Toute mère est sauvage. Sauvage en ce qu’elle appartient à une mémoire plus ancienne qu’elle, à un corps plus originel que son propre corps, boue, sable, eau, matière, liquide, sang, humeurs, à un corps de mort, de pourriture et de guerre, à un corps de vierge céleste aussi. Sa langue vient avant la langue ; elle est pur rythme, avec ses blancs, ses effacements, son impossibilité à dire, à savoir, à comprendre. C’est une langue sans mots, sans affect même, une langue sauvage faite de morceaux de corps détachés par la naissance de ce « tout » dont la perte nous affecte, dans l’enfance, comme un abandon premier irrémédiable. Ce « tout » de l’univers maternel, matriciel, n’a pourtant jamais existé.
Ces quatre femmes et cet homme que je viens d’évoquer […] sont silencieux, je veux dire enveloppés, cerclés, dans un linceul qui préfigure une sorte de mort. Ce linceul est un silence antérieur à toute parole, ni refoulé ni restituable. Il est celui de leur mère, une mère comme ensevelie vivante dans la tombe, qu’ils nourrissent et protègent intérieurement de peur d’être rendus à jamais coupables de l’avoir abandonnée et ainsi, d’avoir tranché le dernier lien qui la retenait à la vie. C’est une part d’eux-mêmes qu’ils sacrifient, chacun à partir des scénarios de son désir, depuis une enfance qui les a engagés dans une histoire singulière, mais lestée du poids d’un silence tombal qui vient de beaucoup plus loin qu’ils ne peuvent l’imaginer, le concevoir.
Nous cherchons toujours à sauver notre père, notre mère, voire les deux. Toujours. Même quand le prix à payer pour cette fidélité est exorbitant. Même quand le prix à payer est le démantèlement du corps propre, l’abjection, l’enfer d’un assujettissement qui ne permet aucune paix. C’est pourquoi naître ne suffit pas, il faut qu’un espace intérieur puisse se constituer pour l’enfant, à partir du sentiment qu’il a d’être aimé inconditionnellement, c’est-à-dire à partir d’un lieu en somme qu’on pourrait presque dire spirituel. Spirituel parce qu’il ne se résume à rien d’autre qu’à la pure présence.
La pensée, même chez les pervers à l’intelligence aiguë, a en horreur le désir en tant qu’il anime la pensée. La pensée doit être « affectée » d’un récit qui rend possible la machination mise en place par le pervers pour jouir. Ce scénario est très contraignant, il peut être philosophique, littéraire, poétique ou grotesque, il n’en est pas moins un récit qui double le réel sur la même couture, qui le suture d’ailleurs entièrement, pour qu’il n’y ait aucun doute possible.
Une psychanalyse inscrit dans l’amour de transfert des cases blanches où il n’y a plus de mots à remplir, des cases pour la respiration, pour la mémoire juste, pour le vide. Un « faire le vide » qui permet à une histoire, à un visage, à une vie, au croisement de tous les mots, de trouver leur réelle présence.
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Philosopher ensemble !
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Avec la participation de:
Alain Fleischer, Anastasia Colosimo, Anne Dufourmantelle, Avital Ronell, Barbara Cassin, Bernard Harcourt, Bernard Stiegler, Boris Cyrulnik, Bruno Karsenti, Camille Riquier, Catherine Chalier, Catherine Millet,
Charlotte Casiraghi, Christian Godin, Claire Chazal, Claire Marin, Claude Hagège, Cynthia Fleury , Davide Cerrato, Denis Kambouchner,
Dominique Bourg, Donatien Grau, Edwige Chirouter, Elisabeth Quin, Emanuele Coccia, Éric Fiat, Étienne Bimbenet, Fabienne Brugère, François Dosse, Frédéric Gros, Frédéric Worms, Gary Gillet, Geneviève Delaisi de Parseval, Geneviève Fraisse, Georges Didi-Huberman, Georges Vigarello, Géraldine Muhlmann, Gérard Bensussan, Hakima Aït El Cadi, Jean-Luc Marion, Jean-Pierre Ganascia, Joseph Cohen , Judith Revel, Julia Kristeva, Laura Hugo, Laurence Devillairs, Laurent Joffrin, Luc Dardenne, Marc Crépon, Marie Garrau, Marie-Aude Baronian, Mark Alizart, Markus Gabriel, Marlène Zarader, Martine Brousse, Corine Pelluchon, Maurizio Ferraris, Mazarine Pingeot, Michael Foessel, Miguel de Beistegui, Monique Canto-Sperber, Nicolas Grimaldi, Olivier Mongin, Paul Audi, Perrine Simon-Nahum, Peter Szendy, Philippe Grosos, Pierre Guenancia, Pierre Macherey, Raphael Zagury-Orly, Renaud
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