« Toute connaissance est un exil »
Pierre Bergounioux.
Entrelacs avec « La Nuit du chasseur » de Charles Laugthon (unique et grand film noir de 1955), «
La main gauche » est une mise en abîme de ce film.
Un récit fragmenté qui, séquence après séquence renforce les cheminements narratifs. C'est une transposition dans notre contemporanéité doté d'un style où l'impression d'un réalisme hors norme pose les images et les sons sur les mots. Ici, l'écriture est une apothéose.
Schelley est côté ville artiste plasticienne. Elle travaille sur un projet : celui des barricades. D'origine américaine ( premier lien avec le film), amoureuse de Stéphane, sa belle et compagne.
Elle doit quitter la France, vite, pour régler (enfin) un héritage familial. Schelley ne peut plus se protéger, elle soit affronter les démons et les soupirs. Elle, le mouton noir pour son frère.
Schelley dévore les carnets, femme exutoire, l'écriture est une respiration.
Le roman est bercé par une polyphonie. La voix du journal que Shelley compose durant son périple et la voix intérieure, ses pensées.
« Je viens d'appeler Stéphane. Nous nous sommes parlé comme une caresse à travers une barrière. »
« Je fais ce voyage pour mon frère. Je ne sais pas ce que ça veut dire vraiment. »
Schelley doute mais avance vers ce passé où son ombre fissure encore les porcelaines d'une famille puritaine. Un frère endoctriné, résolument épris de jugements. Retrouvailles pudiques, sourires en coin et regards baissés pour elle. Lui, plus mordant, sarcastique, en proie à la soumission d'une religiosité chronophage.
Derek Munn connaît les arcades psychologiques. Les intériorités blessées prêtent à comprendre et à accéder aux vérités.
« Je n'arrive jamais au but. Il manque les gestes, il me manque les dimensions, la profondeur, la simultanéité de la peinture. »
Schelley est au bord du gouffre. Elle, l'échappée d'un antre conformiste, la fuite lui revient en pleine figure comme un boomerang. Son frère est resté dans l'heure ancienne dans ce midi où son être est ployé sous les affres d'une croyance sectaire.
« Le silence n'est jamais pareil, il est unique au moment où on l'entend, il fait partie de notre illusion. »
« Le présent pour lui est simplement l'emballage de ce passé, chaque jour il l'arrache, le jette. Je lui apporte le désordre. Il voit ça comme un challenge qui engage sa responsabilité. »
Ce livre des passages-gué est une douleur familiale. Un chant d'amour pour Stéphane, les émancipations gagnantes pour Schelley qui revendique son homosexualité et son libre-arbitre.
Un hymne à la création, un livre-monde et écueil.
« Qu'en penserait Billy ? Qu'en penserait son Dieu ? »
Revenir vers son présent. Schelley lâche la bride de l'ubiquité, le deuil d'un passé-cercle. Il aura fallu un voyage pour retrouver le sens du monde.
Ce livre est une aurore boréale. L'éclatante plume surdouée de
Derek Munn accorde la grâce du mot placé au plus juste.
Ce roman est un outil pour les étudiants en littérature tant par sa construction que par ses capacités d'analyses.
Chacun trouvera au travers de Schelley et de l'intimité de «
La main gauche » la force pour combattre les préjugés.
Un livre d'amour, initiatique, où la liberté de conscience est loi.
Magistral, un classique dès l'aube-née. Publié par les majeures éditions L'IRE DES MARGES.