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Jay McInerney fait partie des écrivains de la bande des « Brat Pack » (les sales gosses de la littérature américaine) avec Bret Easton Ellis, Donna Tartt notamment (sans le trash de Easton Ellis). Il raconte souvent la belle société newyorkaise, ses désenchantements, les dérives et excès (alcool, drogue, sexe). De ses divers romans, j'ai particulièrement apprécié « le dernier des Savage ». Il y a dans son écriture une réalité de la vie, parfois un peu crue certes, mais elle comme la lumière qui nous renvoie à ce que nous sommes, même si parfois on préfèrerait ne pas la regarder en face et devoir cligner des yeux. Dans « Les jours enfuis » on retrouve un couple newyorkais Russell et Corrine Calloway dont nous avions fait la connaissance dans « Trente ans et des poussières » puis « La belle vie ». (A noter : il n'est pas obligatoire de lire les précédents, même si cela aurait sûrement une autre saveur). Russell est éditeur. Corrine (qui a fait des études d'art) travaille dans une association de dons alimentaires (suite au 11 Septembre). Ils ont deux jeunes adolescents jumeaux. Plus de vingt ans après « Trente ans et des poussières », ils ont à présent cinquante ans (si on compte encore bien). Et nous aussi, on a vieilli. D'ailleurs, je me faisais la réflexion, en retrouvant ces personnages avec quelques années de plus, que Jay McInerney devait aussi, en écrivant ce nouveau roman, se remémorer sa jeunesse, ses propres rêves vingt-cinq ans plus tôt. Néanmoins, ce n'est guère le lieu de faire le compte de mes propres rêves depuis que j'ai lu ce « premier épisode » et de ce qui s'est finalement passé depuis… Même si la période de fin d'années a toujours un goût d'état des lieux. De part leurs métiers et centres d'intérêt, la vie de Russell et Corrine est composée en sorties nombreuses, en gala associatif, en soirées avec des écrivains ou en discussions avec leurs amis de longue date. Ces discussions n'ont d'ailleurs rien d'anodines : elles mettent en exergue les différences sociétales, la crise financière de 2008 qui va avoir lieu, les enjeux politiques (période des élections en 2009 où Obama sera élu président), les comportements et inquiétudes après le 11 Septembre et même les dissimilitudes de genres. Mais, sous cette belle image d'Epinal d'une vie dorée et quasi parfaite, les choses craquent, s'effritent, ternissent (forcément ?). Russell a des problèmes avec sa maison d'édition. Corrine, quant à elle, recroise un homme, Luke, rencontré lors de la période du 11 Septembre avec qui elle avait eu une liaison. Et autour de tout ça, il y a des artistes et leur création magique, leurs doutes et leurs frasques, les amitiés rassurantes, les relations avec les enfants qui sont parfois plus âpres et difficiles à l'âge ado, les problèmes financiers (enfin pas tout à fait du même niveau que les nôtres), les questionnements sur le couple, les envies qui finissent par ne plus être tout à fait les mêmes, les années qui passent, les rides qui s'installent. J'aime l'ambiance que crée McInerney dans ses romans. Dans celui-ci, il y a les références, des anecdotes à tous ces fameux écrivains américains et autres, ces fantômes de grands auteurs qui se baladent tout au long de l'histoire (Hemingway, Raymond Carver –assez logique quand on sait que McInerney a étudié avec lui- Salinger ou d'autres plus contemporains...), de l'art, de la musique. Et puis bien entendu, j'apprécie ses histoires parce que cet écrivain nous raconte l'humain, la société américaine d'aujourd'hui. Avec de l'humour (parfois noir), une tendresse, ou même quelquefois avec plus d'amertume ou de tristesse, il dépeint des personnages qui nous ressemblent (même si, bien entendu, ils sont bien plus dans l'excès et les déviances : monde artistique et mondain oblige ??). Ce sont des personnages bien loin d'être manichéens, parce que modelés par une somme de défauts et de qualités, par des désirs, des peines, des joies, des lâchetés. Et chacun peut se reconnaître dans un de ses personnages ou, tout du moins, retrouver un trait de leur caractère qui nous parle. Alors il est possible que, lorsqu'il ne restera que quelques heures avant le passage de la nouvelle année, je repense effectivement à tous ces jours enfuis. Mais aussi à tous ces bons moments de lectures, à ces retrouvailles, à ces belles découvertes, à ces discussions autour d'un roman ou d'un auteur. Que je me dise alors que, si on n'a pas réussi à réaliser tous nos rêves, si on a fini par accepter que certains seront inatteignables, si notre vie a pris un chemin peut-être loin de ce qu'on s'était imaginé à nos vingt ans et, bien, au moins, tout ne s'est pas tout à fait enfuis. Tout n'a pas filé tel le sable entre nos doigts. Parce qu'il reste toujours en nous ces envies, ces intérêts, ces curiosités, ces appétits. Il nous reste encore ces plaisirs-là : se plonger dans un roman, une oeuvre quelle qu'elle soit, et espérer d'avoir une pépite entre les doigts, en attendre des émotions, du savoureux et du rêve… + Lire la suite |