La narratrice, dont la vie lui apparaît morne alors qu'elle devrait bientôt rejoindre son mari émigré en Suède pour son travail, reprend contact avec son jeune cousin qui cherche un logement étudiant à Tôkyô. Elle se remémore qu'elle fut logée six ans auparavant dans une résidence étudiante, et en contacte le directeur, qui est handicapé. Rendez-vous est pris pour la rencontre, bien que le directeur lui tienne un étrange discours sur le délabrement en cours du bâtiment, qui ferait l'objet d'une « déstructuration particulière ».
Le rendez-vous sur place est conclusif pour la signature du contrat, l'engagement de l'étudiant étant simplement de « promettre de mener une vie d'étudiant heureux au sein de cette résidence ». le lecteur découvre un directeur en piteux état : il est amputé des deux bras et d'une jambe, sa jambe gauche manquante étant remplacée par une prothèse. Mais lorsque la narratrice cherche quelques jours après à rendre visite à son cousin, il n'est pas là. Et cela se reproduit les fois suivantes, avec toujours une explication du directeur. Celui-ci effectue sous ses yeux les gestes du quotidien, en autonomie, ce qui l'oblige depuis des années à des contorsions quasi-permanentes pour caler les objets entre le menton et la clavicule, qui ont provoqué au fil des années une grave déviation de sa colonne vertébrale (on imagine un
Stephen Hawking…). Cela ne l'empêche pas de cultiver comme il peut le jardin, où quelques abeilles viennent butiner les tulipes. Il tient par ailleurs un discours louangeur sur les beaux corps parfaits, à l'opposé du sien, notamment celui du cousin, insistance qui en deviendrait suspecte et met mal à l'aise tant la narratrice que le lecteur. D'autant que la résidence, vide de locataires à part le cousin, a vu le précédent se volatiliser sans que sa trace n'ait jamais été retrouvée. On commence à se demander ce qu'il a pu advenir du cousin…Au fil de ses visites, la narratrice semble de plus en plus indifférente aux lettres pragmatiques de son mari qui lui demande de préparer son départ (à peine parcourues, elles sont remisées au tiroir), tandis que l'état du directeur se dégrade : il se décharne, et perd en autonomie. La narratrice lui rend visite régulièrement et satisfait son dernier plaisir, lui mettre en bouche des cuillères de bons gâteaux. Mais il y a toujours quelques abeilles autour, qui vont s'arrimer sur une tache sombre au coin du plafond de la pièce, tache qui s'agrandit…un jour des gouttes sombres et poisseuses en tombent…Et le cousin qui n'est décidément jamais là…De quoi commencer pour la narratrice à perdre son sang-froid, alors que le directeur plonge dans un profond sommeil qui est peut-être définitif…
Un fois de plus,
Ogawa Yôkô sait installer les ingrédients pour créer une atmosphère d'étrangeté. Les sens de la narratrice, et du lecteur, sont concentrés sur des petits détails de l'environnement, qui, grossis comme à travers une loupe, prennent une importance particulière, créant là une sorte de malaise, de vague inquiétude, comme aurait dit
Akutagawa. L'esprit s'emballe, ne peut s'empêcher d'échafauder des scénarii horrifiques, en cherchant une cohérence, une logique, peut-être bien bâties sur du sable. Il va au plus complexe et improbable, alors que, peut-être, tout est rationnel. Pourtant, le doute n'est pas totalement levé non plus…
L'atmosphère est oppressante, l'évolution psychologique des personnages est traitée magistralement. le directeur dégage quelque chose de malsain, d'inquiétant, physiquement et dans son comportement. A-t-il des choses à cacher ? La narratrice n'est pas elle-même dès le départ très bien dans sa peau, et sans doute perméable à une certaine rêverie et fragilité psychologique qui peuvent la rendre manipulable...Et puis il y a ces abeilles qui tournent autour de ce mystère, dont elles sont finalement l'élément central.
En conclusion, encore une remarquable novella de cette grande dame de la littérature nippone contemporaine.