Après avoir lu l'
Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, je m'étais procuré cette Genèse de l'idée de temps, le temps étant un domaine fascinant à plus d'un titre. Bien que, pour Guyau, ce dernier n'existe pas objectivement, il n'est qu'une création de l'esprit...Théorie originale qui mérite que l'on s'y intéresse.
L'ouvrage s'amorce sur une préface de
Thierry Paquot qui synthétise rapidement la vie de Guyau et l'influence qu'a eu ce livre sur certains penseurs,
Jankélévitch et Bergson en tête. S'ensuit une introduction par
Alfred Fouillée qui n'est autre que le beau père de l'auteur, nouveau mari de sa mère après le décès de son père. L'introduction est intéressante en tant qu'elle replace l'oeuvre et la pensée dans le contexte de ce qui l'ont permises : la philosophie de
Kant et notamment sa vision du temps, domine de très loin cette introduction.
Kant qui justement, soutient l'existence d'un temps "objectif", et c'est là que la pensée de Guyau prend le relais.
Pour Guyau, le temps est une pure création de notre esprit, il n'est que le lien d'une suite de situations spatiales, mais cette connexion - comme les connexions de la causalité de Hume - n'existe pas hors de l'esprit humain. Point n'est besoin d'avoir conscience du temps pour constater le changement : l'animal qui souffre ressent ce changement d'état, du neutre au douloureux, et agit en conséquence ; pour autant, il n'a pas conscience du temps qui passe.
Ce que nous appelons le temps n'est donc qu'une connexion d'images a posteriori, et non a priori comme beaucoup le pensaient et le pensent encore. Mais pourtant, il est indéniable que les choses changent, comment pouvons-nous vieillir si le temps n'en est pas la cause ? Guyau vous répondrait que tout n'est qu'un rapport de force : si je décide de parcourir une distance à pieds, je considèrerai qu'il me faut tant d'heures pour en voir le bout ; par ce « tant d'heures » c'est un « tant de pas » qui s'expriment, et par ce « tant de pas », les ressources physiques nécessaires à l'actionnement du mécanisme corporel me permettant de marcher ; il n'est pas question de temps mais de force. Autre démonstration permettant d'appuyer cette thèse : nous n'avons pas la même considération du passé selon, l'année, l'époque, etc. Qui ne s'est jamais dit « j'ai eu l'impression que cette heure en a duré quatre », ou alors, au crépuscule de l'année, retraçant dans son esprit quelque évènement marquant ayant eu lieu cependant que l'on appréciait son soleil levant, un traditionnel « il me semble que c'était hier » ?
Le temps n'est donc pas une nécessité de l'évolution, c'est l'évolution qui est une des nécessités du temps - de sa considération, mais, le temps n'existant pas objectivement, les deux termes sont identiques. En effet : nous n'aurions pas évolué pour prendre conscience des actions que nous avons accomplies, nous n'aurions pas pu les classer selon cette idée chronologique ; nous serions resté au stade animal, nous n'aurions jamais bâti cette idée de temps. Nous serions êtres purement spatiaux donc, et certaines expressions restitueraient cette idée : il est courant de dire que le passé se trouve derrière nous, l'avenir devant.
Tout cela est bien évidemment très succin et doit omettre d'évoquer des parties importantes de l'ouvrage, mais s'il vous intéresse, je ne saurai que vous conseiller de le lire, de ne pas vous contenter de cette chronique sans prétention - ce serait trop pour mes pauvres épaules que l'on a beau me dire larges, elles ne le seront jamais assez. D'autant qu'il est très accessible pour peu que l'on s'en donne la peine, la philosophie ne suffisait pas à Guyau, il s'est aussi fait poète et bien que la prose de cet ouvrage reste naturellement très philosophique, il est courant qu'il emploie des images - parfois magnifiques - aidant non seulement la compréhension, mais également le surgissement d'une plume qui sait se montrer sublime. Guyau admirait
Victor Hugo, et ça se sent.
Un livre passionnant donc, sur une idée que je n'ai pas vu souvent évoquée dans leur monde qui n'est plus platonicien. La théorie se révèle naturellement difficile à soutenir sur bien des points, mais Deleuze nous dirait que la critique pure et simple ne sert pas la philosophie, que cette dernière veut une création permanente ; je soutiens. Je lirai donc Bergson afin d'apprécier la manière dont il s'est appuyé sur cette Genèse de l'idée de temps afin d'en faire quelque chose d'autre, afin de créer. Pour en revenir à Guyau, il reste l'auteur d'une pensée qui m'intéresse toujours autant et dont je ne manquerai pas d'approfondir la découverte.