Avec ce dixième volume du cycle « Dernier royaume »,
Quignard poursuit son étrange entreprise, qui, à ma connaissance, est unique en son genre. Seule certitude, ces textes érudits sont bien de la littérature, et de la plus exigeante. S'y entremêlent critique d'art, philosophie, étymologie, poésie, fragments biographiques, rites antiques et chrétiens, sexualité, théorie psychanalytique et réminiscences de contes, à la manière de « L'enfant entêté » un conte des frères Grimm issu d'une ballade du XVIème siècle, « Le garçon mort d'Ingolstadt ».
Ce conte très bref tient en quelques mots. Un enfant bat sa mère. Elle survit. Il meurt et on enterre son corps. Mais sa main ne cesse de se dresser de terre. Seule sa mère, en frappant cette main jusqu'au sang, met fin à ce désordre.
Pascal Quignard en fait un exemple, parmi beaucoup d'autres, de la force vitale présente jusqu'à la mort, qui se manifeste dans tous les êtres, humains ou animaux, prédateurs et proies.
Le propos de
Quignard n'est pas désincarné. Au contraire il est toujours au plus près des corps, de leurs exigences, de leurs défaillances aussi. La tonalité générale est donc sombre, marquée par l'angoisse, les souffrances mais aussi les brèves exultations des vivants.
Il déclare explicitement consacrer ce tome à « l'attrait » de tout ce qui est faux dans l'art et dans le rêve. Il y développe notamment de nombreuses variations autour du thème de la fascination : images dans lesquelles la pensée se perd devant leur force mais aussi, au delà de l'art et des mots, regard insondable entre proie et prédateur, qui renvoie bien évidemment à la mort.
En ce qui me concerne cette lecture m'a permis de découvrir deux types d'oeuvres qui m'ont saisi : d'abord celle du peintre
Jean Rustin, qui a été l'ami de
Quignard et dont celui-ci donne ici une sorte de tombeau. Puis les mosaïques dites « chambre non balayée » dont Sôsos de Pergame passe pour avoir été le créateur, natures mortes assez incroyables.
Elle m'a également donné très envie de revenir au début de cette série du Dernier royaume, «
Les ombres errantes » (prix Goncourt 2002) que je lirai prochainement.
J'ai pu lire et commenter ce livre grâce aux éditions Grasset et à NetGalley.