Des séances chez sa psy racontées comme autant de courtes nouvelles.
On retrouve les thèmes de certains autres livres de Fournier, et bien sûr son humour, sa poésie, son art de dire avec légèreté les sentiments les plus lourds.
Un livre rafraîchissant qui se lit très vite.
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Poète et paysan
Séance du lundi 22 mars à 10 heures.
Hier, c'était le printemps. La nouvelle n'a pas dû parvenir jusqu'ici, ma psy fait grise mine...
Le ciel est bas, il pleuviote. J'ai vingt ans. La terre est couverte de betteraves jusqu'à l'horizon, il y en a des millions. Il va falloir toutes les arracher.
Le tracteur, dont on a bloqué le volant avec un sandow, avance droit, en tirant sa remorque, au milieu des rangées de betteraves déterrées. De chaque côté, quatre hommes silencieux suivent. Avec des fourches, ils ramassent les betteraves et les jettent dans la remorque. Je fais partie du cortège, je suis un des quatre.
En Sorbonne, on ne m'a pas appris à me servir d'un fourchet, je m'en sers mal. Il faut toujours prendre les betteraves par le dessous en présentant les dents tangentes au sol. Il m'arrive souvent d'enfoncer les dents dans la betterave, elle reste accrochée, il faut alors que je m'arrête, que je la détache à la main. Je perds du temps, j'ai de la terre plein les mains, le manche de mon fourchet est glissant. Insensible, le tracteur continue d'avancer, mes collègues sont impassibles et résignés, comme dans un tableau de Millet. J'en ai marre.
Qu'est-ce que je fais sous ce ciel qui me pèse de plus en plus et qui s'égoutte dans mon cou ?
Pourquoi je suis là, moi l'étudiant en cinéma, qui, il y a un mois, préparais l'entrée à l'IDHEC, moi qui rêvais d'être Fellini, moi qui regardais le monde à travers un viseur de caméra, moi qui passais mon temps à la cinémathèque devant les films russes, moi qui dissertais sur la négativité de l'espace dans la mise en scène chez Fritz Lang ?
Le soir, je suis devant mon assiette, tellement fatigué que je pique du nez dans ma soupe. Quand je relève la tête, je vois parfois, sur l'écran blanc et noir de la télévision, les noms de mes camarades qui scintillent. Ils n'ont pas fait leur retour à la terre, ils travaillent à la télévision. Je les imagine. Je les vois bien habillés, en train de parler à des gens célèbres et de tutoyer des jolies comédiennes. Moi, au fond de la Picardie, dans un village qui ne doit même pas être sur les cartes, je sens le fumier, mes bottes sont crottées et je tutoie les vaches...
Je ne suis pas là provisoirement, en vacances chez un parent cultivateur, c'est bien pire. Je suis là pour longtemps, pour les beaux yeux de la fille du fermier.
Je veux l'épouser.
Le peintre est jaloux de l'écrivain, il trouve qu'il a beaucoup de chance, il a tous les mots du monde à volonté, livrés à domicile, ses sacs de mots ne sont jamais vides comme ses tubes, et les mots ne sèchent pas comme ses couleurs. Il n'y a pas de marchand de mots, les mots sont à discrétion, en plus ils sont gratuits. S'il avait su, il aurait fait écrivain.
Je ne sais pas si gourou, au pluriel, ça prend un x, mais ça prendrait bien ma main dans la gueule.
Récemment, j’étais à côté d’un auteur à succès. Il y avait une grande file devant son stand, une plus petite devant le mien. Comme il faisait des dédicaces très longues, j’ai eu le temps d’observer les gens de sa file.
Mes lecteurs sont bien mieux que les siens.
Parole d'écrivain avec Jean-Louis Fournier
Pour ce quatrième episode de la nouvelle saison de « Parole d'ecrivain », Sarah Masson avait rendez-vous avec Jean-Louis Fournier, qui vient de publier son nouveau roman « Je n'ai plus le temps d'attendre ». Pour Jean-Louis Fournier, l'écriture est un jeu, un plaisir de raconter et une grande liberté. C'est aussi un homme pressé qui nous parle de notre rapport au temps.
Bonne ecoute !
Un podcast de Sarah Masson, egalement auteure d'un premier roman chez JC Lattes : « le Silence apres nous ».
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