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EAN : 978B07V1FDCF9
1047 pages
(07/07/2019)
4.26/5   34 notes
Résumé :
1910, Igor Kleinenberg, jeune professeur d’allemand d’origine estonienne, devient précepteur à la Cour impériale de Russie. Côtoyant au plus près le pouvoir jusqu’à sa chute, il assiste aux aléas du pays, aux manigances de l’aristocratie pétersbourgeoise, au cheminement inévitable vers la révolution nationale en pleine conflagration mondiale. Témoin des traîtrises et du mépris envers l’empereur Nicolas II et sa famille, il l’est aussi du courage et de la déterminati... >Voir plus
Que lire après Partir, c'est mourir un peuVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Ils n'ont pas été jugés, ils n'ont pas été exécutés, ils ont été livrés à des monstres sanguinaires.
C'est une histoire bouleversante et émouvante car je me suis facilement retrouvée à la place d'Igor Kleinenberg, le narrateur. De 1910 à 1918, il enseignera l'allemand aux archiduchesses : Olga, Tatiana, Maria et Anastasia. Ce poste lui permettra de partager l'intimité de la famille impériale russe et de ses proches. Nous découvrons des anecdotes très amusantes, les suivons dans les déplacements officiels, les oeuvres de charité et réalisons les problèmes qui assaillent Nicolas II quant à gouverner cet immense pays. Ce sont des personnes profondément humaines, trop humaines pour le siècle à venir et son changement de mentalité.
L'impératrice Alexandra est au prise à la germanophobie ambiante, on lui reproche son amitié pour Raspoutine, en fait elle est bien plus lucide et pragmatique que le tsar ce qui lui vaut quelques inimitiés. le tsar se débat avec les étudiants, l'intelligentsia, les bourgeois, sa famille, tous veulent le pouvoir. Satisfaire l'un c'est se faire un ennemi de l'autre. La presse fera courir des rumeurs, des ragots, des témoignages fallacieux Mais le peuple leur est fidèle.
À l'arrivée de la guerre, la famille se sépare. Nicolas II et le tsétsarévitch Alexeï s'occupent de l'armée. L'impératrice et ses filles soigneront les blessés, tous se dévoueront pour leur patrie et son peuple jusqu'à l'abdication du tsar et leur emprisonnement.
Une oeuvre aussi dense que la Russie est immense. Alexandre Page nous livre une fresque historique touchante sur la Sainte Russie, la Grande Guerre, la révolution. Un auteur doté d'une jolie plume et de beaucoup d'empathie.
Beaucoup de photographies des protagonistes nous permettent de leur donner un visage.
Un livre à lire pour en savoir plus et se forger une opinion.
"Lorsque les mensonges auront été dissipés, que les impostures auront été démasquées, que le chagrin aura passé, l'humanité se souviendra".
Un grand merci à Alexandre Page pour ce SP ainsi que la confiance qu'il m'a accordée.
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L'histoire de la mort de la famille impériale russe m'a toujours, en un sens, fascinée. de cette fascination malsaine que l'on se découvre pour les fins tragiques, cruelles, barbares, du même ordre que ce qui nous pousse à regarder lorsque l'on double un accident de la route. Cependant je n'avais jamais lu ni entendu jusqu'à présent un récit si étoffé qui démentit avec tant d'ardeur les arguments en faveur de ce massacre. Et c'est d'ailleurs parce que l'auteur n'est pas tout à fait neutre. On sent à chaque ligne si ce n'est une dévotion du moins une exaltation et une tendresse particulières pour les membres de cette famille. C'est évidemment par le narrateur, percepteur d'allemand des Grandes Duchesses, que cette affection est exprimée.
Igor Kleinenberg, personnage inventé par l'auteur - à la différence des autres précepteurs cités qui ont, eux, réellement existé - entre au service des Romanov en 1910 pour enseigner l'allemand aux quatre filles de l'empereur. Ce récit, sous la forme d'un très long récit, est d'ailleurs hautement inspiré des réels témoignages des autres précepteurs ayant existé.
Ce poste privilégié qu'il occupe lui permettra de côtoyer au plus près cette famille impériale, de vivre à ses côtés et de partager parfois son intimité, de voir de près les turbulences et scandales qui lui sont liés autant que leurs manières simples et généreuses au quotidien. Ainsi l'Empereur mi-tyran mi-mou selon qui le décrit, devient un homme bon, un père exemplaire, un souverain digne. L'impératrice est bien loin de la femme manipulatrice et subjuguée par Raspoutine qui est généralement décrite. Et par ricochet leurs cinq enfants sont des êtres tendres et aimants, peu enclins aux caprices et fantaisies liés à leur rang.
Le récit/témoignage mêle à la fois la grande histoire de l'Empire Russe à la petite histoire familiale et personnelle d'une famille presque ordinaire. Ainsi, l'Empereur est tout autant préoccupé par la seconde guerre mondiale que par l'hémophilie de son fils.
Les mémoires du précepteur comprennent plusieurs niveaux de lecture : si la grande histoire est scrupuleusement décrite, à la manière scientifique d'un historien, enchaînant des faits bruts et froids, l'histoire familiale est plus romancée et subjective. Je ne peux que, d'une part, reconnaître et saluer le travail sérieux et méticuleux de l'historien, me figurant les recherches et le regroupement de témoignages qu'il aura fallu pour écrire une sorte de biographie si exhaustive. Et à la fois, il y a le travail du romancier : si, contrairement à beaucoup de romans historiques, l'auteur n'a pas (et c'est heureux !) inventé d'intrigue amoureuse en parallèle de la grande histoire, il a tout à fait romancé la vie de famille, ou du moins il a tenu à ce que le lecteur la trouve charmante et s'attache à chacun de ses membres pour mieux s'indigner de leur fin, laquelle est un peu longue à venir. C'est qu'Alexandre Page n'éprouve pas cette urgence de raconter vite une odieuse boucherie ni une révolution de fous et de tortionnaires. Au contraire, il prends son temps parce qu'il lui importe que le lecteur connaisse la famille impériale bien avant l'irréparable, qu'il s'y attache et admette qu'ils ont été victimes d'une cruelle et abominable injustice. D'ailleurs cette façon de longueur m'a plusieurs fois rappelé Tolstoï, ainsi que cette façon de double intrigue, privée et historique.
Il faut donc attendre les deux tiers du roman pour qu'advienne la Révolution. Et c'est logique : comme je l'ai dit l'auteur n'a pas voulu seulement raconter cet événement mais souligner son incohérence, appuyer son absurdité : le Tsar et sa famille étaient bons. Peut-être était-il justement un souverain trop gentil - certains diraient trop mou- pour maintenir l'ordre et garder le pouvoir.
Et avant la révolution, la guerre, qui est sans doute une amorce. le Tsar, durant la guerre - et sans doute même bien avant, peut-être même depuis toujours mais durant la guerre c'est ostensible - n'est plus vraiment maître de rien ni informé avec franchise de ce qu'il se passe dans son empire. On trouve notamment, dans un souci de vérité, la falsification de rapports militaires : « Lorsque dans le premier rapport, cinquante soldats russes avaient pris une colline abandonnée par dix Allemands, dans la dernière version, dix soldats russes avaient enlevé une colline de haute lutte contre cinquante Allemands équipés d'une mitrailleuse. Au-devant comme à l'arrière, la franchise et l'honnêteté n'étaient pas des valeurs répandues. » Déjà la corruption est plus prégnante. On sent comme « l'entourage » politique et militaire du Tsar est si ce n'est corrompu du moins facile à corrompre. C'est piètrement humain : si la fidélité à l'Empereur est facile à garder quand tout va bien parce qu'elle est au juste la seule option, elle ne se rencontrera que rarement lorsque celui-ci sera déchu. le reste n'est qu'une variation de lâcheté ou de vilénie : les plus timorés sauveront juste leur peau en oubliant la famille impériale quand les plus ambitieux et cupides la trahiront délibérément.
La Révolution russe fût comme toutes les grandes « épopées » historiques qui ont soulevé les foules. Ne pas y voir, avec le recul, le malheureux résultat des souffrances du petit peuple ni la somme des volontés individuelles. Qui, au fond, à part une poignée d'individus, désirait vraiment la fin du régime et la mort des Romanov ? On aurait tort de penser qu'un soulèvement, qu'un bouleversement est foncièrement dû à autre chose qu'au hasard mêlé à la stupidité d'une foule (la foule n'est pas la somme de tous les esprits qui la composent mais une masse rendue bête par le nombre), foule qui suit l'ère du temps, qui va agir presque malgré elle, laisser entrer le bolchevisme pour le regretter amèrement ensuite : « Il n'y a plus d'intégrité nationale, plus de sécurité, plus de propriété privée, même la vertu des femmes ne leur appartient plus. Tout n'est que chaos et anarchie. La famine règne sur la moitié de l'Europe et la moitié de l'Asie et le crime et le déshonneur l'assistent dans sa tâche. Il n'y a plus d'armée, plus de police, plus de frontière. le plus fort survit en tuant le plus faible. C'est ce qu'ils appellent la liberté prolétarienne. »
Seul un petit groupe de personnes seront restés fidèles au Tsar et à la famille Impériale jusqu'à la fin et même après, recherchant avec acharnement vérité et justice.
Et je réitère enfin mon avis sur l'auto édition. C'est avec conviction et certitude que je conseille aux lecteurs d'aller y piocher ce qu'il ne trouveront pas ou rarement dans l'édition classique, à moins de ne lire que des auteurs morts. Alexandre Page, entre autres, est un véritable écrivain, c'est-à-dire un assidu. Son travail est soigné, ses textes élaborés, pensés. Son style est simple mais très propre. Si l'on peut, pour diverses raisons, vouloir boycotter Amazon pour l'achat de certains produits, je pense que la plateforme est salutaire pour la littérature : elle rend un grand service aux lecteurs ainsi qu'aux écrivains, permettant aux auteurs d'accéder à l'édition d'une manière peu contraignante et de vendre le fruit de leur travail à un juste prix et surtout en bénéficiant d'une plus juste rémunération. L'objet livre est d'ailleurs d'une belle qualité qui n'a absolument rien à envie à l'édition classique.
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Alexandre Page est né en 1989 à Clermont-Ferrand. Il est docteur en histoire de l'art. Il a publié plusieurs ouvrages et articles consacrés à la gravure et la peinture du 19ème siècle. Son premier roman intitulé Partir, c'est mourir un peu revient sur l'histoire étonnante et tragique des derniers Romanov à avoir régné sur la Russie.



Son personnage principal, Igor Kleinenberg, est un jeune professeur d'allemand d'origine estonienne. Il devient précepteur à la Cour de Russie. Effectivement, l'administration impériale lui confie la charge d'enseigner l'allemand aux grandes duchesses, Olga, Tatiana, Maria, Anastasia. Par conséquent, Kleinenberg voit de l'intérieur la vie de Nicolas II et des siens, loin des fantasmes de la presse et des médisances d'une certaine frange de la noblesse.



Le héros tient un journal intime, dans lequel il consigne des anecdotes passionnantes et des souvenirs de la plus haute importance. le livre se montre extrêmement bien documenté et nul doute que l'auteur a fourni un considérable travail de recherches pour nous proposer un tableau aussi complet de ce règne troublé et troublant. Troublé, car les agitations révolutionnaires jalonnent indiscutablement les dernières années de l'Empire pour se clore par la catastrophe finale d'Iekaterinbourg. Pourtant, Nicolas II disposait d'un pouvoir immense, mais il ne sut ou ne put aplanir les difficultés qui s'égrenèrent tout au long de son règne. Troublant, parce que le tsar fut loin d'être le tyran dépeint par la propagande bolchévique et la tsarine ne ressemblait nullement aux tristes portraits établis par les adversaires de l'Empire.



Au cours des premières pages, Kleinenberg raconte rapidement son histoire familiale, en consignant sur le papier des éléments biographiques et le vécu de ses ancêtres. Cela nous permet de comprendre comment un estonien d'origine se retrouve en situation de côtoyer les enfants Romanov. Grâce à ce statut de précepteur, Kleinenberg nous décrit avec des mots touchants le quotidien de cette famille impériale. Celle-ci, loin de se vautrer dans le luxe, vit plutôt normalement comme nous le découvrons au fil de la lecture. Nicolas II espérait surtout mener une vie bourgeoise loin des rigueurs de l'étiquette et des considérations politiques, mais sa naissance en avait décidé autrement….



En définitive, nous considérons que le livre est découpé en quatre parties : avant la guerre, pendant la guerre, la guerre et la révolution, l'exil. Dans la première partie, il se dégage une légèreté, une réelle douceur de vivre, parce que la vie se développe dans une paix profonde. Bien évidemment, le narrateur n'assiste pas au Conseil ou aux différents entretiens que Nicolas II mène avec ses principaux ministres. Cependant, Kleinenberg ressent souvent le trouble qui s'empare de l'Empereur quand ce dernier termine ses discussions politiques et revient profiter du bonheur familial.



Malgré tout, l'existence se déroule avec joie et en toute simplicité pour la famille impériale. Nous la suivons dans sa résidence d'été, lors de croisières, au cours de ses différents voyages dans l'Empire. Nous lisons donc : « Il est difficile de s'imaginer que quelques semaines seulement avant le début du premier conflit mondial, nous menions la vie la plus calme qui fut ».



Seule la maladie du tsarévitch provoque des tensions et des soucis au sein de la famille Romanov : au grand chagrin de ses parents, celui-ci souffre d'hémophilie. A l'extérieur, en dépit des agitations populaires, Nicolas II tente, vainement, de réformer les institutions impériales. Mais la révolte gronde depuis plusieurs années dans l'Empire. Certains ne veulent plus de l'autocratie et désirent la mise en place d'une monarchie constitutionnelle, d'autres souhaitent l'établissement d'une république voire même d'une démocratie. de fait, les parties deux, trois et quatre, nous entraînent véritablement au coeur du chaos, des drames et des larmes…



L'Empereur, nous semble-t-il, ne fait pas toujours les meilleurs choix. Son entourage politique n'est pas composé de ministres disposant d'une réelle envergure. Il arrive que Kleinenberg se promène parfois dans les jardins des châteaux en compagnie du Tsar. Il va de soi qu'il ne pose jamais de questions à l'Empereur. Toutefois, à travers quelques mots dispensés ou de phrases à peine voilées de Nicolas II, Kleinenberg saisit parfaitement qu'il ne parvient pas à résoudre les problèmes se présentant à lui sur la scène nationale. de plus, au niveau international, la situation s'envenime aussi dans les Balkans avec cette montée des tensions qui provoquera « la guerre civile européenne ».



Par le jeu des alliances diplomatiques, l'Histoire s'accélère, et l'Europe plonge littéralement vers les abîmes. Néanmoins, alors même que les Russes tombent par milliers, l'Empereur conserve toute la sympathie et bien plus du peuple russe qui le voit vraiment comme l'incarnation de Dieu sur terre. En 1915, alors que le conflit s'enlise, Nicolas II visite « la plus grosse usine de Petrograd, avec 18 000 ouvriers fabricant des munitions ». Kleinenberg écrit : « L'accueil fut excellent et le tsar ne tarit pas d'éloges sur ces ouvriers, qui en dépit des fêtes de Pâques, continuaient d'oeuvrer au service de la patrie. Rien ne rappelait que dix ans plus tôt la révolution de 1905 avait trouvé ici sa principale étincelle, et rien ne prédisait qu'elle se rallumerait en 1917 ».



Nonobstant les contraintes de la guerre, Kleinenberg reste au service de la famille impériale et constate son dévouement pour le peuple russe. L'impératrice et ses enfants aident dans les hôpitaux militaires: ils soignent et pansent les blessés et les mutilés de guerre. Ils participent également à différentes oeuvres de charité en vendant des vêtements ou des objets créés par leurs soins. Même s'ils vivent avec tout le confort de l'époque, la famille impériale reste consciente des souffrances vécues par de nombreux Russes : « Ces malheurs venaient jusqu'à nous d'une façon ou d'une autre et nous faisaient oublier un peu que nous étions des chenilles dans un cocon ».



Malheureusement pour la Russie et les Romanov, le conflit prend une mauvaise tournure. Les militants révolutionnaires s'appuient sur les désastres militaires pour demander la paix séparée, une redistribution des terres et la fin du tsarisme. Une partie non négligeable de la haute noblesse propage des rumeurs sur l'impératrice qui la transforment en une traîtresse ou la désignent comme le mauvais génie de son époux. de même, les ministres ne prennent pas les mesures adéquates qui conviendraient à cette situation explosive. Nicolas II paraît bien isolé.



L'Empereur en dépit de sa gentillesse, de sa foi, et de la conscience droite qui l'anime, ne semble pas être l'homme de la situation. Nous lisons avec intérêt sous la plume de Kleinenberg : « Il n'y a que deux genres de souverains, dit-on, qui s'exposent aux révolutions et aux coups d'Etat : les trop gentils et les trop cruels ». Assurément, Nicolas II fut bien trop gentil. La révolution de février 1917 sonne le glas du tsarisme. Kleinenberg décide de rester auprès de cette famille impériale à laquelle, après toutes ces années à la servir, il est très attaché. Ainsi, grâce au talent de l'auteur, nous marchons avec les derniers Romanov sur la route sinueuse de la séquestration, de l'exil et de la prison…



Alexandre Page nous livre un premier roman très travaillé et magnifiquement maîtrisé de bout en bout. Chaque page fourmille d'anecdotes captivantes et savoureuses. Celles-ci nous offrent la possibilité de vivre intimement avec cette famille impériale qui ne méritait nullement le sort horrible qui fut le sien. Il y a un réel plaisir, lignes après lignes, à découvrir le quotidien des Romanov et cette Russie à la veille de grands bouleversements. Nous apercevons, entre autres, Pierre Gillard et le très intriguant Raspoustine dans cet ouvrage particulièrement émouvant, et en définitive singulièrement attachant. Sur l'échafaud, Louis XVI avait déclaré : « Je meurs innocent de tous les crimes dont on m'accuse. Je pardonne à ceux qui sont coupables de ma mort et je prie Dieu pour que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France ». A la lecture de ce récit, nous savons que Nicolas II aurait pu tenir exactement le même discours…





Franck ABED
Lien : http://franckabed.unblog.fr/..
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Je remercie avant toute chose l'auteur, Alexandre Page pour sa patience à mon égard et sa confiance.


C'est un ouvrage bien particulier que nous allons traiter aujourd'hui, bien loin de ceux vus jusqu'ici. L'auteur du jour nous invite pour un voyage vers une Russie en proie à de grands bouleversements, sous le regard d'Igor Kleinenberg. Un thème intéressant et original, qui peut néanmoins effrayer les lecteurs novices ou, tout du moins, n'ont pas d'accointances particulières avec les romans historiques.


Alors, défi relevé ?


« ‘J'ai dit cela, et regardez où je vous ai tous menés. Bous êtes Russe, Igor Vladimirovitch, dites moi aussi franchement que je vous parle, ai-je été un bon souverain ?' […] ‘Majesté, vous avez la pensée généreuse et le caractère d'un grand homme. Vous avez conduit votre règne en vous considérant comme comptable du bien de ce monde envers Dieu. Je crois qu'un bon souverain ne peut pas être généreux. Il défend les intérêts des uns contre ceux des autres. Mais vous êtes un grand homme, et c'est plus essentiel. »


L'histoire que nous découvrons nous est conté par Igor Kleinenberg. D'origine estonienne, il débarque au palais impérial en 1910 afin d'enseigner l'allemand aux grandes-duchesses, les filles du Tsar Nicolas II et de son épouse Alexandra Fedorovna Romanova. Au fil des leçons, nous voyons les liens se tisser entre les quatre jeunes femmes (Olga, Tatiana, Maria et Anastasia) et leur professeur.


La première impression qui frappe lorsqu'on se lance dans « Partir, c'est mourir un peu », est celle d'une discussion entre amis. C'est comme si Igor était face à nous, bien installé dans son fauteuil, et qu'il nous racontait sa vie, empli de nostalgie. Au plus proche de la famille impériale, il assiste aux complots, aux mensonges, aux questionnements et aux déchirements. Mais bien au-delà des souverains d'un immense empire, Igor se souvient des moments de joie, des voyages à bord du Standard. Entre les matchs de tennis et les baignades, il nous décrit le quotidien d'une famille normale, trop souvent rappelé à son devoir pour être heureuse. Peu importe ce que nous savons ou non de cette histoire, Igor semble nous dire : « Voici la véritable histoire, comme moi, je l'ai vécu ». Comme un dernier hommage à ses amis, à ceux qui, malgré leurs différences de statut, lui ont toujours fait une place.


« Il n'y a que deux genres de souverains, dit-on, qui s'exposent aux révolutions et aux coups d'Etats : les trop gentils et les trop cruels. Il se trouve toujours des mauvais pour renverser les premiers, et des oppressés pour renverser les seconds. L'indulgence et le pardon, voilà les deux vertus qui causèrent d'abord la perte de Nicolas II. »



Portrait de Nicolas II (1912).
L'auteur nous dresse ici de véritables portraits de toutes les personnes déambulant autour de notre héros. En plus d'Igor, il évoque notamment le précepteur des enfants impériaux Pierre Gilliard d'origine suisse. Les deux enseignants feront un bon bout de chemin ensemble, et tisseront tous les deux de fortes relations avec la famille royale. Cette dernière est composée tout d'abord du tsar Nicolas II. Ayant reçu une éducation traditionnelle, le dernier tsar de Russie aura bien du mal à s'en défaire, malgré sa sagesse et son désir profond d'être juste. C'est un homme que l'on prend vite en affection, tant sa volonté de préserver son peuple est forte.






« Au début de son règne, le tsar avait dit : « Je veux vivre et mourir pour la Russie. Peu m'importe la façon dont je trouverai la mort ». Il avait attaché son honneur à celui de son pays, et ils souffrirent en commun les mêmes épreuves, les mêmes douleurs et une fin aussi brutale, puisque bientôt, notre Russie, elle non plus ne serait plus. »



Vient ensuite l'impératrice Alexandra, venue au monde en tant que « La Princesse Alix » en Allemagne. Cette femme forte verra sa réputation salie en période de guerre, où la germanophobie s'étend comme une épidémie à travers le monde. de plus, elle entretient une amitié forte avec le moine sibérien Raspoutine, ce qui l'a rendra encore plus impopulaire. En effet, le strannik (un pèlerin mystique) Raspoutine était le confident de la reine, et à longtemps était considéré comme celle-ci comme le seul capable d'aider son fils atteint d'hémophilie. Mais il est perçu par ses contemporains comme un charlatan, et aura donc un impact fort sur la descente aux enfers de la dernière famille impériale de Russie.


Les deux filles aînées des souverains sont Olga et Tatiana. Elles brillent toutes les deux tout au long de l'intrigue par leurs courages et leurs déterminations. Bonnes élèves, l'on s'attache vite à ses deux femmes généreuses. Peu importe les épreuves, que ce soit la guerre ou la captivité, elles se montrent les dignes héritières de leurs parents en pensant avant tout au bien des autres. Bien que très timide, la jeune Tatiana force le respect par son zèle et sa force de caractère. Olga, quant à elle, marquera sans aucun doute par sa bonté hors-normes, digne des plus grandes souveraines à travers le monde et les époques.


« Je n'oublierai jamais ce geste d'Olga qui, à Tobolsk, voyant un de ses geôliers se blesser en descendant d'une échelle, s'était portée à son secours pour examiner la blessure comme s'il s'agissait d'un soldat de son cher hôpital. »


Elles sont accompagnées de Maria et Anastasia, les cadettes. La plus inoubliable des deux étant bien sûr cette chère Nastia – surnom affectueux qu'elle permet à Igor d'utiliser. Contrairement à ses soeurs, elle n'a rien – et ça ne l'a dérange pas, au contraire – d'une princesse impériale. Elle est espiègle et insolente, et transmet sans mal autour d'elle sa bonne humeur et son sourire à toutes épreuves. Si Maria paraît plus discrète dans l'ensemble du livre, elle reste nécessaire dans les moments de drame, où sa joie et son amour du jeu rendent le sourire à quiconque la croise sur son chemin.


Enfin, il y a le petit tsarévitch Alexis. Atteint d'hémophilie, le jeune héritier cause bien du souci à sa mère, et rend la présence de Raspoutine encore plus indispensable pour celle-ci.


Les relations qui lient chaque membre de la famille royale sont décrites avec brio. Ils deviennent nos amis, tout comme ils sont ceux d'Igor. Et quand la fin approche, inexorable, quand l'histoire se déroulent sous nos yeux sans que nous ne puisons rien y faire, nous sentons nous aussi, lecteur, notre coeur se briser.



« Nous avions tous eu l'opportunité d'abandonner la famille impériale, mais aucun de nous ne l'avait fait, non à cause de l'assurance d'une issue favorable, mais parce que nous avions la certitude qu'il n'existait nul autre endroit où notre présence aurait eu autant de sens. Quoi de plus doux que de vivre, même le pire, aux côtés d'être aimés auxquels on peut apporter aide et soutien dans les épreuves et qui vous les rendent avec une gratitude infinie ? »


Bien que le sujet soit dense, et peut paraître complexe pour des novices, ce n'est pas du tout le cas. La plume d'Alexandre Page est accessible, et les plus de 700 pages s'écoulent sans problème. le style est beau, tout en restant accessible et fluide. C'est une prouesse importante, qui souligne que n'importe qui peut lire cet ouvrage. Que l'on soit amateur ou non d'histoire, que l'on aime ou non lire de gros ouvrages, « Partir, c'est mourir un peu » est une expérience à tenter.



Les grandes-duchesses Maria, Olga et Tatiana en 1916.
Les descriptions des lieux aussi sont très agréables. Les détails des bâtiments, des lieux et des événements permettent de donner vie à une véritable fresque de la Russie de l'époque. Les références artistiques et littéraires aussi sont très appréciables tout au long de l'ouvrage (mention spéciale pour « Pécheur d'Islande », un roman de Pierre Loti que j'apprécie beaucoup et que j'ai été ravi de retrouver ici).


« Nous ne sommes que des hommes. Il nous faut affronter les épreuves, mais il est illusoire d'espérer les surmonter sans fléchir »


Ce qui est particulièrement est pertinent dans cette oeuvre, c'est de voir comment un événement à un instant T, peut influencer à la fois la vie d'un homme – en particulier Igor – et celle d'un pays. La petite histoire se mélange à la grande, rendant les deux interdépendantes.


L'atmosphère qui se dégage de l'histoire fonctionne à merveille. À mesure que le temps s'écoule, et alors que le lecteur est bercé dans le cocon familial, l'on sent la Russie qui gronde en arrière-plan. Les tragédies, petit à petit, viennent troubler le quotidien de ce grand pays. Attentats, complots et maladies entraînent dans leur sillage le destin de l'empire.



« Leur folie meurtrière – leur seul code de loi – dégoûtait jusqu'à certains révolutionnaires de la première heure. Nous constations chaque jour un peu plus à quel point nous avions eu la chance de servir et de rester fidèle à un « tyran » qui avait dit « personne ne mérite la mort ». Nous savions encore un peu plus pourquoi nous étions là, aux confins de l'Oural, dans le danger et la misère. Nous suivions, au milieu de l'anarchie sanglante et des ténèbres obscurantistes, la seule petite lumière qu'offrait encore la Russie, et les derniers hommes et les dernières femmes d'honneur qui n'avaient pas quitté le pays. »

Les dénouements de l'histoire ne sont pas une surprise pour quiconque connaissait déjà l'histoire de cette famille – comme ce fut mon cas. Mais vivre ces derniers moments aux côtés d'Igor apporte un vrai plus. L'émotion peut paraître un peu contenu, mais nul doute que derrière les mots du professeur d'allemand, derrière les souvenirs de celui qui accompagna la famille du tsar jusqu'au bout, se cache un chagrin indescriptible.

C'est donc un grand oui pour ce roman incroyable que nous offre Alexandre Page. A la fois instructif et accessible, il permet à quiconque est un peu curieux d'apprendre à connaître ce moment bouleversant de l'histoire de la Russie. de plus, il fait naître l'envie de se renseigner encore plus, d'aller plus loin pour approfondir ses connaissances. C'est un ouvrage d'une grande qualité, d'une richesse incroyable et même important, qui rappelle avec beaucoup d'émotion que derrière chaque institution, chaque événement, il y a des hommes et des femmes de courage qui tentent d'écrire la meilleure version de l'Histoire.

« Lorsque les mensonges auront été dissipés, que les impostures auront été démasquées, que le chagrin aura passé, l'humanité se souviendra. »
Lien : https://loeildopi.wixsite.co..
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Ceci n'est pas un romance historique par laquelle beaucoup d'auteurs trouvent moyen de nous cultiver de manière ludique autour d'une d'une histoire d'amour ; non ici Alexandre Page donne la voix à Igor Kleinenberg professeur d'allemand des enfants Romanov. C'est ce quotidien que nous allons découvrir.
Tout le monde connait l'histoire du dernier tsar, supposé être un tyran et les conséquences sur son destin dans lequel sa famille fut sacrifiée au nom de la révolution Bolchevique. Qui n'a pas été intrigué par les débats sans fin sur les supposés rescapées de cet assassinat ?
Alexandre Page nous offre un envers du décor par la voix d'Igor qui n'existe que par la plume de l'auteur, pour autant les autres précepteurs des grandes duchesses ont réellement existé et l'on peut supposer que c'est sur leurs différentes oeuvres que c'est appuyé l'auteur tant on entre ici dans l'intimité de la famille régnante.
Personnellement, hormis le mystère qui a longtemps plané sur la survie de deux des filles de la fratrie, je ne ne savais pas grand chose de l'histoire russe juste les grandes lignes.
Alexandre Page a donc titillé ma curiosité et m'a incité à en apprendre davantage sur le divers personnages et lieux cités dans ce roman. C'est pourquoi, ma lecture a été un peu entre coupé à force de consulter le net pour me repérer géographique ou pour trouver des infos complémentaires afin de mieux comprendre les liens entre divers personnages.
L'approche de l'auteur nous rend bien sympathique la famille Romanov que l'on côtoie en dehors des enjeux politiques de l'époque. Même si ceux ci sont abordés, c'est plus l'aspect vie de famille que le récit est centré sur centré sur les interactions entre Nicolas, ses enfants et sa femme.
Au fil des chapitres on prend conscience de l'importance des enjeux géopolitiques, toujours d'actualité, et des effets rebonds dévastateurs.
L'auteur, par l'intermédiaire d'Igor nous attache à cette impératrice qui, quoi qu'elle fasse, est jugée critiquée. Son statut n'est guère enviable. Il nous fait éprouver de l'empathie pour cette famille outrageusement maltraitée, alors que le tsar avait abdiqué, (quelque soit nos avis politiques, on ne peut décemment le nier) aujourd'hui réhabilitée, leurs corps ayant trouvé une sépulture décente.
Le tsar connut de nombreux surnoms suivant les époques : « Nicolas le Pacifique », pendant son règne, puis les soviétiques le baptisent « Nicolas le Sanguinaire », de nos jours, la tradition orthodoxe le décrit comme « un saint digne de la passion du Christ ». le personnage reste donc encore a ce jour énigmatique et on ne saura pas totalement qui était cet homme présenté ici sous un certain regard celui d'Alexandre Page.
Quoiqu'il en soit, j'ai aimé cet aspect de l'histoire Russe, néanmoins un peu complexe à lire, de part ses descriptions, mais surtout par le nombre de personnages, de filiations, de princes russes, et autres protagonistes aux noms russes imprononçables.
Un roman historique enrichissant qui nous enseigne les us et coutumes religieuses et autres , nous fait visiter quelques lieux qu'il m 'a fallu localiser pour me situer (d'ou mes petites recherches).
Une belle fresque historique passionnante, qu'il faut prendre le temps de découvrir et qui incite à la réflexion sur le fait que les liens familiaux passent souvent après les enjeux politique, enfin c'est ce l'impression que j'ai eu, tant je me suis demandé pourquoi la famille n'avait pu être libérée par les pays alliés.
Personnellement je trouve que la version epub ne se prête pas pour ce roman. On en apprécie pas suffisamment les photographies jointes à l'ouvrage.
J'admire l'auteur pour le travail en amont effectué, et sa capacité à transcrire toute une foule d'informations passionnantes. La plume est plaisante, je note cependant quelques fautes qui sont passées à la trappe.
Je remercie l'auteur qui grâce à ce partenariat m'a permis d'enrichir ma culture personnelle en m'ouvrant la porte du palais impérial russe.
Un très bel ouvrage qui ravira les passionnés de l' Histoire en général, et apprécieront cette manière choisie par l'auteur pour l'appréhender. Personnellement je conseille vivement, en rappelant tout fois qu'il s'adresse à un certain lectorat.

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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
C’était humainement intolérable de les abandonner à présent que leur situation devenait critique. Ils ne m’en auraient pas voulu, car ils pardonnaient tout, mais ma conscience m’aurait poursuivi jusqu’à la fin de mes jours. Je n’aurais même pas eu le courage d’aller voir les enfants malades pour leur dire adieu. Cela leur aurait été si douloureux. Je ne sais pas si j’ai été courageux de rester, alors que je ne m’étais jamais trouvé courageux. J’ai peut-être eu la lâcheté de ne pas être cruel, mais alors la lâcheté, parfois, peut être belle.
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L'impératrice se montrait plus circonspecte, voyant dans la Douma trop de députés hostiles représentant moins la volonté du peuple, qu'elle savait acquis à la cause de son époux, que leurs propres volontés. Ce serait mentir que dire qu'elle avait vu d'un bon œil cette assemblée se constituer après la révolution de 1905, ce qui l'avait fait passer aussitôt pour ure conservatrice notoire de l'autocratie absolue. Elle partageait l'idée communément admise que le parlement servait surtout à satisfaire les ambitions et la vanité personnelles de ses membres.
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Le rondel de l'adieu

Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ce qu'on aime
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.

C'est toujours le deuil d'un vœu,
Le dernier vers d'un poème ;
Partir, c'est mourir un peu,
C'est mourir à ceux qu'on aime.

Et l'on part, et c'est un jeu,
Et jusqu'à l'adieu suprême
C'est son âme que l'on sème,
Que l'on sème à chaque adieu :
Partir, c'est mourir un peu.

Edmond Haraucourt.
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Comme l'écrivit un jour très justement un historien russe, tout ce qui comptait pour ces individus était de prouver au peuple qu'il ne possédait qu'un quart du cheval, plutôt que de l'aider à devenir propriétaire du cheval entier. La difficile condition des petites gens servait de propagande et ils la nourrirent même, entretenant sciemment leur misère pour accélérer la chute de l'Empire et leur permettre de récupérer le pouvoir tombé des mains impériales. Tous ces comploteurs ignoraient bien sûr que leur révolution d'intellectuels ouvrirait la porte à une révolution populaire qui les balayerait à leur tour, puisqu'aucun d'entre eux n'avait réalisé qu'ils n'existaient que par la seule présence de l'Empereur sur le trône.
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Pourquoi ne lui dit-il pas au [ Kaiser ] que le gazage n'est pas la guerre mais un abattage au poison ? C'est dégoûtant, et nous ne pouvons rien faire pour ces pauvres hommes qui se tordent de douleur, m'avait confié l'Impératrice au sujet de l'usage massif de gaz asphyxiant sur le front, avant d'ajouter: Maintenant, les Allemands, pour éviter les bouches à nourrir, préfèrent laisser le typhus et le choléra se développer au milieu de nos prisonniers plutôt que de nous les rendre. Ce ne sont pas des pratiques de militaires, mais de sauvages.
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