Nouvelles pour une année, tome 1

Voici un recueil qui porte bien son nom : il regroupe, dans un très fort volume de 1285 pages (en version originale), les innombrables nouvelles écrites au fil de sa carrière par le prix Nobel italien, plus connu pour son théâtre et ses courts romans.

Même si l'on a de quoi lire pour fort longtemps, d'autant plus que les nouvelles peuvent être abordées indépendamment les unes des autres, on est captivé par le talent extraordinaire de l'auteur à installer, en quelques lignes ou pages, des personnages, saisissants de vie et de vérité, dans des situations inconfortables, des problèmes inextricables, le tout avec une "furia" comique et satirique qui contrebalance le pessimisme général de la vision du monde pirandellienne.

Le thème principal reste bien sûr l'impossibilité du bonheur dans une vie qui ne réserve que déceptions, impasses insolubles, deuils imprévus, problèmes familiaux ou pécuniaires, ou tout simplement le vide, l'ennui, le dégoût, dans un atmosphère dépressive qui n'est pas sans rappeler Flaubert. Un terme revient comme une litanie, "sciagura"(catastrophe, malheur, malchance), car presque tous les personnages y sont confrontés un jour ou l'autre : les femmes meurent en couche, les enfants en bas âge décèdent de maladie, les hommes d'âge sont victimes d'apoplexie... Quant au suicide, c'est un thème récurrent abordé par de nombreuses nouvelles. Quel sombre univers, direz-vous !
Eh bien non... Car, comme chez Flaubert, (dont Pirandello diffère cependant beaucoup) un élan d'humour noir emporte le tout dans une dérision de tous les instants, une sorte de jubilation comique donne à voir des personnages caricaturaux et grotesques, aux travers comme grossis à la loupe, dans des situations complexes mais très souvent ridicules où la verve de l'auteur s'en donne à coeur joie, accentuant les enchaînements désolants mais d'une drôlerie irrésistible.
Et pourtant Pirandello a plus d'une corde à son arc, car il peut aussi faire ressentir en poète la beauté d'une atmosphère, d'un paysage naturel, évoquer avec un certain lyrisme la mélancolie d'un moment.

Ce qui frappe, c'est l'incroyable variété des thèmes et des intrigues, des angles d'attaque de ce thème central du pessimisme vu au prisme de l'humour : qu'il s'agisse de la classe moyenne et des carrières ratées, des mariages calamiteux, ou de la bonne société, de ses préjugés de classe et de ses moeurs, ou encore de la paysannerie sicilienne évoquée sans fard, avec tendresse et acuité, Pirandello sait évoquer tous les milieux, imaginer tous les personnages, camper les situations les plus inattendues, les plus variées, les plus surprenantes.
Qu'il s'agisse du marin suédois victime du typhus et débarqué dans un port sicilien, épousant la jeune habitante qui a veillé sur sa guérison, au prix d'un irréparable sentiment d'exil (Lontano) ou du fonctionnaire convaincu de détournement de fonds (en raison de problèmes pécuniaires familiaux) qui ne voit que le suicide pour échapper à la prison et au déshonneur, mais qui au lieu de se noyer, va passer une joyeuse journée à festoyer avec des amis, avant d'en revenir à son projet primitif, des deux paysans grossiers et incultes qui font venir à grand peine un médecin de campagne réticent pour soigner leur cousin atteint de l'anthrax, mais qui déserteront par peur de la contagion, en prenant conscience du danger des mouches qui infestent l'étable (La mosca), du marquis qui ayant perdu sa femme légitime morte en couches, confie sa nouvelle-née à sa maîtresse récemment mère elle aussi, pour qu'elle devienne sa nourrice et sa tutrice (Come gemelle), du jeune père affligé de toutes les malchances qui tout en se dévouant corps et âme au bonheur de son fils maladif, finira en prison à la suite d'un coup de folie contre la mère de l'enfant (Va bene), des scènes de la vie mondaine ou de cet écrivain qui reçoit ses personnages et éconduit l'un d'entre eux malgré ses protestations (La tragedia d'un personaggio) la virtuosité, la diversité de l'inspiration et la maîtrise parfaite du suspense sont au rendez-vous.
En bref, une lecture de longue haleine, mais du grand art, qui laisse le lecteur ravi et ébahi devant tant de maestria.
Lu en V.O.

C'est à l'occasion de quelques jours passés en Italie que je redécouvre Pirandello et Calvino. Je commence avec les nouvelles de l'auteur sicilien, prix nobel en 1934. Ce sont quelques nouvelles extraites des "Nouvelles pour une année". La plupart de ces textes se déroulent en Sicile et décrivent des individus souvent incompris, stigmatisés par leur milieu social pour leur comportement décalé, voire déviant. C'est ce qui rend Pirandello très humain avec ses personnages. Il utilise les ressorts de la comédie pour faire ressortir les incongruités d'une situation. Pourtant, ces intrigues me paraissent aujourd'hui terriblement datées, et bien souvent, elles m'ont fait sourire, alors qu'au début du siècle, la dénonciation de la norme devait apparaitre de manière évidente. Il en reste aujourd'hui une lecture assez agréable malgré un style largement dépassé. La version originale en regard n'y change rien. J'ai essayé Calvino, qui n'a pas non plus produit l'effet escompté. Je suis toujours à la recherche de l'auteur italien qui me percutera. S. Avallone y avait réussi avec "D'acier". En ce jour du 24 décembre je continue donc mes déambulations au marché de Noël, autour du Duomo de Milan.