Maître Fulano

Je remercie l'équipe Babelio pour m'avoir attribué un livre dans le cadre de l'Opération Masse Critique Littérature de septembre 2021 ainsi que le service de presse des Éditions Pierre Téqui pour l'envoi de "La quête de maître Fulano" de Loïc Tertrais.

J'ai réfréné ma hâte de me plonger dans le roman dès sa réception pour détailler la couverture de l'ouvrage. J'aime laisser vagabonder mon imaginaire grâce à l'invitation de l'image offerte aux regards des curieux, surtout si elle est singulière. Ici, pour un roman sur les relations de deux avocats en activité, domaine maîtrisé à merveille par l'auteur puisqu'il est dans son cadre professionnel, point de photo de somptueux prétoire à l'écoute, ni d'édifice plantureux de tribunal, mais un dessin de l'illustrateur de presse Luc Tesson représentant un avocat, pédalant de façon jubilatoire sur une petite reine, robe noire et épitoge herminée volant au vent. Cette représentation simple, mais chargée de symboles, réunit en un tout deux des passions de Loïc Tertrais, son métier et le vélo.

La construction du livre est d'une efficacité redoutable constituée de chapitres courts et denses, débutant par une ou plusieurs citations de grands auteurs de la littérature tels que Georges Bernanos, Albert Camus, Antoine de Saint-Exupéry, Simone Weil, Molière pour n'en citer que quelques-uns. Elles émaillent aussi le récit et donnent, à elles seules, matière à réflexion, ce qui confère le ton de l'aventure à laquelle est invité le lecteur.

Deuxième singularité annonçant l'ambiance littéraire de l'histoire, Savinien, prénom rarissime choisi par l'auteur pour Maître Fulano. Comme son illustre homonyme contemporain de Boileau et de Molière, Savinien Cyrano de Bergerac, écrivain méconnu du 17° siècle rendu célèbre par la pièce éponyme d'Edmond Rostand 200 ans plus tard, Maître Fulano est de nature méticuleuse avec une autorité naturelle qui lui permet d'assumer des responsabilités. Il est aussi un observateur passionné ce qui n'a pas échappé à son jeune confrère Jack, cet « escogriffe à deux roues » à l'air rebelle qui s'émancipe de la norme policée inhérente à son statut social.

Si Savinien a une vie professionnelle routinière, avocat réputé reconnu par ses pairs et par tous ses confrères, Jack va lui apporter la fraîcheur de la jeunesse insolente, aiguillonner sa curiosité et éveiller sa conscience à l'humanisme par la culture, la philosophie et la spiritualité. On assiste à un parcours initiatique d'un vieux briscard du barreau embourbé dans une vie bourgeoise dénuée de surprise, ce qui ne manque pas d'interpeler.

Certains passages sont particulièrement savoureux. La façon dont Jack expertise les vices de construction des maisons en observant la nature des bibliothèques qu'elles abritent est irrésistible. « J'ai catalogué les foyers en trois catégories de risques : responsabilité lourde, ou décennale comme nous le disons en droit de la construction, en présence de désordres menaçant les fondations : absence totale de bibliothèque, télévision allumée en continu abrutissant les membres de la famille, écrans à tous les étages ; responsabilité intermédiaire, en présence de vices d'équipements nécessitant des reprises : existence de nombreux romans de gare et de revues people, peu de livres de réflexion ; absence de désordres ou désordres esthétiques de peu d'importance : présence de rayonnages de livres de philosophie, de romans et de voyages, d'ouvrages d'art, de musiques. »

"La quête de maître Fulano" est davantage un conte onirique et philosophique que l'on déguste qu'un roman qu'on lit. Scandé par des réflexions poussant à l'introspection, la lecture de ce livre a été un moment délicieux et enrichissant où le Paraître disparaît au profit de l'Être et où les vraies valeurs illuminent l'esprit. Je soupçonne l'auteur d'être un peu Savinien et beaucoup Jack d'où le dessin de couverture, un avocat profitant de la vie, préfigurant une forme de liberté tant physique qu'intellectuelle.

Cependant, malgré tous mes efforts, je n'ai pu ou su apprécier le thème de la spiritualité un peu trop restrictif à mon goût, même abordé avec tact et douceur. le catholicisme est une religion que je connais depuis longtemps. Je respecte les hommes et les femmes fidèles à cette croyance comme à d'autres et je comprends qu'ils aient besoin de préceptes pour se sentir entourés, épaulés. Mais la spiritualité m'évoque quelque chose de plus grand, de plus fort, quelque chose qui élève l'âme, l'esprit, l'être cosmique, quel que soit le nom qu'on lui donne. Nul n'est besoin de cadre aux règles contraignantes pour tendre la main, aider et aimer au sens large du terme. Une récompense telle qu'un paradis hypothétique est-elle nécessaire pour faire le Bien ? Est-ce "l'amour de son prochain" qui fait exclure une partie de l'humanité parce qu'elle déroge aux interprétations humaines d'un dogme né il y a plus de 2000 ans dans des conditions atroces ? Et je ne parle pas de notions d'intégrisme et d'intolérance qui me sont insupportables dans n'importe quel domaine. Je sais … je digresse largement du propos, c'est sans doute mon côté Savinien : « La foi ? Fulano se raidit à ce mot. S'il abordait désormais volontiers les sujets religieux tant qu'il s'agissait de culture générale, il n'aimait pas qu'on vienne l'asticoter du côté de ses croyances. » !

Je remercie Loïc Tertrais de m'avoir permis d'améliorer mes connaissances par cette lecture riche en références littéraires. Ma curiosité m'a poussée à découvrir l'écrivain, journaliste polémiste et poète anglais, Gilbert Keith Chesterton (1876-1936), prince du paradoxe par son humour décalé qui, à mon avis, a largement inspiré la façon de penser de Jack. J'ai noté une belle citation parmi tant d'autres, tirée de la biographie qu'il a consacrée à William Blake : « Le poète est un homme qui sans le vouloir confond le ciel et la terre. » 

En conclusion, "La quête de maître Fulano" fût pour moi un très beau et fort moment de lecture où la philosophie de la vie est accessible à tout lecteur qui veut bien se laisser guider par Maître Jack sans peur de buter sur un vocabulaire alambiqué.

Savinien Fulano, dont le prénom est celui de Cyrano de Bergerac et dont le patronyme signifie en espagnol untel ou machin, est un avocat réputé défendant principalement la cause des victimes. Il vient de s'adjoindre un jeune collaborateur, un certain Jacques, qu'il renomme Jack. Ce dernier plein d'audace, soutenue par une grande culture, vient bousculer un maître Fulano engoncé dans son prestige et ses certitudes.

Comme un diablotin Jack aiguillonne sans avoir l'air, jette insidieusement citations appropriées et souvent provocantes qui interpellent et remettent en cause la vision unilatérale de bons nombres d'avocats, leurs a priori, jusqu'à amener Maître Fulano à reconsidérer sa façon d'exercer.
Le remplacement inopiné de Jack à la messe de minuit dans une maison d'arrêt sera le point d'orgue, l'élément déclencheur du revirement de Maître Fulano. L'avocat n'est-il pas tout autant le défenseur de l'oppresseur que celui de l'opprimé ? Va s'opérer chez Savinien Fulano une véritable ”réinsertion”. Jack va lui faire prendre conscience que la justice, le droit, s'exercent de plus en plus de façon dématérialisée et combien la technologie a tendance à se substituer à l'humain. le risque serait d'établir les peines de façon algorithmique et non plus en fonction des êtres humains et des circonstances. Par ailleurs Jack soutient qu'avocat et poète ont vocation commune. ”Avocat et poète se ressemblent car tous les deux s'accordent des contradictions du monde. Tous deux s'adonnent à  leur art sur le grand bouillonnement des passions humaines ”. Les arguments de Jack convainquent maître Fulano qui peu à peu retrouve la joie. ”La joie vit à l'air libre”. Sa vie privée comme professionnelle retrouve sens. Délaissant son SUV pour le vélo, il participe à un cercle poétique, il devient plus léger et plus libre, bref plus humain.

Qu'as-tu fait de ton serment était le point de départ du roman. Question légitime que tout avocat devrait se poser régulièrement. A travers ses personnages l'auteur apporte des réponses. Lui-même avocat, Loïc Tertrais se cacherait-il sous les traits de Jack ou rêverait-il d'acquérir sa pensée libre. L'avocat Loïc Tertrais : un peu poète, un peu philosophe ? Sans doute et pleinement écrivain.

Merci à Babelio et à l'éditeur Pierre Téqui de m'avoir permis de découvrir, à l'occasion d'une opération Masse Critique, Loïc Tertrais et Maître Fulano, dont la couverture avait suscité ma curiosité. Je suis pleinement récompensée.

Voici une belle découverte et je remercie Babelio de m'avoir envoyé ce livre dans le cadre de la dernière opération de Masse Critique.
Il s'agit plus d'une fable que d'un roman à proprement parler, le récit étant assez secondaire. D'ailleurs, Loïc Tertrais éclaire son texte de magnifiques citations, très à propos, qui à elles seules justifient la lecture de ces 140 pages...
A travers l'histoire d'un avocat (l'auteur étant lui-même avocat) qui découvre grâce à un jeune collègue brillant et anticonformiste qu'il s'était endormi dans la routine d'une vie confortable et fade.
La culture et l'humanité viennent donc peu à peu recolorer la grisaille d'une vie très lisse, très contemporaine et qui pourrait déjà sembler à certains proches du bonheur : une belle profession, une épouse, des enfants et un confort matériel certain. Mais si maître Fulano se croyait heureux, il va vite comprendre qu'il n'avait pas pris le temps de gouter au bonheur.
Je recommande donc cette lecture qui sort de l'ordinaire et me m'aidera à être un peu plus heureux dans les semaines qui viennent.