« Ils étaient quatre, quatre garçons armés d'arc et de flèches, qui montaient à cru de vigoureux petits chevaux bretons à la crinière blonde… Ils n'éprouvaient aucune appréhension, nul mauvais pressentiment et ils auraient bien ri, si on leur avait annoncé que trois d'entre eux allaient bientôt mourir. »
L'an 1133, en pays d'Armor, Galeran de Lesnevin, fils cadet d'un seigneur désargenté, chevauche avec ses compagnons, Haimon de Mordreuc, Jakez et Alan, dans les marécages de l'Aber Wrac'h. L'apologue de cette balade mettra fin à leur désinvolture juvénile. Un vieux sanglier charge Jakez et le tue en le fouaillant.
Au château de Lesnevin, l'existence est fastidieuse et soporifique. Galeran n'est pas encore « compos sui », il n'a pas l'envergure d'un chevalier, et sa mère, lui interdisant de tournoyer, l'astreint à l'étude avec son oncle, Frère Benoît. Las de contenir son impétuosité et voulant déchaîner ses ardeurs, Galeran prie ses amis Haimon et Alan d'aller avec lui vers la rivière d'Izel-Guez. Ce cours d'eau, riche d'un gisement de « mulettes », perles baroques, est disputé depuis des lustres par sa famille et les Lochrist, voisins de leurs terres. En arrivant au poste du guet, ils découvrent alors, que le garde a été agressé et que des marauds pillent le lit de la rivière. Galeran et Haimon font prisonnier leur chef et Alan s'élance à la poursuite des fuyards. Hélas, ils ne l'apprendront que plus tard, ce simulacre de vol n'était qu'un traquenard ourdi par le Borgne Lochrist qui les prend en chasse et les traque avec acharnement, jusqu'à la mort.
« Amour a gouverné mon sens ; Si faute y a, Dieu me pardonne ;
Si j'ai bien fait, plus ne m'en sens. Cela ne me toult ni me donne.
Car au trépas de la très bonne tout mon bienfait se trépassa.
La mort m'assit illec la borne qu'oncques puis mon coeur ne passa. »
Alain Chartier,
La Belle Dame sans merci, XIVème siècle
Qu'ils sont loin les rêves sur Artus et Lancelot ! Galeran, le bagarreur, le coléreux, l'exalté, l'utopiste, est brisé. Fuyant sa maison, se sentant responsable de la mort de ses amis, il s'enfouit dans une macabre léthargie. Il n'y a pas de pardon à son irresponsabilité.
Que les pies, les mouettes et les corbeaux viennent le crever.
Galeran se trouve alors face à un chevalier, comme sortit d'un songe, qui lui propose de le prendre comme écuyer. Il est son rédempteur.
Tous deux partent vers la Normandie, pour une destination distincte… « une abbaye plantée dans la mer », le Mont-Saint-Michel.
Le chevalier a été mandaté par Bernard du Bec, le père abbé, pour élucider des morts suspectes et comprendre l'antagonisme qui règne entre les villageois
Du Mont et l'abbaye. Assisté de Galeran, ils confondront les criminels, cloîtrés entre ces murs humides, austères, sombres et silencieux, aux rythmes des matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies.
« Ici, cause que c'est une île, on a pas de léproserie mais j'en ai vu des lépreux, à Avranches. Au début, ils s'aperçoivent de rien, et puis la graisse jaune vient. le mal s'étend, les chairs gonflent, les os pourrissent et tombent en lambeaux… le mauvais abbé est parti, mais la lèpre, elle est toujours là. C'est rien qu'un moignon qu'est tombé, mais le mal, il est dans tout le corps. »
Empoisonnements, strangulations, pendaisons, défenestrations, viols, culte impie, la marée laisse des sédiments que les sables n'engloutiront jamais.
« Felix qui potuit rerum cognoscere causas !
Heureux celui qui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses ! »
Galeran dans cet épisode doit avoir dix-huit ans. Au début de l'histoire il est fougueux et plein de morgue. le chevalier qui le prend en charge va lui apprendre la pondération, le flegme, l'imperturbabilité, la noblesse, la réflexion, la patience et le revaloriser en lui donnant sa confiance. Son mentor lui apportera le salut et le sacrera chevalier. J'ai aimé ce premier livre qui relate la naissance du preux défenseur Galeran de Lesneven. Nous avons un aperçu de l'histoire de l'abbaye du Mont-Saint-Michel et de Notre-Dame-Sous-Terre. Dans les premières pages, une carte illustre le lieu au XIIème siècle, avec des endroits comme le cloître, le scriptorium, l'aumônerie, les granges, le charnier, l'ossuaire des moines… et dans les dernières pages, un lexique avec tous les mots aux consonances médiévales… autant de noms qui nous envoient au moyen-âge et qui nous font imager cette île.
Avec le livre «
Fauve », je vous conterai la suite prochainement…
« Les vents ont soufflé et se sont déchaînés et elle n'a pas croulé, car elle avait été fondée sur le roc. » Mathieu