Lorsqu'on lit dans
La preuve, d'
Agota Kristof, que « [...] tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace », il est impossible de ne pas penser à certains auteurs qui nous sont chers. Je n'avais jamais entendu le nom de
Jean Esponde, mais je pense que cet auteur a d'ores et déjà tout pour devenir un de mes préférés. Je viens de finir son dernier livre, Zones d'admirations. Dans ce petit bouquin il marie magistralement un texte très agile, voire entraînant, avec un lyrisme devant lequel —sous réserve de ne pas trop se disperser— on ne cesse de s'inspirer.
Même maintenant que je le ferme, je m'aperçois que les divers sujets dont le livre fait mention continueront de résonner en moi comme des tableaux vivants. Son fil conducteur est le voyage dans le temps et dans l'espace sans qu'il soit jamais évoqué comme un but ultime par Esponde qui joue constamment avec différentes Weltanschauungs, parfois discordantes, mais en aucun cas incompatibles. Sa plume aime jouer avec chaque petit détail qui en même temps relie et sépare certaines idées presque comme une casuistique sécrète que le lecteur est invité à intérioriser, comme lors des dialogues entre
Plutarque et Ariane (pages 19 jusqu'à 21) ou entre
Héraclite et un berger (37-42).
Dans des phrases plus ou moins ciselées, les concepts sont décrits, développés. Puis tout à coup ils sont disséqués sans pitié, détruits rien que pour être repris ailleurs dans l'oeuvre. Rien n'y semble définitif et la porte à l'interprétation est laissée consciemment ouverte dans une poétique de la fascination devant la nature du monde et des êtres. La grandiosité du langage, le fait qu'il ne s'abstienne pas de nous solliciter tout le temps de rester bien attentifs pour ne rien perdre de cette sorte de banquet que l'homme prend à la table des muses, est récompensé par l'humilité d'un esprit qui se sait éphémère, capable de nous émouvoir avec des propos comme celui de la page 49, où on ne peut véritablement dire si la voix narrative continue de parler d'
Héraclite ou si, au contraire, ouvre une parenthèse pour faire une réflexion sur sa propre condition :
« Comme celle de tous les êtres, ma singularité présente s'effacera ».
Si elle s'adresse à elle-même, c'est peut-être le cas de la rejoindre pour nous demander aussi : ubi est, mors, victoria tua ? Mais ne désespérons pas et reprenons la lecture sans commisération ni auto-compassion exagérées, elles détonneraient avec l'esprit qui se dégage de la plupart de ces notes.
Alors que par endroits on a l'impression que l'auteur se complaît à parodier les écrivains le plus chers à lui tels
Victor Segalen,
Jean Genet et spécialement
Arthur Rimbaud, une deuxième lecture suffit pour nous éclairer là-dessus. Ce n'est que parce qu'il s'en imprègne qu'il n'arrête pas de penser, certainement il s'agit d'un lecteur invétéré. La Grèce antique et la Chine classique, ainsi que les grands philosophes allemands sont aussi au rendez-vous, ici on ne cache pas son profond respect pour cet héritage venu de si loin.
Il est des livres dont la classification nous échappe : est-ce que celui-ci c'est de la poésie ou de la prose poétique ? Ou de la prose tout court ? Quoi qu'il en soit,
Jean Esponde a rendu au lecteur un immense service en lui offrant ce bel opuscule à charge de revanche : on devra tout simplement trouver sa réponse personnelle. Il est fort à parier que chacun qui s'y penche sera sorti avec un avis tout singulier, selon la lecture qu'il fasse de ces 125 pages.
Un grand merci à Babel et aux éditions de L'atelier de l'agneau de m'avoir permis cette découverte dans le cadre de l'opération Masse Critique.