Philosophe engagé et musicologue,
Jankélévitch a écrit sur les musiciens français du tournant du siècle — Satie, Debussy, Fauré,
Ravel —, avec amour et humour, et il ne cache pas son admiration pour les deux derniers : «
Ravel a vécu dans ce rayonnement de charme dont Fauré a été le centre pendant près d'un demi-siècle ; aussi convient-il d'associer dès les premiers pas le musicien du “Secret” au nom de l'artiste le plus secret lui-même, le mieux masqué, le plus jalousement pudique que la France ait connu depuis Racine ».
Ce livre ne peut être pris comme une biographie, pas plus que l'excellent « roman biographique » d'
Echenoz aux Éditions de Minuit. Qui cherche une biographie au sens d'un CV informatif et factuel lira celle de
David Sanson chez
Actes Sud. Ici
Jankélévitch témoigne de son émotion, il s'engage et choisit. Pour ma délectation, il commente le Quatuor en fa, le Trio en la mineur, « radieux chef-d'oeuvre de la maturité », la Sonate en duo pour violon et violoncelle, « peut-être la réussite la plus exceptionnelle de notre musicien », le Concerto en sol et celui pour la main gauche, écrits simultanément, et bien sûr l'oeuvre pianistique avec au sommet Gaspard de la nuit. Il y ajoute les ballets et l'oeuvre vocale que je ne pratique pas (une mention pour le Kaddish que je découvre). Il s'amuse comme
Ravel lui-même de la popularité insensée du Boléro (« Créer un poncif, c'est le génie ! »). Voir aussi en annexe un texte extraordinaire de la main de
Ravel, publié dans La Petite Gironde (!) du 12 juillet 1931, intitulé « L'art comme suprême imposture », qu'il faut lire intégralement.
Jankélévitch est un pianiste expert que je suis incapable de suivre dans les finesses de rythmes ou de tonalités, dans les portées qu'il recopie et à plus forte raison dans ses remarques sur les doigtés. Les données techniques abondent dans le chapitre « L'Industrie », mais « L'oeuvre dans son devenir », « Appassionato » et la « Chronologie » suffisent à recommander la lecture. Il faut se garder de prendre cette dernière pour un résumé biographique : « 27 mai 1899 : Première audition, sous
la conduite de l'auteur, de l'ouverture de Shéhérazade à la Société Nationale de Musique.
Ravel est copieusement sifflé ».