Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, on ne présente plus
Frédéric Lenoir, qui est un peu à la spiritualité ce qu'est
Christian Jacq à l'égyptologie, stakhanoviste en essais et romans à succès. Il fut aussi réalisateur et animateur d'émissions sur France Culture, « Les racines du ciel » avec
Leili Anvar, voix céleste pour les insomniaques, beaucoup plus discrète médiatiquement, grande spécialiste de la poésie persane avec notamment son vibrant « Rumi : la religion de l'amour ».
France Culture aux éditions Albin Michel a offert un très beau cadeau au public avec le recueil d'entretiens réalisés avec
Abdenour Bidar,
Christian Bobin,
Marcel Conche,
Pierre Rabhi,
Fabienne Verdier et
Patrick Viveret. Ces entretiens sont sans doute encore accessibles en podcast, dans les archives de France Culture mais disposer dans un livre de la retranscription de ces échanges permet d'apprécier en profondeur ces entretiens.
J'ai découvert avec intérêt
Abdenour Bidar et
Patrick Viveret. le premier considère que le sacré est dans le quotidien et en chaque être humain . Un cheminement personnel d'islam de responsabilité et de liberté, refusant la « servitude volontaire » d'un pouvoir théologique peut s'épanouir.
Patrick Viveret dénonce la démesure de la finance, en relevant que Wall Sreet, fonctionne en binaire, euphorie ou panique, autrement dit le symptôme de la dépression maniaco- dépressive….
Les autres interlocuteurs peuvent être considérés comme des « illuminés », c'est-à-dire des êtres emplis et passeurs de lumière.
Christian Bobin, ou « la poésie comme chemin spirituel », pour lequel le silence est ce qui est vibrant dans la musique comme celle de Bach (p.21), que « le mal absolu c'est le manque d'attention » (p. 32) qui ne permet pas précisément de saisir le silence. Or c'est précisément ce silence intérieur qui fertilise le poète, et ainsi « je recopie mes livres, plus que je ne les écris » (p. 17) Préférer « la course des nuages à la course aux honneurs » (p. 33).
Marcel Conche le sage périgordin, l'épicurien à la vie simple. Mais comme
Montaigne avec lequel, entre périgourdins, il a toujours entretenu un relationnel étroit il ne s'est pas laissé enfermé dans l'exégèse académique. Il a vécu en Chine, apprit la langue, traduit le
Tao Te King. Il s'est ainsi éloigné de la philosophie classique « moderne » (
Descartes,
Kant…) trop fragile, car inféodée en définitive à l'existence d'un Dieu unique créateur.
J'ignore si les deux hommes entretenaient des relations mais la sensibilité, le style de vie de
Marcel Conche étaient largement en phase avec l'action de
Pierre Rabhi.
Ce dernier avait sa place naturelle dans la ligne éditoriale de ces émissions. Décédé tout récemment dans une relative indifférence, comme un
Théodore Monod en son temps, il fut un pionnier de l'agro écologie, la mettant en pratique en Afrique et surtout dans son domaine en Ardèche sur des terres présumées incultivables. Il n'a cessé de plaider pour cette sobriété heureuse pour arrêter de maltraiter la nature et l'empoisonnement spirituel et alimentaire de l'homme. On retrouve aussi des accents de
Christian Bobin : « la réhabilitation du sacré est indispensable » (p. 162).
Fabienne Verdier est une artiste peintre créatrice d'oeuvres contemporaines monumentales. Elle puise son son inspiration dans son long apprentissage acquis auprès de son maître dans le Si Chuan, en Chine, relaté dans le vibrant « Passagère du silence ». Elle pratique « la spiritualité dans la peinture », l'éthique dans l'esthétique. Elle s'isole pendant de longues périodes. Elle a conçu une technique et des outils spécifiques ; en principe elle peint debout, à la verticale avec des pinceaux géants. « Il s'agit de jouer alors avec les forces fondamentales, la gravité. (…) en accord et en harmonie avec celles de la nature » (p. 66). Au risque de paraître iconoclaste et irrespectueux, il pourrait être suggéré que le poids, si j'ose dire, de la gravité pour un observateur candide peut être relativisé. L'univers de la peinture chinoise n'est-il pas précisément un entre deux où les formes minérales, liquides, nuageuses sont comme en suspension, en lévitation, où la lumière elle-même semble indécise dans son flux vertical ?
Quoiqu'il en soit, c'est un bonheur de lire, d'entendre les paroles de
Fabienne Verdier.
Ce qui est également un vrai bonheur, c'est de constater que ces personnes, dont plusieurs jouissent d'une grand notoriété n'abusent pas de leur tribune pour faire leur promotion. Combien de ces « experts », ces professeurs ne cessent de citer leurs livres dans des occasions comparables, comme si les auditeurs et/ou lecteurs étaient des consommateurs auxquels il fallait vendre ?
Dans « L'enracinement » pour
Simone Weil, « La culture est un instrument manié par des professeurs pour fabriquer des professeurs qui à leur tour fabriqueront des professeurs » (Oeuvres p. 1 068).
Ici, personne ne fait le professeur, leur vies et oeuvres respectives leur donnent une dimension naturelle.
Par conséquent un livre qui permet de rencontrer a minima de belles personnes.
A signaler dans le même esprit, un second recueil d'entretiens « Voix d'espérance » tout aussi enrichissant, avec notamment
Sylvie Germain,
Stéphane Hessel.