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EAN : 9782040160326
192 pages
Bordas (30/11/-1)
3.92/5   510 notes
Résumé :
"Les Châtiments" ont fait entrer le rugissement dans la poésie, et ce rugissement de Jersey a pour base et contrepoids le rugissement de la mer. Leur torrent prophétique et leur tempête, leur nature physique, le volume de leur cri n'existeraient pas sans le dialogue et la lutte de la voix humaine et de la mer, pareils au dialogue et à la lutte de Jacob et de l'ange". (Albert Thibaudet)
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
3,92

sur 510 notes
Difficile d'accès quand on n'est pas féru d'Histoire de France, on en comprend quand même la révolte qui sous-tend l'ensemble des poèmes de ce bouquin.
Je resterai toute ma vie une grande admiratrice de l'homme et de ses oeuvres, de la force de ses convictions et de ses combats. Il est fidèle à lui-même, et même s'il a pu se tromper et être déçu par l'humain, il a toujours suivi une ligne directrice de défense du bas peuple qui l'honore...
Ce bouquin devrait être le livre de chevet du peuple français, il est d'actualité. Autre époque, autres gouvernements, même combat...
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Les Châtiments c'est le Dies Irae de Victor Hugo. Il y déchaîne une colère tellurique. Une colère politique engagée, loin de l'art pour l'art défendu par Mallarmé plus tard dans sa poésie.
Hugo, témoin de son temps, veut rendre compte et accuser le régime de Louis-Napoléon Bonaparte. Arrivé d'abord légalement au pouvoir en 1848, mais empêché de modifier la Constitution alors en vigueur, ce dernier organisera un coup d'Etat le 2 décembre 1851. Ce coup d'Etat aura pour conséquence l'exil de Victor Hugo. L'année suivante, jour pour jour, le Second Empire est proclamé.
Dans ce recueil incendiaire, le poète détricote avec une ironie féroce le régime de « Napoléon le Petit », ainsi qu'il le surnommera. Il y a aussi du tragique, comme dans le poème « souvenir de la nuit du 4 », aux allures de reportage sur le vif :

« L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand'mère était là qui pleurait. »

Car au-delà de la critique sans concession d'un régime honni, Hugo brandit le martyre du peuple, bafoué par des régimes illégitimes, installés pas la force.
Il y a aussi la mélancolie du poète sur son rocher battu par les vents et la mer, devenue l'icône quasi exclusive pour le représenter : « Puisque le juste est dans l'abîme ». L'océan est d'ailleurs omniprésent dans le recueil, comme une image du peuple :
« Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.
Il est sous l'infini le niveau magnifique ;
Il a le mouvement, il a l'immensité. »

Et parmi ces vers, il est une pièce qui, à elle seule, vaut le titre, si galvaudé aujourd'hui, de chef d'oeuvre : « L'Expiation ». Nous en connaissons tous le fameux extrait, qui parle d'une « morne plaine » dont nous nous apprêtons, cette année 2015, à fêter le bicentenaire. J'ai nommé Waterloo !
Mais « L'Expiation » c'est beaucoup plus que l'exposition dramatique d'une défaite militaire : c'est la défaite des hommes avides de pouvoir, sous le sévère regard de Dieu. C'est un pont entre deux coups de force politiques : le 18 Brumaire et le 2 décembre ; l'oncle et le neveu, quel que soit l'admiration d'Hugo pour le premier.
Dans l'Antiquité, les poèmes lyriques étaient chantés, accompagnés de musique. « L'Expiation » mériterait des pièces de l'envergure du Stabat Mater de Vivaldi ou du Requiem de Mozart, selon qu'on est triste ou en colère…comme le poète face à ce gâchis.
Tout s'achève par « La Fin », hymne au progrès et à la liberté, qui sonne le glas du Second Empire, lequel sombre dans la guerre, la défaite et l'exil pour l'empereur.
Dès lors, selon le voeu d'Hugo, le pouvoir revient au peuple :

« La guerre, c'est la fin. Ô peuples, nous y sommes.
Pour t'entendre sonner, je monte sur ma tour,
Formidable angelus de ce grand point du jour,
Dernière heure des rois, première heure des hommes ! »

Question usuelle : pourquoi lire Les Châtiments ? Pour lire la grandeur d'une révolte, of course ! Essayez, ça vous changera des emportements de salons mondains qu'on nous assène dans les médias !
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Les châtiments sont sûrement, l'un des pamphlets poétiques les plus virulents qui puissent avoir été publiés. le ton grandiloquent, grave, rageur, voir vengeur de l'auteur, le rappelle sans cesse. Mais l'arme de l'humour corrosif, moqueur, à la limite de l'insulte, parfois, détermine des angles d'attaque multiples, contre la bête maléfique qu'il décrit, en fait un homme politique de chair et d'os : Napoléon 3 empereur des Français.
Victor Hugo dans un réflexe quasi pavlovien montre l'ennemi à abattre, avec un instinct animal, il s'emploi à détruire méticuleusement celui qui l'a trahi, mais surtout, celui qui a trompé le peuple français, en ne respectant pas la constitution de la seconde République et qui s'est arrogé le droit de faire un coup d'état, cette dernière, ne lui permettant plus de se représenter.
Outré, par cette action scélérate et la répression violente qui s'ensuivit, l'auteur décide d'écrire ce recueil politique, se plaçant à la tête de l'opposition irréductible face au félon et usurpateur, qu'est devenu Louis Napoléon Bonaparte.
Le livre par sa teneur reste presque intemporel, pouvant s'appliquer au monde actuel et à des cas similaires. Avec ce récit, Victor Hugo nous livre une épopée lyrique de conscience poétique et d'engagement politique sans concession contre l'oppression et la tyrannie.

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« Les Châtiments » (1853) et « Les Contemplations » (1856) sont les deux recueils les plus intimes de Victor Hugo : le premier parce qu'il marque son opposition foncière à Napoléon III, le second parce qu'il évoque la mort tragique de sa fille Léopoldine. Vous savez, Victor Hugo, dès qu'on le descend de son cadre au-dessus de la cheminée, est comme vous et moi, il a ses coups de coeur et ses coups de gueule : il adore Adèle et Juliette (les femmes de sa vie, pas les chanteuses) et il exècre Napoléon III, dit Badinguet, dit Napoléon le Petit.
Côté politique il n'a pas toujours été très clair, Victor Hugo. Jeune, il était monarchiste (il a même écrit des odes à l'intention de Louis XVIII et Charles X, puis, suivant sans doute l'exemple de son père, ex-général d'Empire, il se déclara bonapartiste. Sous la monarchie de Juillet il se rallia à Louis-Philippe sans renier ses convictions antérieures. Pendant la Révolution de 1848, il se rangea du côté des conservateurs, mais le coup d'état du 2 décembre 1851 qui fit de Louis-Napoléon Bonaparte, président depuis trois ans, le maître absolu de la France et bientôt l'Empereur des Français, lui fit réviser tous ses points de vue : il avait confisqué la République à son profit. Cet acte de bassesse fit de Victor Hugo un opposant à vie, et ancra en lui des convictions républicaines parfois même socialisantes, en tous cas hautement humanistes, qu'il garda jusqu'à sa mort.
« Les Châtiments » sont donc une réaction virulente et violente contre le coup d'état du 2 décembre 1851. Mais pas seulement. Victor Hugo règle aussi ses comptes (de façon un peu moins voyante, toutefois) avec le bonapartisme en général, avec en particulier un précédent notoire, le 18 brumaire 1799, où l'oncle (Bonaparte) s'emparait de la France comme le neveu (Louis-Napoléon) venait de le faire le 2 décembre 1851.
Le recueil lui-même s'intercale entre deux longs poèmes « Nox » et « Lux », (« Nuit » et « Lumière ») au symbolisme assez clair : Napoléon III a plongé la France dans la nuit, et Le France doit trouver en elle-même les forces pour retrouver la lumière. La principale originalité de ce recueil est de réunir, à l'intérieur d'une tonalité générale satirique, et même agressive, une diversité de tonalités secondaires qui, mises les unes avec les autres, donnent un ensemble à la fois cohérent, coloré et séduisant : La postérité à retenu les poèmes les plus épiques, comme « L'expiation » (avec ces deux chefs-oeuvre absolus que sont « Il neigeait » et »Waterloo »), mais Hugo use avec beaucoup de savoir-faire de la chanson (telle que l'a popularisée Béranger), l'invective satirique, le lyrisme populaire et pathétique, et même sur la fin et l'ouverture vers l'avenir, la vision prophétique.
Tous les talents poétiques (et pas seulement poétiques, d'ailleurs) de Hugo sont donc réunis dans ce recueil : Comme Beethoven, dans un autre art et cinquante ans plus tôt, on ne peut qu'admirer à la fois la puissance de l'idée et la maestria de la réalisation : Hugo est vraiment un surhomme, et il le sait, il le croit :
Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S'il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là !
Pas modeste, Victor, légèrement emphatique, mais il a sans doute le droit de le faire. D'autant qu'il n'est pas avare de pensées pour le Peuple : S'il fustige les Grands de ce monde, il a toujours un mot pour les petits, les pauvres, les enfants, les victimes.
Et c'est pourquoi s'il y aura toujours un « Victor Hugo hélas, ! », il y aura toujours un « Victor Hugo, tant mieux ! ».

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Il est bien sur difficile pour une néophyte de "critiquer" cette oeuvre (qui prend vraiment tout son sens).

La lecture en fut difficile et longue, pour vraiment prendre mon temps sur chacun des poèmes et tenter d'en comprendre le sens. Ce ne fut pas chose aisée, de part les références historiques, mythiques et religieuses.

J'ai apprécié la diversité de style, tantôt agressif, tantôt satirique et la diversité des supports, de longs poèmes, des chansons, ...

J'ai vraiment ressentie sa colère, les propos sont très forts, très dures et la description de batailles (notamment dans l'expiation) est tout simplement magnifique, des tableaux s'incrustaient dans mon esprit.

Voici mon simple avis pour une oeuvre magistrale.
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Citations et extraits (156) Voir plus Ajouter une citation
Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue,
Deviner
Si c’est du côté sombre ou joyeux que la roue
Va tourner ?

Qu’est-ce qui va sortir de ta main qui se voile,
O destin ?

Sera-ce l’ombre infâme et sinistre, ou l’étoile
Du matin ?

Je vois en même temps le meilleur et le pire ;
Noir tableau !
Car la France mérite Austerlitz, et l’empire
Waterloo.

J’irai, je rentrerai dans ta muraille sainte,
O Paris !
Je te rapporterai l’âme jamais éteinte
Des proscrits.

Puisque c’est l’heure où tous doivent se mettre à l’oeuvre,
Fiers, ardents,
Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre
Au dedans ;

Puisque l’idéal pur, n’ayant pu nous convaincre,
S’engloutit ;
Puisque nul n’est trop grand pour mourir, ni pour vaincre
Trop petit ;

Puisqu’on voit dans les cieux poindre l’aurore noire
Du plus fort ;

Puisque tout devant nous maintenant est la gloire
Ou la mort ;

Puisqu’en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent,
Jour sacré !
Puisque c’est le moment où les lâches reculent,
J’accourrai.

Et mon ambition, quand vient sur la frontière
L’étranger,
La voici : part aucune au pouvoir, part entière
Au danger.

Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes,
Sont chez nous,
J’irai, je me mettrai, France, devant tes fautes
A genoux !

J’insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres,
Leurs défis ;
Je te demanderai ma part de tes misères,
Moi ton fils.

Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes,
Tes malheurs,

Je baiserai tes pieds, France, l’oeil plein de flammes
Et de pleurs.

France, tu verras bien qu’humble tête éclipsée
J’avais foi,
Et que je n’eus jamais dans l’âme une pensée
Que pour toi.

Tu me permettras d’être en sortant des ténèbres
Ton enfant ;
Et tandis que rira ce tas d’hommes funèbres
triomphant,

Tu ne trouveras pas mauvais que je t’adore,
En priant,
Ébloui par ton front invincible, que dore
L’Orient.

Naguère, aux jours d’orgie où l’homme joyeux brille,
Et croit peu,
Pareil aux durs sarments desséchés où petille
Un grand feu,

Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes,
Tu dansais

Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges
Du succès,

Alors qu’on entendait ta fanfare de fête
Retentir,
O Paris, je t’ai fui comme noir prophète
Fuyait Tyr.

Quand l’empire en Gomorrhe avait changé Lutèce,
Morne, amer,
Je me suis envolé dans la grande tristesse
De la mer.

Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire,
Bruits confus,
J’opposais à ton luxe, à ton rève, à ton rire,
Un refus.

Mais aujourd’hui qu’arrive avec sa sombre foule
Attila,
Aujourd’hui que le monde autour de toi s’écroule,
Me voilà.

France, être sur ta claie à l’heure où l’on te traîne
Aux cheveux,

O ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne,
Je le veux !

J’accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille
Ont craché ;
Tu me regarderas debout sur ta muraille,
Ou couché.

Et peut-être, en la terre où brille l’espérance,
Pur flambeau,
Pour prix de mon exil, tu m’accorderas, France,
Un tombeau.
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Souvenir de la nuit du 4

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! -
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -

Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

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Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
Ils s'appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s'écroule en nuage ;
Ceux qu'on ne connaît pas, ceux qu'on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L'ombre obscure autour d'eux se prolonge et recule ;
Ils n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l'on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
Regarder sans respect l'astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l'âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N'attendre rien d'en haut ! ciel ! oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d'immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j'aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, coeurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu'une âme en vos cohues !
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Puisque le juste est dans l'abîme,
Puisqu'on donne le sceptre au crime,
Puisque tous les droits sont trahis,
Puisque les plus fiers restent mornes,
Puisqu'on affiche au coin des bornes
Le déshonneur de mon pays ;

Ô République de nos pères,
Grand Panthéon plein de lumières,
Dôme d'or dans le libre azur,
Temple des ombres immortelles,
Puisqu'on vient avec des échelles
Coller l'empire sur ton mur ;

Puisque toute âme est affaiblie,
Puisqu'on rampe, puisqu'on oublie
Le vrai, le pur, le grand, le beau,
Les yeux indignés de l'histoire,
L'honneur, la loi, le droit, la gloire,
Et ceux qui sont dans le tombeau ;

Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime !
Tristesse, sois mon diadème !
Je t'aime, altière pauvreté !
J'aime ma porte aux vents battue.
J'aime le deuil, grave statue
Qui vient s'asseoir à mon côté.

J'aime le malheur qui m'éprouve,
Et cette ombre où je vous retrouve,
Ô vous à qui mon coeur sourit,
Dignité, foi, vertu voilée,
Toi, liberté, fière exilée,
Et toi, dévouement, grand proscrit !

J'aime cette île solitaire,
Jersey, que la libre Angleterre
Couvre de son vieux pavillon,
L'eau noire, par moments accrue,
Le navire, errante charrue,
Le flot, mystérieux sillon.

J'aime ta mouette, ô mer profonde,
Qui secoue en perles ton onde
Sur son aile aux fauves couleurs,
Plonge dans les lames géantes,
Et sort de ces gueules béantes
Comme l'âme sort des douleurs.

J'aime la roche solennelle
D'où j'entends la plainte éternelle,
Sans trêve comme le remords,
Toujours renaissant dans les ombres,
Des vagues sur les écueils sombres,
Des mères sur leurs enfants morts
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A ceux qui dorment

Réveillez-vous, assez de honte !
Bravez boulets et biscayens.
Il est temps qu'enfin le flot monte.
Assez de honte, citoyens !
Troussez les manches de la blouse.
Les hommes de quatre-vingt-douze
Affrontaient vingt rois combattants.
Brisez vos fers, forcez vos geôles !
Quoi ! vous avez peur de ces drôles !
Vos pères bravaient les titans !

Levez-vous ! foudroyez et la horde et le maître !
Vous avez Dieu pour vous et contre vous le prêtre
Dieu seul est souverain.
Devant lui nul n'est fort et tous sont périssables.
Il chasse comme un chien le grand tigre des sables
Et le dragon marin ;
Rien qu'en soufflant dessus, comme un oiseau d'un arbre,
Il peut faire envoler de leur temple de marbre
Les idoles d'airain.

Vous n'êtes pas armés ? qu'importe !
Prends ta fourche, prends ton marteau !
Arrache le gond de ta porte,
Emplis de pierres ton manteau !
Et poussez le cri d'espérance !
Redevenez la grande France !
Redevenez le grand Paris !
Délivrez, frémissants de rage,
Votre pays de l'esclavage,
Votre mémoire du mépris !

Quoi ! faut-il vous citer les royalistes même ?
On était grand aux jours de la lutte suprême.
Alors, que voyait-on ?
La bravoure, ajoutant à l'homme une coudée,
Etait dans les deux camps. N'est-il pas vrai, Vendée,
Ô dur pays breton ?
Pour vaincre un bastion, pour rompre une muraille,
Pour prendre cent canons vomissant la mitraille.
Il suffit d'un bâton !

Si dans ce cloaque ou demeure,
Si cela dure encore un jour,
Si cela dure encore une heure,
Je brise clairon et tambour,
Je flétris ces pusillanimes,
Ô vieux peuple des jours sublimes,
Géants à qui nous les mêlions,
Je les laisse trembler leurs fièvres,
Et je déclare que ces lièvres
Ne sont pas vos fils, ô lions !
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