La nouvelle
Maigret chez les Flamands mérite une mention particulière dans ce volume de la collection Tout
Simenon.
Elle présente des caractéristiques qui en font une enquête atypique de
Maigret.
Maigret se déplace à la frontière franco-belge, plus précisément au village de Givet, à la demande d'un cousin de sa femme qui habite Nancy.
Malgré le télégramme de ses collègues nancéiens lui demandant de surseoir à sa visite, il se rend à Givert et y rencontre Anna Peeters, la fille d'épiciers-bistrotiers de Givert, des Flamands qui ont fait fortune et attisent les jalousies des frontaliers français.
Le village est au bord de la Meuse, en crue lorsque
Maigret s'y rend.
Joseph, le frère d'Anna est accusé par la rumeur d'avoir assassiné Germaine Pieddboeuf, sa maîtresse, dont il a eu un enfant, alors qu'il doit épouser sa cousine Marguerite.
Les Piedboeuf refusent l'arrangement proposé par les Peeters pour permettre à Joseph d'épouser sa cousine.
Marguerite a été vue la dernière fois le 3 janvier, alors qu'elle entrait dans l'épicerie des Peeters. Personne ne l'en a vu ressortir.
Outre l'intérêt de l'enquête elle-même, dont le déroulement et le dénouement sont assez inattendus, le récit permet à
Simenon de déployer des aspects peu connus de son talent.
Maigret s'y présente sous un jour nouveau.
Il déclame un poème d'
Ibsen au grand étonnement d'Anna Peeters et se montre sensible au charme particulier de la jeune femme.
"Elle l'impressionnait, surtout maintenant qu'il voyait sa chambre. Elle l'impressionnait à la façon d'une statue énigmatique. Il se demandait si ses chairs sans séduction avaient déjà vibré, si elle était autre chose qu'une soeur dévouée, qu'une fille modèle, qu'une maîtresse de maison (...) si enfin, sous ces apparences, il y avait une femme !"
Maigret est entraîné dans un huis clos avec la famille Peeters, dont il joue et abuse.
"C'était un envoûtement que le rythme de vie de cette maison. le genièvre mettait une chaleur sourde sous le crâne de
Maigret"
Ce dernier joue avec son collègue Machère, l'inspecteur en charge de l'enquête, la laissant patauger alors que lui a déjà identifié les acteurs du lent processus qui a conduit à la disparition de Germaine Piedboeuf.
Avec la famille de la disparue, il joue une partition différente, démontrant un flegme étonnant, relançant la conversation dans le Café de la Maire après avoir désarmé Gérard Piedboeuf qui le menaçait :
"Puis s'adressant à son voisin qui n'y comprit rien, il ajouta :
- Vous aviez annoncé atout carreau..."
Simenon nous livre une analyse précise de la société française en 1936, qui résonne avec notre actualité :
"C'est à croire que c'est un crime en France, d'être français !
Surtout si on est pauvre de surcroît..." lance Gérard Piedboeuf persuadé que
Maigret est "à la disposition des riches."
On apprends au détour des lignes, que
Maigret porte un chapeau melon, et se laisse volontiers aller à plaisanter pour moquer l'inspecteur Machère :
"Où est Gérard Piedboeuf ?
- Au cinéma Scala, avec une ouvrière de l'usine.
- Je parie qu'ils ont pris une loge !"
Maigret observateur et psychologue, lâche aussi :
en parlant de Joseph "(...) il avait cette séduction de certains poitrinaires : des trais fins, une peau transparente, des lèvres sensuelles et moqueuses tout ensemble."
en voyant le jeune servante du docteur van de Weert : "La servante qui ouvrait
la porte aux clients était fraîche comme au sortir d'un bain chaud."
Une enquête de
Maigret à lire absolument pour ses qualités littéraires, pour l'analyse du contexte sociologique de l'époque, et aussi pour la mécanique de l'énigme et sa résolution.
En rentrant à Paris,
Maigret répond à sa femme lui demandant s'il a résolu l'affaire :
"Donne-moi mes pantoufles, veux-tu ?"