Par ordre de parution la saga d'Elric de Melniboné débute en avec 1961 avec "The Dreaming City" / "La Cité qui Rêve"… (qui ne va pas rêver longtemps de sa splendeur, d'où le parenté avec le "Dune" de
Frank Herbert qui lui aussi avec un magnifique sens of wonder nous a offert un univers fabuleux juste avant de le détruire !)
Et cela me navre au plus au point de devoir passer par la case mise au point…
En Angleterre, elle est considéré comme un fleuron de la « literacy fantasy », ces oeuvres appartenant aux genres de l'imaginaire qui du point de vue de leur qualité d'écriture n'ont absolument pas à rougir de la comparaison avec les classiques ; en France, elle est encore souvent décriée comme de la sous-littérature située quelque part entre le roman de gare et le catalogue des poncifs du genre… Qui a raison et qui a tord ? Et bien il suffit de comparer la vitalité de la littérature et du marché du livre dans ces deux pays pour comprendre que la France continue de s'enfoncer lentement mais sûrement dans les sables mouvants de l'élitisme sans élites…
Après je ne vais pas vous mentir, il y a aussi à boire et à manger dans cette saga débutée il y maintenant plus d'un demi-siècle et qui comprend des chefs-d'oeuvre, des ratés, des préquels, des séquels, des spin-off, des crossovers et ses propres et pastiches… Et puis, le pessimisme du personnage et la noirceur de l'ambiance peuvent lasser aussi…
Dans l'univers des Jeunes Royaumes, Elric VIII est le 428e souverain de Melniboné, empire sorcier mourant héritier de milliers d'année de magies impies. Albinos, chétif et mélancolique, il ne doit la vie qu'aux expédients que chaque jour il prend, et il est dès le départ Foutu Au Berceau car matricide et parricide involontaire, puisqu'en naissant il a pris la vie de sa mère, avant de prendre celle de son père Sadric LXXXVI mort de chagrin avec le temps… Bibliophile contre son gré puisque cloîtré par nécessité, il est l'homme le plus cultivé de son temps et entend bien mener les réformes nécessaires à la survie de son peuple… (en cela Elric de Melniboné est un peu le Gary Stu de
Michael Moorcock ^^)
Sa rivalité avec son cousin Yrkoon, l'homme qu'il aurait dû être n'y était marqué dans sa chair, va provoquer sa chute, celle de son pays et celle du monde tout entier, car pour sauver sa bien-aimée Cymoril il va ouvrir une brèche entre les dimensions aux Dieux du Chaos autrefois bannis par les Seigneurs de la loi et qui vont se jouer de lui… Nous assistons donc à sa chute graduelle et terrible, l'empereur devenu vagabond ne cessant de faire le mal en voulant faire le bien puisque chacune de ses victoires profite à ceux qui sont responsables de sa triste condition, tandis que se jouent un à un les actes d'une tragédie eschatologique qui va embraser le monde entier et amener le crépuscule des dieux tout comme la fin de l'humanité…
Elric est maudit à plus d'un titre donc fait très bonne figure aux côtés d'Hamlet, d'Othello, du Roi Lear ou de MacBeth, tandis que l'ombre tutélaire d'autres figures shakespearienne plane sur les personnages de cette saga Dark Fantasy qu'on pourrait qualifier de réappropriation grimdark des oeuvres du légendaire dramaturge anglais.
Les influences de l'auteur donnent le vertige :
Edgar Rice Burroughs,
Poul Anderson,
Fletcher Pratt,
Mervyn Peake,
T.H. White,
Jane Gaskell, mais aussi
Bertolt Brecht,
Jean-Paul Sartre et
Albert Camus… Il réussit même l'exploit de marier le Kullervo du "Kalevala" finnois, et le Monsieur Zénith du pulp "Sexton Blake", le Kull de
R.E. Howard (auteur qu'il a toujours adoré pour les raisons que l'on sait) et le Túrin Turambar de
JRR Tolkien (auteur qu'il a toujours détesté pour les raison que l'on sait), et cherry on the cake, le tout sur fond de roman gothique à l'ancienne comme ceux de
William Beckford et
Matthew Gregory Lewis…
Sinon, non Elric n'est pas une antithèse de
Conan le Barbare, mais un frère caché de Kull l'Atlante ! ^^
Deux souverains aimés de leur peuple respectif, détestés et haïs par une aristocratie mixophobe et hostile à tout changement, tous les deux cérébraux et torturés, se perdant dans leurs réflexions métaphysiques lors de leurs accès de mélancolie...
Sinon, non les Melnibonéens cruels et sadiques ne sont pas une antithèse des Elfes pacifistes et artistes de
JRR Tolkien (même si pour le coup il s'est fait une joie de faire un bras d'honneur à celui qui incarnait tout ce qu'il ne supportait pas)… Melniboné n'est en fait qu'une allégorie du Royaume-Uni des années 1950 englués dans le délitement et le démembrement du Commonwealth avec des élites perdues dans leurs rêves d'empires coloniaux au lieu de faire face aux réalités du présent, d'où le singulier développement après la victoire contre le nazisme d'un courant ultranationaliste impérialiste et raciste…
1964, "Le Songe du Conte Aubec" : 4/5
Une nouvelle Elric Free qui officiel autant comme préquel que comme introduction à l'univers dont on nous présente la cosmogonie : les véritables en sont davantage les hommes que les dieux… A Château-Kaneloon, Myschella l'Impératrice de l'Aube guide ceux qui le souhaitent vers le Bord du Monde : ils en deviennent les pionniers non pas en affrontant les dangers inconnus, mais en triomphant de leurs propres ténèbres intérieures… C'est ainsi qu'Aubec de Malador, héros parmi les héros, fait surgir du néant des nations entières qui plusieurs générations plus tard causeront l'Empire Melnibonéen à sa perte… On pioche allègrement dans les théories new age : chaque être vivant est un univers et chaque univers est un être vivant : la saga et la bibliographie de l'auteur a toujours présenté une dimension métaphysique, mais là ça commence fort !
1961, "La Cité qui Rêve" : 5/5
Après des années d'errance Elric revient à Imryrr la Cité qui Rêve pour récupérer son Trône de Rubis et sa bien-aimée Cymoril (on vous a reconnu, Ulysse et Pénélope ! ^^), mais il va détruire l'un et l'autre de ses propres mains, condamnant son peuple à l'exil et son pays à l'oubli… et pour sauver sa propre vie il va même devoir trahir ses amis et abandonnés ses alliés à la vindicte des Seigneurs Dragons de Melniboné…
Elric jette à la mer celle qui désormais assure sa survie mais la démone ne lui laissera pas de répit, et la perte des meilleurs hommes des jeunes royaumes jette le monde dans un chaos dont compte bien profiter les apprentis sorciers de Pan Tang autrefois tenus en respect par la puissance melnibonéenne … (Attention, un monstre peut en cacher un autre et aux méfaits de l'impérialisme britannique peuvent succéder les méfaits de l'impérialisme américain… sifflotte) Shakespearien de début à la fin, dans une ambiance d'une noirceur à couper au couteau !!!
1961, "Tandis que rient les dieux" : 4/5
Elric mercenaire vagabond est contactée par Shaarillaa de la Brume Dansante du peuple ailé des Myyrrhn pour monter une expédition dans la sinistre contrée du Pays Silencieux et retrouver le Livre des Dieux Morts dépositaire des savoirs anciens et d'une infinie sagesse…
Belle relation entre notre Dame aux Camélias à baudrier perdu dans son désespoir pour ce qu'il a fait, et celle qui est superbe à ses yeux mais qui est perdue dans son désespoir pour ce qu'elle est, à savoir un être difforme et infirme aux yeux des siens : le premier souhaite la réponse à ses questions existentielles et donc une fin à ses tourments, la deuxième souhaite la formule magique qui lui redonnera des ailes…
Mais triste et amère fin qui fait de l'ensemble davantage un conte philosophique qu'un récit de sword & sorcery… Toutefois c'est aussi dans ce récit qu'Elric de Melniboné l'éternel champion fait la rencontre de Tristelune d'Elwher l'éternel compagnon, dont le caractère jovial et optimiste fait le contrepoint de sa mélancolie et son pessimiste, et que le sauvera à plusieurs reprises de son propre nihilisme…
1967, "La Citadelle qui chante" : 3/5
Elric accompagné de Tristelune gagnent le Jharkor où Yishana, veuve du roi Dharmit mort lors du sac d'Imryrr l'engage pour découvrir les secrets de Citadelle qui chante cause de multiple disparitions, causées par Balo le Bouffon, déité mineure qui souhaite assouvir ses caprices loin de la lutte entre les Dieux du Chaos et les Seigneurs de la loi…
On assiste à une joute verbale entre Elric qui parle magie et Balo qui parle technologie, mais le débat métaphysique tourne à l'avantage du melnibonéen qui a l'avantage d'être le favori d'Arioch l'un des Six Grand avant ne surviennent la traîtrise de Theleb Ka'arna, agent de Pan Tang et amant de la reine dont l'ego n'a pas supporter d'être supplanté par notre la Dame au Camélias à baudrier (que voulez vous, un agent du MI6 aura toujours plus de sex appeal qu'un butor de la CIA ^^) La rivalité entre Elric et Theleb Ka'arna va accélérer la fin du monde, puisque les deux sorciers vont invoquer des forces qu'il aurait mieux valu laisser de côté…
Vous aurez noté que j'ai scrupuleusement évité de mentionner nommément une certaine épée runique buveuse d'âme qui apporte la tempête, car la nommer c'est prendre le risque de l'appeler… ^^