Voilà un assez bon ouvrage qui traite de la science-fiction en littérature, uniquement, et s'adresse, non pas aux fans du genre, mais à des lecteurs désireux de le découvrir ou de le connaître un peu mieux. Ça fonctionne assez bien dans mon cas : si je lis régulièrement de la SF, c'est plutôt récent, je suis en général assez classique dans mes choix et ma culture reste encore très lacunaire. On a donc ici une bonne vision générale du sujet, en partie parce que l'ouvrage suit un schéma chronologique qui permet d'appréhender facilement la naissance et l'évolution de la science-fiction, des divers objectifs et enjeux, de ses rapports avec L'Histoire. Space opera, SF à portée métaphysique ou philosophique, hard science, critique sociale... Tout est passé en revue. Si on n'évite pas tout à fait l'effet catalogue (qui est l'écueil le plus redoutable de la collection Découvertes Gallimard), le grande qualité du livre, c'est donner envie d'aller mettre son nez chez tous les auteurs cités, les débuts de premiers chapitres reproduits en fin d'ouvrage mettant encore davantage l'eau à la bouche.
Cependant, quelques défauts m'ont sauté aux yeux et le premier d'entre eux, c'est que l'auteur ne se risque pas à donner une définition de la SF. Or, s'il y a bien confusion dans les esprits à propos d'une genre littéraire, c'est bien celui-là (le fantastique générant les mêmes doutes). Pire, voulant expliciter la différence entre fantastique et SF, Stéphane Manfredo s'emmêle les pinceaux et finit par créer l'amalgame entre les deux genres - alors que son but était inverse. C'est un peu con, quand même.
Autres bizarreries : d'une part, il n'est nulle part question du steampunk, qui, pourtant, avait déjà largement pris son essor en France au moment où le livre a été écrit (en 2000)... et depuis les années 80 dans les pays anglo-saxons. Ce qui fait qu'on passe complètement à côté d'un des avatars de la SF en pleine expansion. D'autre part, je m'étonne du manque de clairvoyance de l'auteur, qui dans les dernières lignes, conclue que la SF "souffre […] d'une médiatisation très relative […]" Oui, alors là, faudrait peut-être pas exagérer non plus... Il y a tellement de films de SF qui sortent depuis plus de vingt ans et qui sont surmédiatisés, que, inévitablement, les oeuvres littéraires qui en sont à l'origine en bénéficient largement. Et il y a un moment que les librairies possèdent presque toutes un rayon SF.
Il y a un autre truc qui m'a bien agacée, c'est le jugement de valeur que porte Stéphane Manfredo sur les oeuvres dont il est question. Merci bien, mais je n'ai pas besoin qu'on décide pour moi que 20 000 lieues sous les mers est le chef-d'oeuvre de Jules Verne, ni que Mars attacks ! est un film superbe. S'il y a une chose que je supporte mal, c'est qu'on pense à ma place. Et, tiens, pendant que j'y suis (je passe du coq à l'âne), j'ai pas bien compris pourquoi on me parlait de Tolkien dans un bouquin sur la SF... Ça sent l'auteur qui fait du racolage.
Bref, passons à la dernière partie, consacrée aux documents et témoignages. On y trouve des textes intéressants, ainsi que des extraits d'une enquête des frères Bogdanov, qui avaient interrogé dans les années 70 des personnalités très diverses sur ce que représentait la science-fiction pour elles. On notera avec un brin d'amusement que les philosophes bottent bizarrement en touche, alors que Lacan nous déverse un discours creux qui a surtout l'heur de nous révéler qu'il n'avait sans doute jamais - ou peu - lu de science-fiction. Et c'est dommage, le dernier texte, d'un écrivain italien que je ne connais pas, est éminemment prétentieux (la SF serait désormais la seule littérature valable et intéressante, point de vue parfaitement stupide) et sent l'auteur aigri.
Enfin, le petit plus de l'ouvrage, c'est... les illustrations ! Dans les Découvertes Gallimard consacrés à la littérature, c'est souvent là que le bât blesse, car elles manquent d'intérêt et n'ont qu'un rôle de remplissage. Ici, elles enrichissent le texte : c'est avec un plaisir savoureux que l'on retrouve toutes ces couvertures de pulps et autres dessins vintage (ou pas) tout au long de l'ouvrage.
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Le développement du roman marque la même rupture. On aborde la vie intérieure et la psychologie des personnages, promus au rang d'individus.
Le courant réaliste domine la seconde moitié du XIX° siècle, le texte littéraire devient un projet scientifique de lecture du réel.
Chronique de son temps, il évoque en un vaste kaléidoscope les guerres, les révolutions, les changements de la bourgeoisie, l'émergence des classes populaires, le nouvel urbanisme, le capitalisme, bref, les transformations de l'Occident avant les premiers coups de canons des conflits mondiaux.
La littérature réaliste traduit l'intégration du rationnel et de la pensée scientifique dans la vie quotidienne.
En anticipant les résultats à venir de la recherche, la science-fiction, quant à elle, s'approprie la notion de progrès, qu'elle scrute inlassablement depuis le début du XIX° siècle......
(extrait du chapitre I "Littérature réaliste et science-fiction)
Progressivement, la science-fiction se tourne vers les questions d'ordre social et élargit ses thématiques. En 1953, dans Planète à Gogos[...], Frederik Polh[...] et Cyril M. Kornbluth[...] épinglent le monde capitaliste et l'univers des médias dans une vision sarcastique et grinçante du devenir d'un monde soumis à la toute-puissance de la publicité. Réfléchir sur les questions de la liberté, du bonheur, et du sens de la vie devient l'un des enjeux de la science-fiction.
Chapitre 3 - L'âge d'or de la science-fiction
Les cyberpunks dépoussièrent l'imaginaire du genre, en insérant le récit dans un décor d'urbanisation tentaculaire, violent, grouillant et étouffant, proche du thriller, dont ils retiennent également le style et l'atmosphère. Contrairement à la hard science fiction, la technologie n'y a rien de merveilleux. Omniprésente, elle est parfaitement intégrée à la vie courante. Leurs textes se situent dans des futurs très proches, propres à explorer les retombées des technologies de pointe, notamment l'informatique et la biologie, sur la société.
Chapitre 4 - Demain est déjà arrivé
Cependant, dans le cas de la science-fiction, la communication fonctionne dans les deux sens : loin de se tenir à l'écart des lecteurs, écrivains et éditeurs - souvent d'anciens fans - jouent le jeu : ils dialoguent avec leurs lecteurs, les rencontrent, légitimant ainsi un un système encore vivace aujourd'hui tant en Amérique qu'en Europe.
Chapitre 2 - Entre édification et émerveillement
Écrivains et illustrateurs européens, nourris des conquêtes récentes de la science (électricité, sous-marins, téléphone...), rêvent "souvent très sérieusement" le futur. Ils publient leurs récits à côté des travaux des scientifiques et des explorateurs dans des revues de "récréation scientifique" très populaires, où se mélangent littérature et vulgarisation[...].
Chapitre 2 - Entre édification et émerveillement