Qui pourrait "
Changer le sens des rivières", qui pourrait écrire à une jeune femme ces mots étranges, "tu as été mon point d'orgue" ? Les réponses elles aussi sont surprenantes, à la hauteur du très beau et du très émouvant roman construit par
Murielle Magellan autour de ces deux énigmes.
J'aime à flâner dans les flottements de sa pensée, au style sobre et poétique. J'aime me laisser guider par les mots de
Murielle Magellan, à l'humour efficace, des mots qui se déplacent au gré du vent, changent de sens, vont de l'impasse à l'autoroute, pour fuguer et disparaître, ou qui empruntent un rond point pour mieux assimiler que par moment, la vie n'a pas de sens, pas d'issue.
A l'adolescence on se cherche, et plus encore dans les bras de l'autre. Moi Marie je l'aime, mais lui Alexandre, pourquoi l'aime t-il, pour une bonne ou une mauvaise raison ? La jeune Marie était insouciante, elle ne se posait pas de questions sur son avenir, malgré une formation de chaudronnière, et son Job de garçon de café. Alors, quand Alexandre lui demanda, est-ce que tu connais Truffaut ? Elle dit non. Car c'était si peu important pour elle de connaître Truffaut ou Fleitour ou Magellan, elle s'en moquait.
Tous les mondes d'Alexandre , s'écroulèrent, tout s'écroula car ne pas connaître Truffaut ou Zizou pour un marseillais, c'est une injure, ça n'a aucun sens, c'est juste intolérable !
A ce point là du livre, Marie et Alexandre s'en tapaient , du sens des rivières, à tel point qu'une violente dispute éclata, et son dénouement sous l'oeil goguenard d'une patrouille de la police, accusa Marie.
Le ciel s'assombrit face au juge Doutremont. Sur comparution immédiate la peine était en sursis, mais l'amende fût sévère pour Marie orpheline dont le père était un coûteux fardeau. Et quel juge, non, si, lui, c'est celui du café, celui sur lequel elle a renversé par mégarde une tisane.
Quel juge ! Un juge taciturne, encombrant, un père de plus à surveiller, conduire, écouter sans rien dire, un fardeau, même si le marché conclu avec Doutremont lui permettra de payer l'amende. Cette cohabitation dans le huis clos de sa voiture va virer au cauchemar. Pointilleux, il a au bord de ses lèvres de procureur, cette pensée obsessionnelle, Marie ne doit plus approcher Alexandre.
Rien ne se déroulera comme imaginé par la jeune fille. Doutremont lui ouvrit des fenêtres sur le monde, s'indigna à la pensée que Marie pu éprouver un sentiment d'infériorité qui s'allongeait avec le temps. Un code civil, plus le film le Dernier Métro, plus de bonnes doses de débats entre justice et injustice et les neurones de Marie se remirent à vibrer. Marie, s'informait depuis sur le droit des minorités et sur les génocides, et de tant d'autres sujets... le marteau et l'enclume ne servait plus qu'à déplier les mots tordus, écraser les idées mal dégrossies.
Le drame éclata sur la rivière de l'abandon amoureux, sur le pardon d'Alexandre, murmuré d'avoir cru Marie indigne, sur les échanges de SMS trop visibles pour un Juge.
A qui s'adressait l'énigme, qui pouvait
Changer le sens des rivières. Pour Marie , le sens de l'abandon dans les bras d'Alexandre accompagnait le sens de sa vie, où pour la première fois elle s'imagina porté par le courant de l'amour.
Mais lui scotché à son petit fleuve tranquille de juge, mais terrassé par sa culpabilité, pouvait-il avec son compagnon imaginer ce point si particulier, ce point d'orgue possible, se réconcilier avec sa conscience ?
Les êtres ne sont-ils pas faits pour se comprendre. La personnalité de Marie, sa lucidité, son insondable énergie à donner de la joie et de l'espoir, et même de l'esprit creuse un chemin de traverse, un itinéraire lumineux pour ses proches.
Changer le sens des rivières est une fable sur l'éveil, et plus encore sur le renoncement à ces longs fleuves tranquilles, mornes et insipides jusqu'à leur embouchure dans un tout où l'intime disparaîtra.
Marie est comme le portrait à peine estompé de l'auteure.
Murielle Magellan dont l'énergie, défit les murailles, sans oublier les petites choses de la vie, comme les oiseaux, chez elle, on se cache pour y vivre.