Correspondance (1914-1922) : Marcel Proust / Jacques Rivière

On ne peut qu'être ému à la lecture de cette correspondance entre Marcel Proust et Jacques Rivière, secrétaire puis directeur littéraire de la Nouvelle Revue Française. Si tous deux échangent quelques lettres pendant les premiers mois de l'année 1914, la première guerre mondiale interrompt leurs rapports qui ne reprendront qu'au mois d'avril 1919. Leurs relations, d'abord à caractère professionnel, se transformeront en une authentique amitié, peut-être facilitée par leur santé chancelante : ses deux malades se comprennent. En effet si Marcel Proust souffre de graves crises d'asthme, Jacques Rivière présente diverses séquelles de la guerre, telles que des insomnies et d'autres maux d'origine nerveuse. Marcel lui prodigue des conseils médicaux et l'adresse, en mars 1920, au professeur Roussy, indiquant avoir écrit à celui-ci quatorze pages sur Jacques. Lorsque le petit garçon de Jacques est atteint d'une broncho-pneumonie au début de l'année 1921, Marcel s'en enquiert avec sollicitude. Leur centre d'intérêt commun est bien sûr la promotion de"A la recherche du temps perdu", oeuvre pour laquelle Jacques Rivière éprouve une admiration sans borne, expliquant que chaque nouveau livre de Marcel Proust, quand il entre dans sa bibliothèque, y fait événement, étant placé d'abord au premier rang des livres "en lecture", puis allant rejoindre ses aînés sur un rayon plus réservé où il ne se trouve pas pour autant oublié. Les deux correspondants discutent longuement des "bonnes feuilles" de l'oeuvre à publier en avant-première dans la NRF et ne tombent pas d'accord sans mal tant le sujet leur tient à coeur. Jacques Rivière fait preuve d'une patience angélique face aux exigences de Marcel Proust, tatillon et difficile à contenter. Si le dévouement de Jacques est inlassable, Marcel n'épargne rien pour soutenir son jeune ami. Il cherche à lui faire obtenir des prix, des bourses, des conférences et lui prête de l'argent lorsque sa famille s'agrandit. Il le soutient et l'encourage quand celui-ci écrit son roman "Aimée". Les lettres adressées par Marcel à Jacques dans les six derniers mois de la vie du premier sont poignantes tant elles traduisent le calvaire subi par l'auteur, parfois victime de cinq évanouissements en une journée. Celui-ci fait preuve d'un courage héroïque, sa principale préoccupation étant d'achever son oeuvre.