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EAN : 9782070124855
400 pages
Gallimard (09/02/2012)
4.02/5   1268 notes
Résumé :
13 ans, 1 mois, 8 jours. Mercredi 18 novembre 1936
Je veux écrire le journal de mon corps parce que tout le monde parle d'autre chose.

50 ans et 3 mois. Jeudi 10 janvier 1974
Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d'abord aux femmes. En retour, j'aimerais lire le journal qu'une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin de mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemp... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (199) Voir plus Ajouter une critique
4,02

sur 1268 notes
"Avec le temps
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage et l'on oublie la voix
Le coeur, quand ça bat plus, c'est pas la peine d'aller Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien.. " (Léo Ferré).

Une relecture pour moi que ce roman de Daniel Pennac dans lequel il nous livre sans aucun interdit, sans ménagement et d'une façon si juste, le journal intime du père (qu'il a pourtant peu connu) de sa vieille amie Lison.

De son écriture, comme toujours directe et ciselée, Daniel Pennac cultive l'art et la manière de mélanger les styles, la dissonance du ton et du langage, tantôt cru, tantôt soutenu, n'enlève en rien la dimension poétique qui perdure tout au long de ce roman dont le récit est somme toute très physiologique mais seulement en apparence, car les apparences sont bien souvent trompeuses et l'auteur n'hésite pas à explorer habilement les profondeurs de la psyché humaine pour notre plus grand plaisir. Car finalement n'est-il pas vrai que le sacro-saint corps et l'esprit sont irrémédiablement reliés ?

Impossible de ne pas s'attacher à notre narrateur et auteur de ce journal qui restera anonyme jusqu'à la fin, dont nous nous approprions le corps et l'esprit aussitôt les premières pages tournées. Il va sans dire que ce corps observé à la loupe avec minutie, jour après jour durant 75 ans, c'est un peu le nôtre finalement.

Des maladies infantiles à la valse des hormones qui régissent l'adolescence, des premières défaillances physiques de ce corps devenu adulte à l'écueil infrangible de la vieillesse qui s'installe, l'auteur nous dit tout sans exception et sans jamais tomber dans l'effet de style dramatique, quelle prouesse !

Mais pour moi ce roman c'est avant tout un très bel hommage à l'enfance et de cette lecture je garderai le
souvenir certain du petit garçon âgé d'a peine dix ans qui aime à se réfugier dans l'imaginaire, orphelin de père (un père dont l'image est très présente tout au long de ce roman), qui pousse tout seul à la veille de la deuxième guerre et qui reporte tout son amour sur la cuisinière de la maison, Violette, car sa mère accablée et malheureuse est incapable de lui témoigner un tant soit peu d'affection.

Difficile d'expliquer ce que j'ai pu ressentir durant ma lecture tant mes émotions ont fait le grand huit encore une fois. J'ai ri, j'ai pleuré, sur moi, sur les êtres chers à mon coeur, qui ne sont plus, qui sont encore...
Ce roman c'est tout simplement l'éloge de la vie, du temps qui passe, de notre corps qui en est le témoin et en conserve précieusement les traces sans que nous ne puissions rien y faire !

Un très beau roman, à lire et à relire sans modération et qui sait ? C'est peut-être bien ça le secret pour parvenir à être heureux quand la vie nous joue de vilains tours : tenir un journal intime ;)


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Conteur hors pair, pudique dans l'impudeur Daniel Pennac ose dire les défaillances du corps qui sont celles aussi de la psyché. L'humour et la dérision ajoutant au plaisir jubilatoire de la lecture de ce journal qui trace tous les âges de la vie. L'enfance ses peurs et ses manquements traumatiques, l'adolescence cataclysmique, la maturité et ses certitudes à géométrie variable et la défaillante vieillesse, mais aussi les bonheurs grands et petits, les véritables jouissances sont autant de sujets qui nous rappellent l'indéfectible lien entre corps et esprit. Et surtout que « Nous sommes jusqu'au bout l'enfant de notre corps. Un enfant déconcerté. »
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J'abordai ce Journal d'un corps avec un enthousiasme prudent, appréhendant d'avoir à y lire, rapportées au jour le jour façon traité d'anatomie, les manifestations pas forcément ragoutantes d'un corps en (dé)route vers l'inexorable décomposition.

Erreur ma fille, grossière erreur. En fait de journal, il s'agit plutôt d'une chronique. Ou même… d'un roman. Oui, un roman ! Un roman de mec, instinctif, poétique et truculent, pudique et sans tabou, espiègle et grave, cru, élégant, empreint de dérision, rythmé par la réjouissante symphonie des phrases et la saveur des (bons) mots.

Réduire ce roman donc à la seule description d'un corps et de ses bouleversements au fil du temps ne lui rendrait pas l'hommage qu'il mérite, car ce sont l'esprit du narrateur, ses émois, ses troubles et toutes les réminiscences de sa belle existence qui s'expriment ici avant tout. Cadeau, et pas des moindres, l'humour et la prose virtuose de Pennac, redécouverts avec bonheur, confèrent à cette lecture d'authentiques moments de délectation.

Bon sang, je l'ai tellement aimé ce livre qu'en pondre ne serait-ce que l'ombre d'un pauvre commentaire m'a intimidée pendant des jours. J'arrête donc là les frais mais pour finir, juste un conseil qui n'engage que moi… Lisez ce bouquin. Point.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Daniel Pennac confie en prologue avoir eu vent du Journal du corps d'un personnage en vue (dont il souhaite taire l'identité), "cahiers légués" à sa fille "adorée" Lison (amie de l'auteur).
Autofiction?
Ce Journal d'un corps, commencé suite à un traumatisme de scout ligoté à un arbre et chiant dans son froc (pardonnez l'expression!) de terreur d'être dévoré par des fourmis, va relater la vie de son narrateur du moment où il jure: je n'aurai "plus jamais peur" jusqu'à sa fin de vie.
Sensations d'un écorché vif en manque d'amour maternel, construit en opposition à la mère humiliante pour ne pas être le "rien" prédit, "corps objet d'intérêt" pour suivre les murmures d'un père disparu trop tôt, ce corps, thème majeur de ce journal est plus un Moi-peau, un corps physique qui parle d'émotionnel.
Invention d'un double "exercice d'incarnation convaincant",grève de la faim,jouissance,hypochondrie,somatisation, ce journal transcrit l'intime à travers un corps qui exprime ses manques, sa haine,son désir,son plaisir,son narcissisme,sa sexualité,ses amours,sa tendresse,ses peurs paniques.
C'est toute une vie qui nous est contée rien qu'en regardant son écorce palpiter.
"Les testicules siège de l'âme?"
Question intéressante!
Une ouverture intéressante aussi: un destin est-il toujours lié à l'enfance, une vie maîtrisée vers la réussite en tout ne montrant ses failles qu'en de secrètes cellules?
Daniel Pennac(auteur connu et reconnu, prix Renaudot 2007 pour Chagrin d'école) signe là un petit chef-d'oeuvre qui sonne fort, juste et vrai!
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BLAM !!!!

Rien vu venir,coeur emballé, coeur comblé,coeur explosé…LE coup de coeur 6 étoiles !!!

Tente en vain d'essayer de mettre mes idées et émotions en place pour une critique plus, enfin moins, ou plutôt, quoique.hum, ca me rappelle un pub pour un parfum qu'un homme tentait de décrire sans y arriver 

Bref, Fichetoux, toujours sous le choc…mais promis, vous donne des nouvelles

3h du matin, le déclic !!!

Et oui, il y a des livres comme ca, qui même terminés laissent le lecteur dans un état de stupeur, bouche bée, et dont le récit et ses implications trottent dans votre tête.
Des livres, où la dernière page lue et le bouquin refermé, on est dans son lit et, pendant une demi heure, on regarde le mur sans le voir, toujours l'esprit dans ce trésor de papier on se dit « waowwww !!! »

Mais allez expliquer ce « waowwww !!! »

Ce que mon « conscient » tentait de formuler au sujet du JOURNAL D'UN CORPS, mon « inconscient » l'avait déjà capté et mis par écrit dans ma précédente tentative de critique-enfin,d'avis car je n'ai pas la prétention d'être un critique, plutôt un lecteur qui essaye d'expliquer ses coups de coeurs.

BLAM !!! Juste une onomatopée mais une juste onomatopée.

BLAM !!! Détonation, projectile…PROJECTION

Avec le recul (sans mauvais jeu de mot balistique), je me suis retrouvé projeté tout au long de ce bouquin :

Retrouvé comme infirmier aux urgences, en hématologie, en endoscopie digestive (et oui, je roule ma bosse professionnellement, grosso modo 10 ans dans chaque service) confronté aux maux et parcours du combattant de tout un chacun perdu au milieu de ce monde médical, froid, asseptisé, usant de termes « savants » pour le profane perdu…projection dans mon milieu carabin si particulier.

retrouvé comme être humain face à la sénescence, la maladie, la mort de proches( famille et autres), les choses que l'on apprends par après, tout comme Lison, pas spécialement des secrets mais des non-dits, pour ne pas faire souffrir l'autre, ne pas l'accabler, l'épargner, acte d'amour parfois dévastateur, parfois protecteur mais jamais anodin pourtant partant d'un bon sentiment (des notes de feu mon père retrouvées par hasard); ou choses tues par humilité, ou parce que l'on trouve cela normal( la tête que j'ai faite quand ma tante m'a montré le « diplôme de résistant » de feu mon oncle signé par Eisenhower, véridique !...projection dans le passé avec ses bons et moins bons souvenirs.

Retrouvé toujours comme être humain face à l'avenir de mes proches restants mais s'approchants doucement de la finalité, certains déjà dans les bras de ce cher Aloïs…projection dans l'avenir et la douleur des pertes à venir

Projection, toujours projection…à croire que ce bouquin a été écrit pour moi (non, je plaisante, ce serait me donner une trop grande importance lol)

Mise en abime totale, voila le pourquoi de mon bouleversement par rapport a ce fabuleux bouquin qui, du reste, m'a beaucoup fait rire par son ton ironique un peu désabusé, m'a forcement beaucoup ému par sa trame et pas mal gamberger pour ses relations humaines…mais après tout, n'est ce pas cela aussi que l'on demande parfois à un livre ?

Bref, un livre fort, magique, tendre, drôle, lucide, sensible, cru et cruel parfois; mais un ami que l'on accompagne et qui nous accompagne vers un formidable voyage qu'est une vie, qu'est La Vie.

Fred-Fichetoux-Beg content d'avoir réconcilié son conscient et inconscient va pouvoir faire dodo en paix

Bonnes lectures à toutes et à tous, en espérant ne pas avoir été trop « pompeux » dans cette critique, euh, pardon, avis.

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critiques presse (7)
LePoint
21 mars 2012
Généreux, baiseur monogame, ouvert d'esprit et de coeur, politiquement hypercorrect, voici le héros du nouveau roman de Daniel Pennac.
Lire la critique sur le site : LePoint
Lexpress
28 février 2012
Ni tout à fait un autre, ni vraiment lui, ce Journal d'un corps que nous offre Daniel Pennac n'est pas non plus un testament, plutôt une enquête sur un quotidien familier.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Culturebox
27 février 2012
Son récit sans tabou ne peut pas être impudique puisqu'à chacun il parle de son propre corps.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Telerama
23 février 2012
Pennac prend à bras-le-corps l'énigme de l'incarnation : quel est le lien entre mon corps et moi ? Et montre que le mystère n'est jamais épuisé.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeFigaro
20 février 2012
Voici donc l'histoire de nos fibres, celle d'un type mal parti qui connaît mille morts, mille résurrections et remplit sa vie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
10 février 2012
Le nouveau héros du père des Malaussène analyse les caprices de son corps dans un Journal délirant.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Lexpress
09 février 2012
Le narrateur consigne dans un journal ses défaites amoureuses, ses conquêtes sexuelles et ses défaillances, de son premier à son ultime souffle. L'expression du corps au fil de la plume.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (295) Voir plus Ajouter une citation
Comme prévu, crise d’angoisse. L’angoisse se distingue de la tristesse, de la préoccupation, de la mélancolie, de l’inquiétude, de la peur ou de la colère en ce qu’elle est sans objet identifiable. Un pur état de nerfs aux conséquences physiques immédiates : poitrine oppressée, souffle court, nervosité, maladresse (cassé un bol en préparant le petit déjeuner), bouffées de fureur dont le premier venu peut faire les frais, jurons étouffés qui vous empoisonnent le sang, aucun désir et la pensée aussi courte que le souffle. Impossible de me concentrer sur quoi que ce soit, dispersion extrême, ébauche de gestes, ébauche de phrases, ébauche de réflexion, rien n’aboutit, tout rebondit vers l’intérieur, l’angoisse renvoie sans cesse au cœur de l’angoisse. Ce n’est la faute de personne – ou c’est celle de tout le monde ce qui revient au même. Je trépigne en moi-même, accusant la terre entière de n’être que moi. L’angoisse est un mal ontologique. Qu’est-ce que tu as ? Rien ! Tout ! Je suis seul comme l’homme !
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Et me voilà renvoyé à la création de ce journal. Septembre 1936. J'ai douze ans, bientôt treize. Je suis scout. Avant, j'étais louveteau, affublé d'un de ces noms d'animaux mis en vogue par Le Livre de la jungle. Je suis scout, donc, c'est important, je ne suis plus louveteau, je ne suis plus petit, je suis grand, je suis un grand. C'est la fin des grandes vacances. Je participe à un camp scout quelque part dans les Alpes. Nous sommes en guerre contre une autre troupe qui nous a volé notre fanion. Il faut aller le récupérer. La règle du jeu est simple. Chacun de nous porte son foulard dans le dos, coincé dans la ceinture de son short. Nos adversaires aussi. On appelle ce foulard une vie. Non seulement il nous faut revenir de ce raid avec notre fanion, mais en rapportant le plus de vies possible. Nous les appelons aussi des scalps et nous les suspendons à nos ceintures. Celui qui en rapporte le plus grand nombre est un guerrier redoutable, il est un « as de la chasse », comme ces aviateurs de la Grande Guerre dont les carlingues s'ornaient de croix allemandes à proportion du nombre d'avions abattus. Bref, nous jouons à la guerre. Comme je ne suis pas bien costaud, je perds ma vie dès le début des hostilités. Je suis tombé dans une embuscade. Plaqué à terre par deux ennemis, ma vie arrachée par un troisième. Ils me ligotent à un arbre pour que je ne sois pas tenté, même mort, de reprendre le combat. Et ils m'abandonnent là. En pleine forêt. Attaché à un pin dont la résine colle à mes jambes et à mes bras nus. Mes ennemis s'éclipsent. Le front s'éloigne, j'entends sporadiquement des éclats de voix de plus en plus ténus, puis, plus rien. Le grand silence des bois s'abat sur mon imagination. Ce silence de la forêt qui bruit de tous les possibles : les craquements, les frôlements, les soupirs, les gloussements, le vent dans la futaie... Je me dis que les bêtes, dérangées par nos jeux, vont maintenant réapparaître. Pas les loups, bien sûr, je suis un grand, je ne crois plus aux loups mangeurs d'hommes, non, pas les loups, mais les sangliers par exemple. Que fait un sanglier à un garçon attaché à un arbre ? Sans doute rien, il lui fiche la paix. Mais si c'est une laie, accompagnée de ses petits ? Pourtant, je n'ai pas peur. Je me pose juste le genre de questions qui viennent dans une situation où tout est à explorer. Plus je fais des efforts pour me libérer, plus les liens se resserrent et plus la résine colle à ma peau. Va-t-elle durcir ? Une chose est sûre, je ne me débarrasserai pas de mes liens, les scouts s'y connaissent en nœuds indénouables. Je me sens bien seul mais je ne me dis pas qu'on ne me retrouvera jamais. Je sais que c'est une forêt fréquentée, nous y rencontrons assez souvent des cueilleurs de myrtilles et de framboises. Je sais qu'une fois finies les hostilités quelqu'un viendra me détacher. Même si mes adversaires m'oublient, ma patrouille notera mon absence, un adulte sera prévenu et je serai libéré. Donc je n'ai pas peur. Je prends mon mal en patience. Mon raisonnement maîtrise sans difficulté tout ce que la situation propose à mon imagination. Une fourmi grimpe sur ma chaussure, puis sur ma jambe nue qu'elle chatouille un peu. Cette fourmi solitaire n'aura pas raison de ma raison. En elle-même, je la juge inoffensive. Même si elle me pique, même si elle entre dans mon short, puis dans mon slip, ce n'est pas un drame, je saurai supporter cette douleur. Il n'est pas rare de se faire mordre par les fourmis en forêt, c'est une douleur connue, maîtrisable, elle est acide et passagère. Tel est mon état d'esprit, tranquillement entomologiste, jusqu'à ce que mes yeux tombent sur la fourmilière proprement dite, à deux ou trois mètres de mon arbre, au pied d'un autre pin : un gigantesque tumulus d'épines de pin grouillant d'une vie noire et fauve, un monstrueux grouillement immobile. C'est quand je vois la deuxième fourmi grimper sur ma sandale que je perds le contrôle de mon imagination. Il n'est plus question de piqûres à présent, je vais être recouvert par ces fourmis, dévoré vif. Mon imagination ne me représente pas la chose dans son détail, je ne me dis pas que les fourmis vont grimper le long de mes jambes, qu'elles vont me dévorer le sexe et l'anus ou s'introduire en moi par mes orbites, mes oreilles, mes narines, qu'elles vont me manger de l'intérieur en cheminant par mes intestins et mes sinus, je ne me vois pas en fourmilière humaine ligotée à ce pin et vomissant par une bouche morte des colonnes de travailleuses occupées à me transporter miette par miette dans l'effroyable estomac qui grouille sur lui-même à trois mètres de moi, je ne me représente pas ces supplices, mais ils sont tous dans le hurlement de terreur que je pousse maintenant, les yeux fermés, la bouche immense. C'est un appel au secours qui doit couvrir la forêt, et le monde au-delà d'elle, une stridence où ma voix se brise en mille aiguilles, et c'est tout mon corps qui hurle par cette voix de petit garçon redevenu, mes sphincters hurlent aussi démesurément que ma bouche, je me vide le long de mes jambes, je le sens, mon short se remplit et je coule, la diarrhée se mêle à la résine, et cela redouble ma terreur car l'odeur, me dis-je, l'odeur va enivrer les fourmis, attirer d'autres bêtes, et mes poumons s'éparpillent dans mes appels à l'aide, je suis couvert de larmes, de bave, de morve, de résine et de merde. Pourtant, je vois bien que la fourmilière ne se soucie pas de moi, qu'elle demeure à travailler pesamment sur elle-même, à s'occuper de ses innombrables petites affaires, qu'à part ces deux fourmis vagabondes les autres, qui sont sans doute des millions, m'ignorent complètement, je le vois, je le perçois, je le comprends même, mais c'est trop tard, l'effroi est le plus fort, ce qui s'est emparé de moi ne tient plus aucun compte de la réalité, c'est mon corps tout entier qui exprime la terreur d'être dévoré vif, terreur conçue par mon esprit seul, sans la complicité des fourmis, je sais confusément tout cela bien sûr, et plus tard quand l'abbé Chapelier – il s'appelait Chapelier – me demandera si je croyais sérieusement que les fourmis allaient me dévorer, je répondrai non, et quand il me demandera d'avouer que je me suis joué la comédie, je répondrai oui, et quand il me demandera si ça m'a amusé de terroriser par mes hurlements les promeneurs qui m'ont finalement détaché je répondrai je ne sais pas, et n'as-tu pas honte d'avoir été ramené tout merdeux comme un bébé devant tes camarades, je répondrai si, toutes questions qu'il me pose en me nettoyant au jet, en enlevant le plus gros au jet, sans même ôter mes vêtements, qui sont un uniforme je te le rappelle, l'uniforme des scouts je te le rappelle, et t'es-tu demandé une seconde ce qu'allait penser des scouts ce couple de promeneurs ? Non, pardon, non, je n'y ai pas pensé. Mais, dis-moi la vérité, cette comédie t'a fait plaisir tout de même, non ? Ne mens pas, ne me dis pas que tu n'y as pas pris du plaisir ! Tu y as pris plaisir, n'est-ce pas ? Et je ne pense pas avoir su répondre à cette question car je n'étais pas encore entré dans ce journal qui pendant toute la vie qui allait suivre s'est proposé de distinguer le corps de l'esprit, de protéger dorénavant mon corps contre les assauts de mon imagination, et mon imagination contre les manifestations intempestives de mon corps. Et que va dire ta mère ? As-tu pensé à ce que va dire ta mère ? Non, non, je n'ai pas pensé à maman et comme il me posait cette question je me suis même dit que la seule personne que je n'avais pas appelée pendant que je criais, c'était maman, maman était la seule que je n'avais pas appelée.
Je fus renvoyé. Maman vint me chercher. Le lendemain, je commençais ce journal en écrivant : Je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus peur, je n'aurai plus jamais peur.
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Dimanche 10 janvier 1937
13 ans, 3 mois
Dodo m'a réveillé, en pleine nuit. Il pleurait. Je lui ai demandé pourquoi, il n'a pas voulu me le dire. Alors je lui ai demandé pourquoi il me réveillait. Il a fini par me dire que ses copains le moquaient parce qu'il faisait pipi moins loin qu'eux. J'ai demandé jusqu'où. Il m'a dit pas loin. Maman ne t'a pas appris ? Non. Je lui ai demandé s'il avait envie maintenant. Oui. Je lui ai demandé s'il roulait bien sa chaussette avant de faire pipi. Il m'a dit : Quoi ma chaussette ? Nous sommes allés sur le balcon et je lui ai montré comment rouler sa chaussette. C'est Violette qui m'a appris le truc, dans mon bain, quand j'étais petit : Roule donc ta chaussette qu'il n'aille pas nous faire des champignons, celui-là ! Son petit bout est sorti et il a pissé très loin, jusque sur le toit de la Hotchkiss des Bergerac. Elle était garée sous la maison. Il a pissé aussi loin que la largeur du trottoir. Il était tellement content qu'il faisait pipi en riant. Ça envoyait le jet encore plus loin, par secousses. J'ai eu peur que maman ne se réveille et je lui ai mis la main sur la bouche. Il a continué de rire dans ma main.
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64 ans, 2 mois, 18 jours Lundi 28 décembre 1987
Une blague stupide faite par Grégoire et son copain Philippe à la petite Fanny m'a rappelé la scène originelle de ce journal, le trauma qui l'a fait naître.
Mona, qui aime faire le vide, a ordonné un grand feu de vieilleries dont la plupart dataient du temps de Manès : Chaises bancales, sommiers moisis, une charrette vermoulue, des pneus hors d'usage, autant dire un autodafé gigantesque et pestilentiel. (Ce qui, à tout prendre, est moins sinistre qu'un vide-greniers.) Elle en a chargé les garçons qui ont décidé de rejouer le procès de Jeanne d'Arc. J'ai été tiré de mon travail par les hurlements de la petite Fanny, recrutée pour tenir le rôle de la sainte. Pendant toute la journée, Grégoire et Philippe lui ont vanté les mérites de Jeanne dont Fanny, du haut de ses six ans, n'avait jamais entendu parler. Ils lui ont tant fait miroiter les avantages du paradis qu'elle battait des mains en sautant de joie à l'approche du sacrifice. Mais quand elle a vu le brasier dans lequel on se proposait de la jeter toute vivante, elle s'est précipitée chez moi en hurlant. (Mona, Lison et Marguerite étaient en ville.) Ses petites mains m'ont agrippé avec une terreur de serres. Grand-père ! Grand-père ! J'ai tenté de la consoler avec des « là, là », des « c'est fini », des « ce n'est rien » (ce n'était pas rien, c'était même assez grave, mais je n'étais pas au courant de ce projet de canonisation). Je l'ai prise sur mes genoux et j'ai senti qu'elle était humide. Plus que cela, même, elle avait fait dans sa culotte, elle s'était souillée de terreur. Son cœur battait à un rythme effrayant, elle respirait à coups minuscules. Ses mâchoires étaient à ce point soudées que j'ai craint une crise de tétanie. Je l'ai plongée dans un bain chaud. C'est là qu'elle m'a raconté, par bribes, entre deux restes de sanglot, le destin que ces deux abrutis lui avaient réservé.
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Vendredi 3 mai 1968
44 ans, 6 mois, 23 jours

"La peau vieillit." Cette phrase anodine a fait mouche. C'est une vieille peau, disait maman en parlant des gens qu'elle n'aimait pas (qui aimait-elle ?). Vieille peau, vieille baderne, vieux con, vieille carne, vieux schnoque, vieux débris, vieux machin, vieux croûton, vieux cochon, vieille ganache, vieux dégoûtant : les mots, la langue, les expressions toutes faites laissent entrevoir quelque difficulté à entrer dans la vieillesse d'un cœur léger. Quand y entrons-nous, d'ailleurs ? À quel moment devenons-nous vieux ?
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Vidéo de Daniel Pennac
Par Daniel Pennac Dans le cadre du festival Italissimo 2024
Piero nourrit une passion pour les voitures de luxe, idéalement dérobées. Pendant un bref moment, le vol lui permet de s'échapper de la routine quotidienne, lui conférant l'agilité et la puissance d'un lynx. Une nuit de brouillard, il stationne sa flamboyante Alfa Romeo sur une aire de repos, prêt à piller la caisse d'un « restauroute ». C'est à ce moment-là qu'il croise le regard d'un adolescent égaré, dont l'assurance et la beauté singulière le foudroient, annonçant ainsi un bouleversement radical dans sa vie. Daniel Pennac, admirateur absolu de cette nouvelle de Silvia Avallone, nous offre une lecture inédite.
À lire – Silvia Avallone, le lynx, trad. de l'italien par Françoise Brun, Liana Lévi, 2012. L'oeuvre de Daniel Pennac est publiée chez Gallimard.
Lumière par Hannah Droulin Son par Lenny Szpira Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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