Alors que les 4 premiers tomes se déroulent en Allemagne, on retrouve le héros à
Paris.
Dans ce tome, Christophe qui est une sommité en musique, n'a pas les mêmes dons pour les relations humaines. On le voit évoluer dans
Paris.
D'abord il meurt de faim… et puis finalement il va intégrer un milieu d'artistes.
Pendant tout ce volume, rien ne trouve grâce à ses yeux. Et je ne sais quelle part représente l'opinion de l'auteur mais les femmes (cités 85 fois), les juifs (25), et les Français en prennent pour leurs grades. Et si certaines images sont bien vues, dans d'autres cas, c'est caricatural à l'excès.
Dans la première partie, Christophe découvre
Paris et comprend que les Français ne sont pas si différents des Allemands. L'auteur décrit un
Paris décadent, avec un art dégénéré (selon Christophe). Il y a des pages sur la méconnaissance de la musique des Français et des critiques. La littérature à part
Anatole France n'est pas épargnée. Visiblement l'auteur règle ses comptes.
« Il resta quelque temps à regarder curieusement les orangers en caisse, qui poussaient dans la serre d'
Anatole France, et les narcisses grêles, qui émaillaient le cimetière d'âme de Barrès. Il s'arrêta quelques instants devant le génie, un peu sublime, un peu niais, de Mæterlinck : un mysticisme monotone, mondain, s'en exhalait. Il se secoua, tomba dans le torrent épais, le romantisme boueux de
Zola, qu'il connaissait déjà, et n'en sortit que pour se noyer tout à fait dans une inondation de littérature. »
J'ai dû réécouter et relire pour être sûre d'avoir bien compris. Je vous laisse juge.
« Et lui aussi, Christophe, aimait le plaisir. Lui aussi, aimait la liberté. Il avait soulevé contre lui l'opinion de sa petite ville allemande, par sa franchise à soutenir des idées, qu'il retrouvait maintenant, prônées par ces
Parisiens, et qui, prônées par eux, maintenant le dégoûtaient. Les mêmes idées, pourtant. Mais elles ne sonnaient plus de même. Quand Christophe, impatient, secouait le joug des maîtres du passé, quand il partait en guerre contre l'esthétique et la morale pharisiennes, ce n'était pas un jeu pour lui, comme pour ces beaux esprits ; il était sérieux, terriblement sérieux ; et sa révolte avait pour but la vie, la vie féconde, grosse des siècles à venir. Chez ces gens, tout allait à la jouissance stérile. Stérile. Stérile. C'était le mot de l'énigme. Une débauche inféconde de la pensée et des sens. Un art brillant, plein d'esprit, d'habileté, – une belle forme, certes, une tradition de la beauté, qui se maintenait indestructible, en dépit des alluvions étrangères – un théâtre qui était du théâtre, un style qui était un style, des auteurs qui savaient leur métier, des écrivains qui savaient écrire, le squelette assez beau d'un art, d'une pensée, qui avaient été puissants. Mais un squelette. Des mots qui tintent, des phrases qui sonnent, des froissements métalliques d'idées qui se heurtent dans le vide, des jeux d'esprit, des cerveaux sensuels, et des sens raisonneurs. Tout cela ne servait à rien, qu'à jouir égoïstement. Cela allait à la mort. Phénomène analogue à celui de l'effrayante dépopulation de la France, que l'Europe observait – escomptait – en silence. »
Cette dernière phrase tombe vraiment comme un cheveu sur la soupe. Dans tout ce volume, il y a une dénonciation de la décadence de
Paris, de l'art pour l'art.
« de ces plaines submergées s'exhalait un odor di femina. La littérature d'alors pullulait de femmes et d'hommes femelles. – Il est bien que les femmes écrivent, si elles ont la sincérité de peindre ce qu'aucun homme n'a su voir tout à fait : le fond de l'âme féminine. Mais bien peu l'osaient faire ; la plupart n'écrivaient que pour attirer l'homme : elles étaient aussi menteuses dans leurs livres que dans leurs salons ; elles s'embellissaient fadement, et flirtaient avec le lecteur. Depuis qu'elles n'avaient plus de confesseur à qui raconter leurs petites malpropretés, elles les racontaient en public. C'était une pluie de romans, presque toujours scabreux, toujours maniérés, écrits dans une langue qui avait l'air de zézayer, une langue qui sentait la boutique à parfums et l'obsédante odeur fade, chaude, et sucrée. Elle était partout dans cette littérature. Christophe pensait, comme Goethe : « Que les femmes fassent autant qu'elles veulent des poésies et des écrits ! Mais que les hommes n'écrivent pas comme des femmes ! Voilà ce qui ne me plaît point ». Il ne pouvait voir sans dégoût cette coquetterie louche, ces minauderies, cette sensiblerie qui se dépensait de préférence au profit des êtres les moins dignes d'intérêt, ce style pétri de mignardise et de brutalité, ces charretiers psychologues. »
« Parfois la vraie nature de ces écrivains juifs se réveillait, montait des lointains de leur être, à propos d'on ne savait quels échos mystérieux provoqués par le choc d'un mot. Alors, c'était un amalgame étrange de siècles et de races, un souffle du Désert, qui par delà les mers, apportait dans ces alcôves
parisiennes des relents de bazar turc, l'éblouissement des sables, des hallucinations, une sensualité ivre, une puissance d'invectives, une névrose enragée, à deux doigts des convulsions, une frénésie de détruire, – Samson, qui brusquement assis depuis des siècles dans l'ombre se lève comme un lion, et secoue avec rage les colonnes du temple qui s'écroulent sur lui et sur la race ennemie. »
En fait l'auteur essaie de donner un tour de Candide à Christophe mais dans ce volume, cela ressemble plus à de la vertu outragée, qu'à de l'humour. Tout le monde ne peut pas être
Montesquieu.
R. Rolland utilise plus de 30 fois le mot race, ce qui surprend.
Il y a parfois des morceaux de poésie (surtout en parlant de musique) mais ils sont trop peu nombreux pour rendre ce volume aussi intéressant que les précédents. Espérons que le suivant soit meilleur.