Sous la plume de
David Foenkinos, les imbéciles heureux ont la capacité à faire éclore la plus absurde des vérités. Ils ne se contentent pas de jouir de leur condition, ils révèlent bien malgré eux la part la plus intime de ceux qui les côtoient, jusqu'à l'excès.
Ainsi, c'est avec une innocence pleine de naïveté que Conrad se met en tête de quitter la République Tchèque et de rejoindre celui qui lui a été présenté durant son enfance comme son oncle,
Milan Kundera. Arrivé à Paris, il y rencontrera surtout toute une galerie de personnages qui se révèleront totalement farfelus à son contact. Au premier desquels Victor (le narrateur), jeune homme riche et oisif, en proie à une étrange dépression et qui a fait de la digression un art. Largué par Térésa qui voulait un enfant, il lui ramène un adulte idiot.
Contraints à une cohabitation à trois, ils sont béats d'attendrissement pour Conrad, voire envoutés par sa gentillesse désarmante qui créé une euphorie grisante au sein de l'appartement jusque-là bien morne. L'ancien couple auréolé d'un amour sans commune mesure pour le simple d'esprit se livre même une guerre qui se révèlera pleine de surprises et de péripéties pour obtenir la garde de cet adulte devenu leur enfant chéri. Une guerre saugrenue où les sentiments mêlés d'amour et de haine révèlent l'étendue de leur naïveté, une guerre qui ne manquera pas d'éveiller les instincts primaires et vulgaires de Victor et Térésa face à
la délicatesse nouvelle de Conrad.
Voilà un roman qui aurait pu s'appeler Les contemplations d'un mollusque : les interminables digressions souvent absurdes et futiles de Victor n'ont rien d'une parenthèse, c'est un océan où se noie toute la première moitié du récit et où je n'avais aucune bouée de sauvetage pour me sauver de l'ennui. Dépressif, Victor tâtonne, tournicote, pinaille, incapable d'agir faisant de la pusillanimité son étendard. La première réflexion qui vient à l'esprit est qu'il est long le chemin menant Victor à la stabilité ! Puis à partir d'une nuit d'ivresse, jubilatoire, on découvre que « les ennuis sont le meilleur antidote à l'ennui ». Victor a fait sienne cette expression empruntée à l'écrivain
Bernard Franck depuis sa rencontre avec Conrad. Il parait que l'amour paternel donne des ailes, Victor s'emploie alors à préserver cet amour démesuré par des actions aussi loufoques que drôles qui, très souvent lorsqu'elles émanent d'indécis maladifs, se retournent contre lui. Tout est alors imprévisible, la dépression apparaît presque jouissive chez le narrateur aux réflexions incisives et déstabilisantes.
Il convient certainement d'assouplir ses exigences de réalisme et de bienséance littéraires pour apprécier ce premier roman et se laisser porter par le regard désinvolte, décalé et même insolent du narrateur. Des réparties toniques et pleines d'humour qui témoignent d'une vivacité d'esprit, des jeux de mot sarcastiques qui révèlent la stupidité des évidences…c'est une véritable leçon de dissidence et de style qui émerge dans ce premier roman.
Cependant le style ne fait pas tout, ce roman tordu aurait mérité un peu plus de consistance et un peu moins de longueurs.