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EAN : 9782072951930
336 pages
Gallimard (06/01/2022)
3.47/5   36 notes
Résumé :
La légende raconte comment un mage, autrefois, parvint à consoler un peu l’empereur du chagrin profond où l’avait laissé la mort de la femme qu’il aimait. Dans l’obscurité, il fit apparaître sous ses yeux la silhouette de la belle courtisane disparue. Ainsi naquit l’art du « Pi Ying Xi », auquel, en Occident, nous donnons le nom d’« ombres chinoises » et dont la tradition se perpétue jusqu’à aujourd’hui. Car chacun d’entre nous, dans la nuit où il vit, cherche à ret... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Le dernier roman en date de Philippe Forest est une fable savante et drôle. Très émouvante aussi.

Une fable ou un rêve. Un trompe l'oeil. Comme ces tableaux où suivant une rivière qui descend paisiblement vers la vallée, on se retrouve au sommet d'une cascade bouillonnante.

Un pur condensé de littérature. En tout cas de ce que je considère comme littérature.

Répondant à l'appel au secours trouvé dans une confiserie servie avec son café dans un restaurant chinois où il déjeunait, d'une jeune fille retenue prisonnière, le narrateur nous emmène en Chine.

La Chine est un pays où il est souvent allé mais qu'il avoue ne pas pouvoir comprendre ni connaître, tant tout y est à une autre échelle.

La Chine est indéchiffrable pour lui, mais ses romanciers écrivent des livres qu'il aurait pu lui-même écrire, ou donnent à leurs livres des titres qu'il a déjà lui-même attribués aux siens, bien après eux certes, mais bien avant qu'il ait eu connaissance de leurs oeuvres.

Après ou avant cela n'a d'ailleurs pas d'importance puisque c'est à partir du présent que chacun façonne son passé. Ce sont les événements d'aujourd'hui qui nous permettent d'inventer les signes prémonitoires d'hier.

Le roman se termine à Paris, à deux pas du domicile du narrateur, dans un quartier chinois où se déploie une Chine de pacotille, donnant donc à voir et à comprendre la Chine mieux que ne le ferait le meilleur sinologue.

En poussant plus avant qu'à l'accoutumée sa promenade, le narrateur se retrouve dans un quartier qu'il connaît bien. Il reconnait un endroit qu'en son temps il fréquentait régulièrement (dont je ne dirai rien de plus pour ménager la surprise) mais qu'il situait tout à fait à l'opposé de chez lui. Un peu comme le narrateur de « la Recherche du temps perdu » découvre que le côté de chez Swan et le côté de Guermantes se rejoignent.

Et un peu comme le narrateur de Marcel Proust, à la toute fin de l'oeuvre, décide d'écrire le roman qu'il se croyait incapable de réaliser, et que nous venons de lire, le narrateur de Philippe Forest entreprend de nous raconter cette histoire qu'il vient d'inventer, pour la faire advenir.

Comment ne pas penser à Aragon et à son « les incipits où je n'ai jamais écrit à écrire » où, racontant sa vie, il nous explique qu'il a commencé à s'intéresser à l'écriture quand il a compris qu'il pouvait écrire pour raconter des histoires…

Le récit se déroule et s'enroule, pour se dérouler à nouveau, dans une langue simple et claire qui en sert remarquablement la complexité et la malice.

Ces tours et détours, ces déambulations sans logique apparente, nous éblouissent par leur savante construction, nous amusent par leur humour, nous émeuvent par leur sincérité, et toujours nous replacent face à nous-mêmes, quand une dernière boucle se dénouant, nous découvrons son propos intime, comme on découvre au détour d'un sentier de randonnée un paysage que l'on trouve d'autant plus beau qu'il était inattendu.

Dans ce roman un théâtre d'ombres chinoises fait advenir la réalité ; silhouettes, symboles et images représentant, mieux que des acteurs réels ne le feraient, les disparus dont l'absence nous laisse inconsolés.
(Comme dans un autre roman un chat découpant sa silhouette sur les rideaux du salon, glissant entre deux mondes, laissant son image « ondulée » sur les plis du rideau, avant de disparaître à nouveau, incarnait l'âme d'une fillette disparue prématurément.)

Car c'est bien cela qu'il s'agit d'affronter encore : la disparition dont rien ne console, le trou béant qui ne se referme jamais, l'absence que rien ne peut compenser.

La littérature comme seule moyen pour dire l'indicible ; le roman comme seul outil pour inventer la réalité.
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Hello, le Forest nouveau est arrivé !

Mais rien de neuf sous le soleil : l'écrivain peut bien aller au bout du monde, l'ombre de sa fille morte en bas âge le poursuivra toujours par delà le miroir, derrière le rideau du théâtre, fût-il d'ombres chinoises. Rien de neuf donc. Enfin, presque rien, seulement la manière de dire à nouveau quelle vacuité a laissé chez cet auteur sensible la perte de son enfant. Mais c'est précisément parce que tout est dans la manière sans cesse renouvelée de décrire cette insondable béance, avec une justesse de plus en plus aiguisée et subtile, que Forest s'affirme au cours des années comme un grand écrivain.


Invité en Chine, en tant qu'auteur français reconnu, il y est allé donner des conférences pendant des années. Ce roman (qui a bien des allures de récit) nous fait partager les impressions ressenties par un Européen dans des métropoles géantes telles que Beijing, Shanghai et Nanjing.

Pas d'intrigue, ou si peu. En revanche, par un bon nombre de références à ses publications précédentes, l'auteur laisse entendre, lui pourtant si discret sur ce plan, qu'il serait plus connu en Chine qu'en France. Il manie toujours cette séduisante série d'interrogations sur l'écrivain écrivant, sur le "roman" advenant et sur le parcours erratique de toute vie dans le labyrinthe des possibles, progression qui peut tout aussi bien vous égarer totalement ou vous ramener à votre point de départ. Durant ce cheminement, les "pourtant", "ou plutôt", "à moins que ce soit le contraire" et les "je crois bien" (qui laissent sous-entendre le doute) démontrent à l'envi l'approche prudente de l'expression d'une idée et la vanité qu'il y a à rechercher une vérité qui "n'enseigne rien, sinon qu'elle n'existe jamais que sous la forme que revêt son absence".


Je ne sais pas quelle pourrait être l'impression de celui qui entrerait dans l'oeuvre de Forest par ce roman. En revanche, pour avoir lu plusieurs de ses écrits antécédents, j'ai eu plaisir à retrouver ses réflexions sur l'écriture ; il avoue, après avoir lu "fatalité" de Shi Tiesheng, qu'il aurait pu "avoir écrit certaines de ses phrases". Ailleurs, n'avait-il pas dit qu'il entamait la rédaction d'un ouvrage en ayant l'impression que ce livre "avait déjà été écrit, qu'il existait quelque part dans la grande bibliothèque dont un autre avait parlé" ?


Quand Forest prend le contre-pied face à la perte d'un être aimé en estimant que "l'âme humaine ne parvient à sa plénitude qu'en raison de l'expérience qu'elle fait du manque et de la perte", quand il allègue que le passé ne serait que le produit d'une fabrication par le présent ("le présent donne au passé l'apparence qui lui plaît") il philosophe diront les uns ; oui : il nous aide à vivre.


En Occident, une porte est ouverte ou fermée. La logique floue n'est pas notre fort. L'Orient est tout empreint de nuances. En ce sens, l'écriture de Philippe Forest est orientale : ses jeux d'ombre offrent plus de place à l'imagination que ne le font les projecteurs les plus sophistiqués.
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« Théâtre d'ombres » n'est que le sous titre pour afficher l'importance de la Chine dans ses recherches littéraires et intimes.
« La nuit dit mieux la vérité de la vie. Elle la transforme en une sorte de théâtre d'ombres sur la scène duquel où que l'on soit, les spectres familiers auxquels le jour avait provisoirement donné congé reprennent du service et offrent à qui les observe la représentation inchangée des songes que chacun emporte avec soi. »
Cet écrivain majeur, pour moi, avait mis en scène la Seine débordante qui confinait chacun chez soi dans « Crue ».
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/12/crue-philippe-forest.html
Tourné vers l'Orient dans « Sarinagara » qui signifie en japonais « cependant » mais également « tout » et « rien »,
https://blog-de-guy.blogspot.com/2008/12/sarinagara-p-forest.html
il revient toujours à la mort de sa fille : «Tous les enfants sauf un ».
https://blog-de-guy.blogspot.com/2010/10/tous-les-enfants-sauf-un.html
« Des ombres prennent la place des vivants dont elles évoquent les formes afin que reviennent à l'existence les fantômes de ceux qui sont partis. Si j'ai bien compris.»
Vacciné des fantastiques de pacotille, j'étais plutôt méfiant et puis je me suis laissé envelopper par ses douces prudences, ses approches pleines d'humilité, d'honnêteté qui nous feraient presque avancer en sagesse : savoir qu'on ne sait pas.
« La solution et l'énigme ne se distinguent pas. »
Bien des phrases simples extraites de ces 330 pages sembleraient provenir de quelque manuel de « développement personnel » alors qu'il n'y a ni surplomb, ni recette, simplement une littérature profonde et élémentaire, légère et exigeante, qui fait du bien.
« A mesure, chacun invente le passé qui convient à son présent. On fait croire, en général, que le passé entraine le présent. Mais c'est l'inverse qui est vrai. »
Et même si des références à des auteurs chinois peuvent sembler lointaines, nous sommes rassurés que tant d'érudition laissent toute la place aux mystères, au lecteur.
« Les idéogrammes sont trop anciens ou bien la manière dont ils ont été tracés les rend méconnaissables. Cela n'a pas beaucoup d'importance. Une page est un paysage. L'inverse aussi. »
Il est question de vie et de mort, « au pied de ces autels obscurs où, sous sa forme la plus nue, s'éprouve une insupportable inquiétude, une angoisse sans nom et parfois l'épouvante que, dans les cauchemars, fait naître ce qui, inexorable, vient vers nous dans la nuit et que l'on ne comprend pas. »
Il est question d'éternité et de modestie, alors dans le reflet d'un miroir, quelques phrases peuvent nous concerner :
« On peut rester fidèle à ce qui n'a été qu'à peine, l'ombre que l'on a laissée sur un écran de pierre ou de papier et qui, pour la simple distraction de quelques-uns qui n'y accordent vraiment d'importance, s'agite avant que la lampe s'éteigne, que les artistes rangent leur matériel, remisent leurs marionnettes, que la musique se taise et que la salle se vide, ne laissant aux rares spectateurs qui déjà s'en sont retournés à leurs vies que le souvenir d'une histoire qui, pourtant, ils le savent même s'ils ne s'en soucient pas, pour chacun, était aussi plus ou moins la sienne. »
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Je découvre Philippe Forest grâce à ce roman qui n'en est pas vraiment un. C'est plutôt un récit de divers voyages qui est là l'occasion pour l'auteur de s'épencher sur différents sujets. C'est en réalité également un récit de voyage intérieur, dans les pensées de Philippe Forest. Il nous fait ainsi part de ses réflexions sur certaines oeuvres ou auteurs, français comme chinois ou japonais.

Pour la Chine, il y est par exemple question de Lu Xun, Zhou Zuoren ou Shi Tiesheng que j'aime beaucoup, ainsi que du Voyage vers l'est, très grand classique littéraire. Je redécouvre ces oeuvres et auteurs à travers un regard neuf, une approche différente (celle d'un non sinologue), ce que j'ai trouvé très intéressant.

J'ai beaucoup aimé que l'auteur nous décrive la scène littéraire chinoise et ses impressions sur la société et son évolution récente (liée à la politique, au Covid etc). Il ne cesse de nous dire que la Chine est un pays qu'il ne comprend pas, malgré les nombreux séjours. C'est un pays effectivement complexe à appréhender même si j'estime que Philippe Forest l'a bien cerné.

Cette lecture était assez exigeante, non pas au niveau du style de l'écriture qui était simple et fluide, mais plutôt quand aux sujets abordés qui étaient divers et parfois sans réels liens les uns entre les autres. À travers ses écrits, nous ressentons la grande détresse de la perte de son enfant, elle est omniprésente, l'auteur y revenant régulièrement, que ce soit en citant l'hôpital dans lequel elle était suivie ou des auteurs ayant malheureusement vécu la même tragédie.

Le 13ème arrondissement, des voyages en Chine, la scène littéraire chinoise, ce livre avait tout pour me plaire.
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Avec douceur et discrétion, Philippe Forest empoigne le monstre de notre siècle : la Chine. Comment parler de la Chine sans tomber dans les clichés et les considérations journalistiques ? En prenant le chemin le plus intime, le plus singulier. Pi Ying Xi est un excellent essai d'écriture de soi, pas vraiment une auto-fiction, mais plutôt un récit de voyage intellectuel et sensuel. Un texte qui prélève dans tous les voyages que Forest a effectués en Chine depuis vingt ans, des éléments particuliers qu'il fait résonner les uns dans les autres : les ombres, les fantômes, les morts, les mythes.

Ce n'est pas un roman, ne nous y trompons pas. La mention « Roman » sur la couverture pourrait égarer des lecteurs. Ce n'est en rien un roman. Il n'y a ni fiction ni intrigue. Les auteurs et les éditeurs tiennent au genre roman car c'est ce qui se vend le mieux, mais ce n'est pas notre problème de lecteurs. Nous, en tant que lecteurs, nous voyons là un essai personnel, qui prend des libertés farouches avec le récit, et qui n'hésite pas à proposer des réflexions littéraires sur des classiques chinois, sur la fameuse Pérégrination vers l'ouest, sur le non moins célèbre Lu Xun, le grand écrivain du XXe siècle, fondateur de la modernité littéraire en Chine. Surtout, Philippe Forest nous fait découvrir le frère de Lu Xun qui fut un auteur plus confidentiel mais très intéressant à bien des égards, plus proche de Forest lui-même.

C'est donc un entrelacs de réflexions, de réminiscences, de portraits, qui se lit extrêmement bien et qui nous fait rencontrer une Chine méconnue.

Car le livre se passe en grande partie dans le monde universitaire chinois, et plus précisément dans le monde des études françaises. Il décrit justement les Chinois docteurs en français qui parlent étonnamment bien notre langue. On rencontre des profs et des étudiants de Nankin, de Shanghai, de Beijing et de Wuhan. À la lecture, on comprend peu à peu combien la Chine est un géant qui se donne les moyens de devenir la première puissance du monde. Notamment dans des domaines d'étude minuscules, comme les études françaises.

L'auteur se montre minable en France et gigantesque en Chine. Coincé dans un appartement minuscule à Paris, il devient un albatros de la pensée dans le nouvel empire du milieu. Inconnu en France, il côtoie les prix Nobel dans les universités chinoises qui l'invitent et lui déroulent le tapis rouge.

Les Chinois lui parlent avec déférence, ils gardent un ton aimable avec lui, mais il est clair qu'ils se fichent radicalement de ce qu'il a à dire. La Chine qui transparaît dans ce roman est un pays qui est déjà loin devant la France et l'Europe, qui n'a plus aucune raison d'admirer nos cultures. C'est un pays qui n'a plus besoin de nous, qui n'a pas peur de nous, qui n'a plus d'admiration pour nous. Nous sommes devenus décoratifs pour eux, des ombres et des fantômes.
Lien : https://gthouroude.com/2022/..
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critiques presse (2)
LeFigaro
23 mars 2022
Entraînant le lecteur vers une Chine rêvée, le romancier poursuit une œuvre profonde dominée par l’incomplétude et la perte.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
17 janvier 2022
Le romancier et essayiste est chez lui à Paris ou à Nantes, au Japon ou en Chine – cadre de son nouveau roman, « Pi ying xi ». Mais où qu’il se trouve, c’est pour y affirmer l’altérité du proche comme du lointain.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
En matière de romans, on devrait toujours faire confiance aux femmes. Elles ont un don pour détecter ce qui est toc et ne pas se laisser duper par les fausses valeurs dont les hommes s'entichent. Enfin, pas toujours. Non : pas toujours. C'est le moins que l'on puisse dire. Mais parfois. Tout dépend des femmes dont on parle. Et des hommes aussi.
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La nuit dit mieux la vérité de la vie.
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Videos de Philippe Forest (23) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Philippe Forest
Tout a-t-il déjà été dit en littérature ? L'écrivain est-il condamné à se répéter ? Et comment réinventer la littérature après Balzac, Baudelaire ou encore Proust ? Pour répondre à ces questions, Guillaume Erner reçoit l'essayiste et romancier Philippe Forest.
#litterature #culture #livres ___________ Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
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