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Rose-Marie Makino-Fayolle (Traducteur)
EAN : 9782742718948
208 pages
Actes Sud (09/10/1998)
3.82/5   225 notes
Résumé :
Ces trois courts romans ont en commun leur fraîcheur, leur simplicité et leur concision exemplaires. Mais tous trois se caractérisent aussi par des personnages à la naïveté cruelle, à la perversité troublante. Yoko Ogawa manipule merveilleusement l'art de la description, qui s'arrête sur les détails pour révéler des émotions profondément enfouies dans l'inconscient des êtres.
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Trois courts romans (comme indiqué sur la couverture du livre) et trois narratrices qui nous parlent de leur quotidien autour d'un évènement précis.

La piscine : Une femme suit un jeune homme, Jun, à chaque fois qu'il va s'entraîner à ses plongeons. Elle aime admirer ses muscles, son allure … Elle est surement amoureuse de lui. Elle le connait depuis petit, ils vivent ensemble dans le même institut qui accueille des orphelins. Elle aime à se rappeler leur enfance, avec des souvenirs communs et l'innocence de leur âge. Mais elle n'est pas une orpheline mais la fille des « directeurs ». Elle s'y sent mal ne supportant pas d'être logée à la même enseigne que les autres, alors qu'elle a ses parents. « Cet institut est un orphelinat dont je suis la seule pensionnaire à y être née sans être orpheline. C'est cela qui a défiguré ma famille. » Elle déteste sa mère qu'elle ne supporte pas. Elle parle sans arrêt n'écoutant qu'elle-même. « En entendant sa respiration saccadée, je me demandais avec cruauté s'il ne lui arrivait pas parfois, à force de bavarde, de se détester elle-même. » Elle en est profondément touchée et marquée par son sentiment de rejet. Avec une petite fille de 17 mois, Rie, elle se rendra alors compte qu'elle est animée d'un sentiment de cruauté et de perversion, en prenant un malin plaisir à la faire souffrir. Cependant, alors qu'elle croyait faire cela en toute impunité, il en sera autrement…

Un récit qui allie la beauté d'une écriture poétique, les souvenirs d'enfance et l'amour, à la perversité et à la cruauté.

Les abeilles : Une femme se sent seule chez elle à Tôkyô, son mari parti en Suède sur la construction de pipeline. Elle doit le rejoindre. En même temps, son cousin, qu'elle n'a pas vu depuis 15 ans, l'appelle pour avoir les coordonnées de la résidence universitaire où elle habitait lorsqu'elle faisait ses études. Il vient un petit temps chez elle , où ils auront l'occasion de se replonger dans leurs souvenirs d'enfance communs, avant de loger dans cette résidence. « Mon cousin se souvenait de manière surprenante des scènes où nous étions tous les deux. Les circonstances qui les entouraient ou l'histoire avaient complètement disparu, mais chaque image s'était gravée avec précision et en couleurs dans sa mémoire. » le directeur est toujours le même, un directeur qui n'a pas de bras et une jambe en moins. Les lieux ont quelque peu changé. Il n'y a pour ainsi dire plus personne, à cause d'une mauvaise rumeur liée à la disparition d'un des résidents. Alors que la narratrice veut venir rendre visite à son cousin, elle le rate à chaque fois et partage un moment avec le directeur. Ensuite elle viendra tous les jours à son chevet alors qu'il dépérit à cause de problèmes de santé. Un bourdonnement est souvent présent dans sa tête et elle ne sait très bien en définir l'origine et l'exact son…

Un récit qui allie la beauté de l'écriture, les souvenirs d'enfance et les échanges amicaux, à l'étrangeté et la douleur.

La grossesse : Une femme raconte la grossesse de sa soeur mois après mois. Celle-ci a des nausées constamment et ne supporte plus aucune odeur pendant les presque 5 premiers mois. Cela oblige la narratrice à éviter de cuisiner à l'intérieur, par exemple. de plus, la maladie des nerfs de sa soeur n'arrangera rien de tout cela « Cette maladie ondule comme des algues flottant à la surface de la mer qui n'en finiraient pas de venir s'échouer sur le sable. » Tout cet ensemble loin de son ordinaire lui donne un sentiment très étrange vis-à-vis de ce futur bébé, qu'elle ne voit pas en tant que tel d'ailleurs. Lorsque les nausées partiront et que l'appétit reviendra, sa soeur mangera énormément. La narratrice récupérera des pamplemousses de son travail (elle est démonstratrice dans un supermarché) qui ne pouvaient être vendus, des oeufs ayant été cassés dessus, et en fera des confitures que sa soeur consommera sans aucune retenue. Elle se rappellera que les pamplemousses d'importation sont dangereux pour la santé, contenants un produit cancérigène qui détruit les chromosomes humains, selon un prospectus qu'elle avait lu. Elle ne s'arrêtera alors pas d'aller acheter ces fruits pour en faire des confitures…

Un récit qui allie la beauté de l'écriture à la perversité et à la cruauté.

Yōko Ogawa est un auteur qui, sans l'ombre d'un doute, a un style prenant, beau, concis et efficace. La cruauté et la perversité qui se dégagent de ces histoires me laissent quand même une impression étrange et un certain malaise, tellement la description est réussie et la réalité perceptible. C'est vraiment particulier. Les travers de certains humains sont donc ici parfaitement mis en scène. Mais elle nous dépeint aussi les souvenirs avec une poésie magnifique, ce qui rend les évènements forts, intenses en émotions. Les personnages sont bien fouillés, les sentiments et émotions décrits avec brio. On parvient avec aisance à avoir de la sympathie ou de l'antipathie voir du mépris ou de l'indignation envers eux. J'ai aimé la façon dont l'auteur nous menait vers des déductions ou des soupçons qui se révèlent au final illusoires. La vérité étant ailleurs.

Je ne sais pas si c'est le meilleur ouvrage à lire pour découvrir cet auteur, c'est pourquoi je pense en lire d'autres à l'avenir. Ce que j'en retiens également, c'est qu'elle a la grande capacité à tenir un certain suspens par l'ambiguïté et cette étrangeté. On ressent comme une menace poindre, même dans une apparente « normalité ». C'est assez difficile à définir en réalité. Ce sentiment de malaise. Là est sans doute le talent de Yōko Ogawa.
Lien : http://madansedumonde.wordpr..
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Daivingu puru / Domitorï / Ninshin karendä
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle


Trois courts romans ou trois longues nouvelles : c'est au choix du lecteur. Sur tous en tous cas plane l'ombre glauque de la corruption et de la perversion qui marquait ainsi, dès ses débuts littéraires, l'intérêt qu'éveille en l'auteur ce qui pervertit la norme et entraîne sa décomposition.

Le premier récit, "La Piscine", nous est conté par la fille du directeur d'un orphelinat. Parmi tous les enfants et adolescents abrités par cette institution perdue dans la campagne japonaise, elle est la seule à vivre encore, et depuis sa naissance, avec ses parents. Dans ce climat particulier, la chose en elle-même a fini par devenir anormale. L'adolescente est lasse, on le sent, de la mission dont se croient investis ses parents, elle étouffe, elle voudrait retrouver la norme - ou ce qu'elle croit l'être. Seule éclaircie dans son ciel morne et routinier : le sentiment amoureux qu'elle a développé, sans qu'il s'en doute, pour Jun, orphelin que ses parents ont plus ou moins adopté. Tous les jours ou presque, elle va l'admirer à l'entraînement, dans la piscine de la petite ville voisine, se perdant dans la contemplation fascinée des muscles de son corps, immobile sur le plongeoir avant le grand saut. Autre plaisir également, mais encore plus secret parce que nettement malsain : sentir s'éveiller en elle certain mauvais instinct qui la pousse à faire du mal aux plus jeunes des orphelins ...

Le troisième texte, "La Grossesse" détaille, toujours à la première personne mais sous la forme d'un journal, les événements qui ponctuent la grossesse de la soeur de la narratrice. de tempérament assez fragile sur le plan nerveux et d'abord heureuse d'attendre un bébé, la jeune femme connaît l'enfer quand apparaissent les premières nausées qui vont la suivre pendant près de cinq mois. Au sixième, par un brutal retournement de situation, elle est prise d'une boulimie dévorante qui se concentre peu à peu sur une délicieuse compote de pamplemousses que lui concocte journellement sa soeur aux petits soins. Mais le lecteur sait, pratiquement depuis le début, que les pamplemousses en question, bien que vendus légalement, ont subi l'atteinte de pesticides capables de faire beaucoup de mal à un bébé en gestation. le pire est que la narratrice le sait aussi et qu'elle agit sciemment pour des raisons qu'Ogawa nous laisse imaginer ...

"La Piscine" et "La Grossesse" sont les plus explicites du lot, adjectif qui, appliqué à l'écrivain japonais, ne signifie pas, loin s'en faut, clarté et rectitude. le lecteur est amené à s'interroger, à se creuser la cervelle, à supputer, à revenir sur ce qu'il croit avoir découvert, à remettre en question les réponses qu'il tente de trouver aux actions des protagonistes. le désir de faire le mal est ici vécu comme un abandon consenti à une sorte de virus d'origine inconnue : la notion de culpabilité en général associée à ce désir n'intervient jamais. le mal est là, tapi dans une cellule de notre âme comme une maladie le serait dans un de nos gènes : il faut faire avec, voire - et c'est cela sans doute le plus dérangeant - l'exploiter du mieux que l'on peut.

"Les Abeilles" représente le texte le plus long et aussi - à notre sens - le plus subtil. On y voit une jeune femme, dont le mari est parti travailler en Suède, aider son cousin à trouver une chambre dans la résidence d'étudiants qui fut jadis la sienne. Elle le présente au directeur de l'institution, un homme cultivé et extrêmement courtois à qui il manque les deux bras et une jambe mais que cela n'empêche en rien de servir le thé à ses visiteurs. L'affaire se conclut et par la suite, la jeune femme se présente par trois fois à la résidence pour prendre des nouvelles de son cousin. Par trois fois, sous un prétexte ou sous un autre, le cousin est absent et elle finit par goûter avec le directeur, ce qui lui donne entre autres l'occasion de constater que, dans l'angle de sa chambre, au plafond, se dessine une tache sombre qui n'arrête pas de prendre de l'importance. A chaque visite également, elle constate, d'abord distraitement il est vrai, que les couleurs des parterres de tulipes sortent assez de l'ordinaire pour aboutir, au jour final, à un bleu soutenu. Enfin, dans leurs conversations, le directeur finit par lui révéler que l'incroyable baisse de fréquentation d'une résidence qu'elle-même avait connue si agitée provient de la disparition inexpliquée, quelques années plus tôt, d'un étudiant en mathématiques dont on n'a jamais retrouvé le corps.

Dans ce récit, Ogawa sort de l'ombre et entraîne presque sans détour son lecteur à soupçonner le directeur d'avoir tout d'abord tué l'étudiant en mathématiques avant de s'en prendre au cousin de la narratrice. L'homme connaît en effet sur les corps des deux jeunes gens des détails qu'il ne peut avoir remarqués que s'il les a vus tous deux dans le plus simple appareil, connaissance qu'il justifie tout naturellement en expliquant que, lui-même étant gravement handicapé, il porte une attention particulière au physique de tous ceux qu'il rencontre.

Finalement, dans les dernières pages, le directeur, malade, s'endort sur son lit et la tache au plafond se met à couler. Affolée par le liquide poisseux qui glisse sur ses doigts, la narratrice part finalement à l'aveuglette dans la résidence pour en chercher la source et découvre, dans un conduit d'aération, un essaim d'abeilles qui y a fait son nid. Mais la manière dont l'auteur amène la conclusion abrupte de son histoire nous fait voir non pas un nid banal mais la carcasse d'un corps où les abeilles auraient trouvé refuge, se contaminant elles-mêmes au contact de la décomposition, ce qui expliquerait les couleurs étranges prises par les fleurs du jardin ...

Oh ! ce n'est pas dit ainsi, rassurez-vous. Ce n'est pas écrit, non. N'empêche que cette carcasse, le lecteur finit par la voir.

Bref, vous l'avez compris, il faut avoir l'esprit aux aguets et l'estomac assez bien accroché pour lire ces trois récits d'Ogawa. Ils n'en restent pas moins fascinants, sachez-le. Toutefois, nous prendrons sur nous de déconseiller la lecture de "La Grossesse" aux femmes enceintes : en ce domaine, croyez-en notre expérience, on n'est jamais trop prudent. ;o)
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LA PISCINE a particulièrement retenu mon attention.

Aya-Chan vit dans l'institut religieuse Hikari qui fait office également d'orphelinat. S'y rendent toutes les personnes qui ont besoin d'être sauvées. Tous les enfants finiront par être adoptés et auront une vie plus belle, sauf elle.

La jeune fille se rend chaque jour en secret dans les gradins de la piscine, fascinée par Jun, ses plongeons, les reflets de l'eau.

Elle découvre en elle une profonde dualité qui aura de tristes répercussions.

Les métaphores avec l'eau (l'eau de la piscine, ses vaguelettes, son odeur de propre, la neige dans un endroit impromptu qui constitue le plus beau souvenir d'Aya, la pluie, les pleurs) représentent la pureté, les origines, le commencement, le secret, qui sont les thèmes centraux de cette nouvelle. 

Puis il y a les souvenirs d'Aya-Chan avec Jun, comme les vieilles lettres qu'ont gardent précieusement et qu'on relit parfois. Les nouvelles lettres qui ne viennent pas s'ajouter aux anciennes. 

" Je me vis tomber dans le bassin vide." 

Un texte très poétique, très troublant, où Yôko Ogawa mêle pureté, mémoire, cruauté, fin d'une époque, difficulté à exprimer ses émotions et des passages nauséabonds où la méchanceté est gratuite. Je suis certaine que si je relisais ce texte je découvrirais de nouveaux éléments. 

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Trois nouvelles, trois femmes en attente. Elles vivent un peu hors du monde, passent beaucoup de temps à observer, font parfois preuve de cruauté.

« La Piscine » met en scène une jeune fille qui vit dans l'orphelinat tenu par ses parents. Elle trompe son sentiment de solitude en passant des heures à observer l'entraînement du champion de plongeon qu'elle aime et admire, Jun, pensionnaire de l'orphelinat.
« Les Abeilles » raconte l'histoire d'une jeune femme solitaire qui renoue avec le propriétaire de la résidence où elle logeait lorsqu'elle était étudiante.
« La Grossesse », c'est celle de la soeur de la narratrice, démonstratrice en magasin qui consigne jalousement les changements provoqués par cet évènement.

Beaucoup de solitude, de mystères, de descriptions précises, surprenantes, mais aussi d'ellipses dans ces trois textes caractéristiques de l'écriture de l'écrivaine japonaise Yoko Ogawa. Il s'y développe en quelques lignes un univers très particulier, dérangeant, qui ne cherche jamais à caresser le lecteur dans le sens du poil. le style de l'auteure est incisif et travaillé. Il évite les clichés et met à nu avec finesse l'intimité de personnages qui restent pourtant énigmatiques.

Des nouvelles fascinantes.
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Une froideur glaciale anesthésie nos sens et nous suivons la voix/voie personnelle, la rigueur chirurgicale de chaque histoire, la cruauté presqu'acceptable de chacun des héros de ces trois nouvelles qui se lisent avec une facilité déconcertante. Parce que c'est déconcertant de se laisser prendre au jeu sadique proposé. le récit "Les Abeilles" est celui qui m'a le plus époustouflée. Yôko Ogawa m'a emmenée sur un chemin, m'y a fait perdre et boutade?, je me suis retrouvée loin de ce que j'avais pu imaginer et j'y pense encore (qu'ai-je vraiment compris? - de qui s'est-on moqué (gentiment) de moi ou de l'héroïne ou de nous deux?). "La Piscine" laisse un sentiment glauque sur fond de pluie incessante, de relents de chlore et d'odeurs de pensionnat comme on peut l'imaginer ou s'en souvenir. Que deviendra la jeune adolescente destructrice si la main de Jun ne l'épaule plus? Il est toujours pénible d'apercevoir la laideur derrière le visage d'une fille (ou d'un garçon) aux traits juvéniles à peines formés. Quant à la dernière histoire "La Grossesse", des frissons nous parcourent devant l'héroïne diabolique vivant entre sa soeur enceinte, hypocondriaque, d'une nervosité maladive, son beau-frère insipide et ce futur bébé que nous n'osons pas imaginer (il faudra du temps pour déguster du jus de pamplemousse sans penser à la machination...). Cruauté, perversité, fantastique (peut-on aller jusque là?), nous nous démenons entre ces univers présentés si simplement et notre "normalité" bousculée... Livre qui se dévore mais je suis sceptique...

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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Le murmure d'une fontaine en hiver quand une pièce de monnaie tombe au fond, en provoquant des éclaboussures ; le tremblement de la lymphe dans le limaçon tout au fond de l'oreille interne, au moment où l'on descend de manège ; le bruit de la nuit qui s'écoule à l'intérieur de la paume de la main qui a tenu le récepteur, après le coup de téléphone de l'amant...mais je me demande combien de personnes vont pouvoir comprendre la nature de ce bruit avec ce genre d'exemples.

Les abeilles
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[...] ... - "En février, l'un de nos étudiants a disparu subitement. Il a disparu, c'est bien le mot exact. Il s'est tout bonnement volatilisé. A tel point que je me suis demandé comment un être humain, pourvu d'un cerveau, d'un coeur, de bras et de jambes, et doué de parole pouvait disparaître aussi simplement. Rien ne pouvait le laisser prévoir. Inscrit en première année de mathématiques, il recevait une aide financière habituellement réservée à un petit nombre d'étudiants choisis parmi les meilleurs. Il avait beaucoup de camarades et sortait régulièrement avec sa petite amie. Son père était professeur d'université en province, sa mère écrivait des contes pour enfants et il avait une petite soeur très mignonne beaucoup plus jeune que lui. Un environnement irréprochable. Mais peut-être que cela n'a aucun rapport avec la cause de sa disparition.

- Il n'y avait aucun indice ? Pas de message ni de lettre ?"

Le directeur secoua la tête.

- "La police a fait une enquête très fouillée. On pouvait penser qu'il avait été entraîné malgré lui dans une affaire qui le dépassait. Mais on n'a rien trouvé qui aurait pu le faire supposer. Il a disparu en emportant avec lui un livre de mathématiques et un cahier de notes."

A ce moment-là, le balai qui était appuyé contre son épaule tomba brusquement. Mais le directeur continua son récit sans y prêter attention.

- "J'ai moi aussi été convoqué par la police pour un interrogatoire. On m'a soupçonné. On m'a posé des tas de questions sur ma vie pendant les cinq jours qui ont entouré sa disparition. On a tout décortiqué : les propos que nous avions échangés, le nombre de pages que j'avais lues et de quoi elles traitaient, l'identité des gens qui avaient téléphoné et à quel sujet, le menu de mes repas, la fréquence de mes visites aux toilettes, tout. Chaque chose a été retranscrite en phrases qui ont été recopiées, corrigées, relues. C'est comme trier les grains de sable sur la plage. Il a fallu trois fois plus de temps pour vérifier tout ce qui s'était passé pendant ces cinq jours. J'étais épuisé. Le moignon qui supporte ma jambe artificielle s'est mis à suppurer et à me faire souffrir. Mais on a eu beau faire, tout cela n'a servi à rien. Il n'a jamais réapparu. ... [...]
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[...] ... Ce que je trouvais alors le plus étrange ici, c'était l'heure des repas. Cela venait peut-être du fait que la cuisine et la salle-à-manger se trouvaient au sous-sol.

L'église et l'institut Hikari, construits en bois à l'occidentale, sont assez vieux. Leur ancienneté est palpable dans chaque planche de bois, dans chaque châssis de moustiquaire, dans chaque carreau de faïence. On a multiplié les constructions supplémentaires, aussi l'ensemble est-il extrêmement compliqué et même de l'extérieur il est difficile d'en saisir la forme générale. C'est encore plus imbriqué à l'intérieur, où des couloirs sinueux se succèdent interminablement et où l'on trouve un peu partout des petites dénivellations.

En suivant le couloir labyrinthique qui part du hall d'entrée de l'institut, on réalise soudain que l'endroit où l'on se trouve est au premier étage. On surplombe alors la cour qu'on aperçoit sous les fenêtres.

Au bout du couloir le sol est découpé de la taille d'un tatami en bordure duquel on aurait fixé une solide poignée métallique. En tirant sur la poignée, cette partie du couloir se relève avec un grincement sec. On fixe l'anneau à un crochet qui pend du plafond, et l'on se retrouve avec le vide à ses pieds. C'est de là que part un escalier abrupt menant à la cuisine et à la salle-à-manger.

Tous les enfants aimaient cet escalier secret. Quand venait l'heure des repas, c'était à qui soulèverait la trappe, et cela donnait presque toujours lieu à des disputes. Les enfants s'engouffraient l'un derrière l'autre dans l'escalier, sous le regard sévère du directeur et de la puéricultrice. ... [...]
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[...] ... Plus ma soeur mange, plus son ventre s'arrondit. J'ai déjà vu des femmes enceintes, mais je n'ai jamais suivi leur évolution physique, aussi je l'observe avec un grand intérêt.

Le changement physique commence juste au-dessous de la poitrine. A partir de là, il y a une grosse bosse jusqu'au bas-ventre. Quand on la touche, on est surpris de la trouver aussi dure. C'est parce qu'elle transmet avec fidélité la sensation de ce qui prend corps à l'intérieur. Et cette grosseur n'est pas symétrique : elle est légèrement développée. Cela aussi me fait frémir.

- "En ce moment, tu sais, c'est l'époque où le foetus a les paupières qui se séparent et le nez qui se perce. Si c'est un garçon, ses organes sexuels qui étaient dans la cavité abdominal sont en train de descendre," m'a-t-elle expliqué posément au sujet de son bébé. Sa transformation m'apparaît d'autant plus inquiétante que les mots tels que foetus, cavité abdominale ou organes sexuels appartiennent à un vocabulaire peu digne d'une mère.

Est-ce que les chromosomes du foetus se reproduisent normalement ? Est-ce que les rangs de larves jumelles fourmillent à l'intérieur de son ventre rebondi ? C'est ce à quoi je réfléchis en regardant son corps. ... [...]
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Le printemps disparut en un clin d’œil, et soudain il y eut la pluie tous les jours. Une pluie faible comme le bruit d'ailes d'un insecte, qui trempait la végétation du jardin de l'institut. [...] Depuis le commencement des pluies, toutes sortes de moisissures envahissaient le réfectoire au sous-sol de l'institut. Le petit pain du goûter que quelqu'un avait laissé se retrouva le lendemain parsemé de bleu, tandis que la tarte aux pommes faite par la cuisinière fut couverte de blanc au bout de trois jours. Ces nourritures d'aspect grotesque jetées dans les poubelles en plastique réveillèrent ma tendance à la cruauté. Si j'enfermais Rie dans la poubelle, hurlerait-elle encore de frayeur comme la dernière fois? Allait-elle pleurer et pleurer encore jusqu'à être trempée de larmes, de transpiration et de morve et qu'au bout d'un moment ses cuisses veloutées se couvrent de moisi comme un duvet teint avec une poudre colorée? Chaque fois que j'apercevais la poubelle au sous-sol, j'imaginais des moisissures se développant sur ses cuisses.
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