Liv Strömquist poursuit, quelques années après «
Les sentiments du prince Charles » sa réflexion sur l'amour, pas au temps du choléra, mais de nos jours, à travers deux exemples issus de la pop culture : les relations amoureuses à répétition de Leonardo di Caprio (victime au long cours de l'ouvrage), et l'indépendance amoureuse décrite dans la chanson « Irreplaceable » de Beyoncé.
L'autrice s'interroge ainsi sur la raison pour laquelle le héros de Titanic choisit toutes ses compagnes selon le même modèle : l'amour ne consiste-t-il pas à chercher son âme soeur, l'être en un seul exemplaire qui fait battre son coeur, justement en raison de ce caractère unique et introuvable ailleurs ?
Pour démontrer sa théorie,
Liv Strömquist emprunte beaucoup des théories de l'essai de la sociologue
Eva Illouz, «
Pourquoi l'amour fait mal. L'expérience amoureuse dans la modernité » (celle-ci étant bien sûr à chaque fois citée, l'autrice faisant toujours un solide travail documentaire). L'explication de départ est que l'amour d'aujourd'hui est narcissique et autocentré, et à ce titre est incapable de distinguer l'autre dans son altérité ni même de reconnaître celle-ci.
En outre aujourd'hui, on a l'embarras du choix dans ses partenaires, alors qu'aux siècles précédents, il était bien plus contraint (le mariage était un contrat économique avant tout…)
Liv Strömquist aborde par la suite d'autres éléments plus novateurs : certains éléments constitutifs du statut social de la masculinité se sont érodés avec l'avènement de la modernité et du féminisme. Les hommes n'ont donc la possibilité d'exercer une autorité machiste que dans la sexualité, ce qui a mené à la longue à un détachement affectif et une certaine phobie de l'engagement qui caractérise certains spécimens (heureusement pas tous !). On est loin de la masculinité du XIXe siècle qui était, selon
Eva Illouz, « définie dans la classe moyenne en termes de capacité à ressentir et à exprimer des sentiments forts, à formuler des promesses et à les tenir et à s'engager auprès d'autrui avec détermination et résolution »…
Mais en réponse à cette tentative de domination affective, les femmes ont adopté l'attitude masculine du détachement affectif et de la sexualité sérielle, pour atteindre cette espace de statut supérieur que les hommes se sont appropriés.
Ce qui fait le lien avec l'autre chapitre de la bande dessinée, « Un autre toi en une minute » : à partir de la chanson de Beyoncé (une femme déçue de son amant lui explique qu'elle trouvera mieux rapidement),
Liv Strömquist interroge cette conception de l'amour féminin, sorte d'auto-empowerment où les femmes suraffirment leur valeur, refusent tout sacrifice pour dresser leurs sentiments et éviter des expériences négatives dans leurs relations amoureuses risquant de déprecier leur estime de soi. A partir de ce principe, peut-on quand même atteindre un amour heureux, puisque l'amour n'a rien d'inexplicable et de magique ? puisqu'on peut aimer et désaimer sur commande ?
C'est aussi typique de la société capitaliste dont l'un des moteurs est la performance, et qui sous-entend ainsi qu'« on devrait pouvoir créer un amour heureux sans mauvais côtés à la seule force de notre comportement », tout échec pour y parvenir étant de notre faute.
Car on n'est plus dans une société du devoir, mais pire, dans une société du pouvoir, ou l'on doit être capable de produire la meilleure version de soi-même, de peur de passer pour un raté.
Liv Strömquist est une autrice que j'aime beaucoup pour la finesse, la pertinence et la drôlerie de ses explications. Toutefois, j'ai moins aimé ce volume, car j'ai eu l'impression qu'elle n'a pas assez su prendre de recul sur sa lecture d'
Eva Illouz, puisque l'essentiel de ses théories repose sur un seul ouvrage. Je ne suis pas particulièrement fan de Leonardo di Caprio mais j'ai été un peu gênée et agacée qu'il soit le running gag de l'ouvrage et surtout que Liv Stömquist parle à sa place (que sait-elle de ses pensées sur ses relations amoureuses après tout) ? de plus, certaines idées présentes le sont faites de manière un peu répétitive et pas forcément toujours convaincante. Bref, petite baisse de forme sur ce volume, qui ne m'empêchera pas toutefois de lire les suivants.