Enfin la véritable histoire du Lazare biblique, de ses amies et de ses amis, à travers quelques siècles, de l'Église des premiers temps au New York bariolé de 1962. Un grand moment farceur et fou de vertige philosophique et historique.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/10/19/note-de-lecture-
lazare-attend-william-morrow/
Comment conter la véritable histoire de Lazare, activiste juif palestinien sous la férule de l'Empire romain, contraint de fuir en catastrophe sa terre natale pour échapper à l'arrestation et vraisemblablement à la crucifixion qui guette le plus souvent les rebelles comme lui, en compagnie de Marie, la mère de son ami d'enfance Jésus (qui, lui, n'a pas pu échapper à la police de Ponce Pilate), de Salomé aux réputés talents de danseuse et de Madeleine, ex-compagne dudit Jésus, qui se pique de divination et de sorcellerie ? Comment prendre en compte leur rencontre à point nommé avec un androïde égyptien, mécanique à tête remarquable de crocodile sacré, construite par des visiteurs venus d'un lointain futur, et par là même gardien d'un fier navire déchronologique ? Et comment faire entrer cette étonnante histoire en résonance avec l'humour juif new-yorkais des années 1960, avec la production de films classés X à vocation religieuse, avec la destinée de l'empereur Constantin et avec le concile de Nicée devant trancher dans le vif ce qu'il fut plus ou moins convenu d'appeler la querelle de l'arianisme ? Voici exactement le genre de défis qu'aime à relever, pour notre plus grand plaisir, le grand
James Morrow, qui n'a jusqu'ici jamais reculé devant les vertiges théologiques et philosophiques assortis de l'impérieuse nécessité de mêler étroitement la farce somptueuse, l'humour pince-sans-rire et le vertige de la pensée spéculative : après notamment le parcours détaillé des conséquences de la mort de Dieu, et de la lourde chute de son cadavre de sept kilomètres de long dans le golfe de Guinée («
La trilogie de Jéhovah« , 1994-1999), l'équation curieuse de l'obscurantisme et des Lumières à travers les ultimes soubresauts d'une profession un peu particulière («
le dernier chasseur de sorcières« , 2003), la découverte d'un programme américain d'étonnantes armes de destruction massive, amphibies et cracheuses de feu, alternatives à la bombe atomique, dans les derniers mois de la deuxième guerre mondiale («
Hiroshima n'aura pas lieu« , 2009) ou encore la conception en roman d'aventures haut en couleurs de la quête de l'origine des espèces («
L'Arche de Darwin« , 2015), voici donc le magnifique «
Lazare attend », publié en 2020 et traduit en 2021 par
Sara Doke chez
Au Diable Vauvert.
Il y a un savoureux vertige à éprouver lorsque l'on se penche, avec les historiens et avec les philosophes, sur les moments de naissance des religions, lorsque le récit se mythifie et s'arme d'un clergé, quelle que soit la nature exacte de celui-ci. Un profond sentiment de doute raisonné et d'émerveillement quelque peu tragique peut aisément nous étreindre face à ces myriades de petites causes aux grandes conséquences, à ces vacillements dans lesquels le hasard semble prendre une place surabondante, à ces storytellings décomplexés qui engendreront (ou non), plus tard, des millions de fidèles ou bien davantage.
Marc Paillet, à côté de ses huit superbes enquêtes « policières » conduites par deux missi dominici de Charlemagne, nous avait brillamment offert en 1997 son «
Remords de Dieu », roman fantastique qui revisitait justement l'Église des premiers temps chère au professeur et cardinal jésuite
Jean Daniélou, presque vingt ans avant «
le Royaume » d'
Emmanuel Carrère, et l'on connaît la tragique destinée des « Versets sataniques » (1988) de
Salman Rushdie, qui se penchait avec une gouaille irrévérencieuse sur les premiers temps de l'Islam.
Mêlant avec un brio incroyable le détail historique minutieux et l'inventivité débridée du stand-up,
James Morrow inscrit soigneusement son récit dans le registre de la farce à géométrie variable, multipliant les sauts de langage, les surprises issues de l'oralité, les coqs-à-l'âne apparents, les rapprochements révélateurs et les démonstrations par l'absurde, en une langue spécifique que la traduction de
Sara Doke rapproche parfois joliment de ces autres vertiges que l'on doit à
Pierre Senges (« Cendres – Des hommes et des bulletins« , 2016), pour forcer en nous, entre tragédie et comédie, une réflexion indispensable sur la manière tortueuse dont les « grands récits » idéologiques et politiques, religieux et économiques, sous couvert le plus souvent de tout autre chose, bataillent pour s'imposer au monde.
Lien :
https://charybde2.wordpress...