterraine du capitalisme.
Cet essai résulte d'une sidération. Celle qui m'a saisi lorsque je suis tombé sur un écrit aujourd'hui oublié, Recherches sur l'origine de la vertu morale de Bernard de Mandeville. C'est en 1714, à l'aube de la première révolution industrielle, que Mandeville, philosophe et médecin, a publié ce libelle sulfureux, en complément de sa fameuse Fable des abeilles. Cet écrit est le logiciel caché du capitalisme car ses idées ont infusé toute la pensée économique libérale moderne, d'Adam Smith à Friedrich Hayek.
Fini l'amour du prochain ! Il faut confier le destin du monde aux "pires d'entre les hommes" (les pervers), ceux qui veulent toujours plus, quels que soient les moyens à employer. Eux seuls sauront faire en sorte que la richesse s'accroisse et ruisselle ensuite sur le reste des hommes. Et c'est là le véritable plan de Dieu dont il résultera un quasi-paradis sur terre. Pour ce faire, Mandeville a élaboré un art de gouverner - flatter les uns, stigmatiser les autres - qui se révélera bien plus retors et plus efficace que celui de Machiavel, parce que fondé sur l'instauration d'un nouveau régime, la libération des pulsions. On comprend pourquoi Mandeville fut de son vivant surnommé Man Devil (l'homme du Diable) et pourquoi son paradis ressemble à l'enfer.
Trois siècles plus tard, il s'avère qu'aucune autre idée n'a autant transformé le monde. Nous sommes globalement plus riches. À ceci près que le ruissellement aurait tendance à couler à l'envers : les 1 % d'individus les plus riches possèdent désormais autant que les 99 % restants. Mais on commence à comprendre le coût de ce pacte faustien : la destruction du monde. Peut-on encore obvier à ce devenir ?