La Pharisienne/
François Mauriac
Louis le narrateur, au soir de sa vie, se souvient…
C'étaient les dernières années du XIXé siècle.
Brigitte Pian seconde épouse d'Octave Pian, décide de quitter le domaine campagnard de Larjuzon pour vivre à Bordeaux afin que Louis, son jeune beau - fils ne subisse les rigueurs de l'internat.
Brigitte est une logicienne qui est fidèle à la route la plus droite jalonnée de principes moraux, cherchant sincèrement le bien ou du moins en étant persuadée. C'est une femme étonnante pour qui les apparences du mal comptent autant que
le mal, surtout quand elle y trouve son intérêt. Un personnage complexe et composite qui se croit être investie d'une mission divine. Elle sait succomber à la colère car elle se souvient que de grands saints y ont cédé parfois. Elle aspire à être une sainte, mais elle ignore encore qu'un homme, à mesure qu'il fraie sa route vers la sainteté, découvre un peu plus sa misère et son néant. Brigitte, elle, suit le chemin inverse remerciant chaque jour le Créateur d'avoir fait d'elle une personne aussi admirable.
La métamorphose qui s'opère chez Brigitte dans la seconde partie du récit est particulièrement intéressante d'un point de vue spirituel. Son désir de dominer, de régenter, de ne le céder à personne pour la pureté ou la perfection, tout cela va s'éteindre peu à peu. Pour elle l'intérêt de la vie s'est déplacé : elle observe en silence et entre en exégèse. Bien sûr l'entourage, (Michèle, Jean, Louis) croitassister à une manoeuvre et prête les pires intentions à Brigitte. Un climat tendu et délétère s'établit.
Mais Brigitte nous réserve encore bien d'autres surprises, cette pharisienne qui peu à peu se refuse à le rester sans se l'avouer.
Le narrateur, Louis, se remémore beaucoup plus tard son adolescence, son amitié avec Jean de Mirbel, orphelin de père, élevé par son oncle, un être violent et sévère. Jean est une forte tête et se voit confié à l'abbé Calou, un personnage particulièrement humain et attachant, pour les vacances afin de lui inculquer les bonnes manières. L'abbé Calou est de ces innocents qui ne savent pas toujours retenir un mot drôle et qui, plutôt que de ravaler une boutade, s'expose à être pendus. L'avenir ne sera pas un long fleuve tranquille pour lui.
Michèle, la soeur aînée de Louis d'à peine quinze ans, faisant fi des préceptes de Brigitte, sa belle-mère, court le guilledou et n'en fait qu'à sa tête.
Elle n'est pas insensible au charme de Jean et leur complicité rend Louis fou de jalousie et Brigitte outrée par la conduite de Michèle.
Mais Jean plus tard va entendre d'autres chants de sirène et voler dans les bras d'Hortense Voyod la pharmacienne de vingt ans son aînée. En fait il s'agit d'une vengeance à l'encontre de l'abbé Calou qui avait arraché des bras d'Hortense une jeune fille quelque peu perdue. le machiavélisme d'Hortense, femme avertie, va entrainer peu à peu Jean dans une voie sans issue sachant user et abuser de son côté animal, faible Jean dont la jeune imagination livrée à la solitude va être soumise à son instinct de mâle, une exigence aveugle et irrépressible.
Les réminiscences de Louis forment une mosaïquesde faits divers avec comme pilier central et fil conducteur le personnage charismatique de Brigitte qui domine tout le roman au détriment de son mari Octave, un homme falot et insignifiant.
Il n'est plus utile de vanter la qualité de l'écriture de
François Mauriac, dans sa richesse, sa fluidité et sa simplicité dans sa description de l'ambiance landaise où se débattent des personnages dévorés par leurs passions et leurs mesquineries.
Louis se confie et écrit :
«Je puis aujourd'hui donner tout leur sens aux phrases que ma belle-mère répétait inlassablement dans sa chambre, au long des nuits qui précédèrent et suivirent les obsèques de mon père, et que les yeux grands ouverts dans le noir, j'écoutais avec terreur, persuadé que Brigitte Pian était devenue folle. Sous la porte que les rats avaient rongée, je voyais la lumière qu'à intervalles réguliers masquait son ombre errante. Bien qu'elle fût chaussée de feutres, le vieux plancher craquait. »
Et plus loin :
« Je fouillais du regard le troupeau bourgeois et paysan qui se pressait à l'Offrande. Entre toutes ces figures animales, ces nez de furets, ces museaux de renards et de lapins, ces fronts de ruminants, ces yeux de femmes effrayants de vide, éteints ou, au contraire, vifs, brillants, stupides comme ceux des oiseaux… »
Sur les notaires :
« …Ces espèces d‘êtres à crâne, à binocle et à favoris, ces gens d'affaires entre deux âges qui paraissent grimés, échappent aux passions du coeur et tout ce qui est humain leur demeure étranger… »
Quel style !
Une satire de la bourgeoisie paysanne landaise et de ses contraintes religieuses et sociales.
Un excellent roman psychologique riche de spiritualité. Un des plus puissants qu'ait écrit Mauriac, et pourtant pas le plus connu.
Le mot de la fin concerne
la pharisienne, Brigitte :
« Elle savait maintenant que ce n'est pas de mériter qui importe mais d'aimer. »
Magnifique conclusion d'un très grand roman.