Un deuxieme Lucarelli pour moi, une deuxieme enquete du capitaine des carabiniers royaux Colaprico pour l'auteur. Pas tres content, le capitaine. Les italiens ayant fait d'Asmara la capitale administrative de leur Erythree, il a du s'y transplanter, et il souffre du climat plus sec et de l'air qui semble rarefie en ces hauteurs. Il preferait nettement la chaleur moite du port de Massaoua. Par contre son adjoint, son bachi-bouzouk, le zabdie Ogba, s'y sent beaucoup mieux, etant plus pres de sa maison, ou l'attendent patiemment sa femme et ses enfants.
Le duo d'enqueteurs va devoir elucider nombre de morts mysterieuses. Trois abeshas (abyssins) et un ferengi (un europeen), un marquis italien grand proprietaire de terres, pendus a un sycomore sacre. Suicides? Apres qu'une vieille sorciere solitaire soit assassinee, ils commencent a se douter qu'il s'agit de meurtres. Mais comment sont ils lies? Qui est, ou qui sont, les meurtriers? Et pourquoi? Nos enqueteurs, apres bien de peripeties ou ils devront se battre et failliront y laisser leur peau, arriveront a desembrouiller les mauvaises pistes et decouvrir les coupables grace a une serie de coincidences. Et a leur flair surtout, parce que le zabdie Ogba ne croit pas aux begatami, aux coincidences. Tout ce qui a l'air berghez, evident, est pour lui suspect. Il n'arrete pas de repeter: kem fulut negher zeybahriawi yelen, il n'y a rien de plus trompeur que l'evidence. Et Colaprico, grand lecteur de
Conan Doyle, de s'emerveiller: mais c'est une phrase de
Sherlock Holmes! Eh oui, dans cette histoire, Colaprico est le superieur, le patron d'Ogba, mais il n'y tient que le role du docteur Watson.
J'ai apprecie l'intrigue et ses revirements, tres bien menee par Lucarelli, mais j'ai surtout apprecie, peut-etre plus que dans
Albergo Italia, le rendu des relations entre colonisateurs italiens et colonises autochtones, qu'ils ne comprennent pas vraiment. “Ogba aurait voulu s'approcher, s'asseoir devant le capitaine et lui expliquer calmement mais fermement que meme si les ferengi – et encore pire ces cullu ba'llei d'Italiens je-sais-tout – pensaient que les abesha etaient tous pareils, faits pareils, noirs pareils, au caractere et au temperament pareils, en realite ce n'etait pas ainsi. Riches, pauvres, puissants, miskín, catholiques, orthodoxes, musulmans, facons de parler differentes, dialectes differents, comme les Italiens, avec les memes lieux communs que les t'lian attribuaient a leurs compatriotes : ceux du Serae sont orgueilleux, ceux de l'Acchele Guzai sont des emigrants, ceux de l'Hamasien asha sont stupides, ceux du bas plateau ne veulent rien faire. Meme noirs nous ne sommes pas pareillement noirs, pensait Ogba, il y a les keyeh, les clairs, les kedereiti, comme lui, les tzada et aussi les haroro, tellement sombres qu'ils semblent brules”.
Et j'ai aime les descriptions de la nature, des villages aux maisonettes agglomerees, les toucouls, differentes des huttes isolees de bergers, les edmo aux toits de chaume; ainsi que celles des nouveaux quartiers europeens a Massaoua et Asmara.
J'ai aime que Lucatelli insere dans ses dialogues, en plus de mots et d'expressions erythreennes, differents dialectes italiens et leurs savoureux jurons: boja d'e jeval, misère du diable; boja d'una vigliaca putena troja, nom d'une garce de putain de salope, et son equivalent d'une autre region, porca putena d'una vaca boja. Chacun traitant tous les autres de stronzoli, budiulo e ir budello di su ma, connards, batards et fils d'une grande pute.
Et j'ai aime les allusions litteraires a Rimbaud (qui fait du trafic d'armes),
Baudelaire (a qui on doit le cafard, dont souffrent des fois nos heros), et bien sur
Conan Doyle.
En bref, j'ai tout aime dans ce roman. C'a ma ete une joyeuse lecture, tres raffraichissante. L'immersion dans la chaleur de Massaoua ridiculise la canicule qui nous frappe ces jours-ci. Et quand on prend - virtuellement - la direction des hauts plateaux d'Asmara, on respire beaucoup mieux .