Maigret est en vacances. Ou plus exactement en cure thermale. A Vichy. Trop de bières montées au bureau du Quai des Orfèvres, trop de repas à la diététique incertaine, au cours d'enquêtes jusqu'au bout de la nuit.
"... ne vous inquiétez pas, juste une petite remise en forme. Trois semaines et il n'y paraîtra rien.."
Madame accompagne Monsieur.
Maigret s'inquiète pour sa santé, n'en laisse fièrement rien paraître. Madame n'est pas dupe, elle connait son commissaire, sait ce qui le ronge. L'homme, la cinquantaine, se sent brutalement vieillir. Il se soumet, avec le fatalisme d'un 3ème age prématuré, au rituel de la cure, en suit le protocole à la lettre en homme qui ne se sent plus décisionnel de lui-même. Lui qui ne savait jamais comment allait se dérouler ses journées de commissaire, s'adonne en couple à de longues marches quotidiennes qui suivent inlassablement les mêmes itinéraires.
... et le lecteur de sourire de ce
Maigret nouveau: fataliste, refermé sur lui-même, silencieux, bougon, courbé sur ses craintes, filant du mauvais coton; de cette Mme
Maigret comme une ombre dans son sillage. Notre héros devient personnage de comédie, offusqué de ce chapeau de paille qui remplace son melon habituel, travaillé par la nécessité de résister à une bière fraîche tentatrice, résigné à l'eau thermale chaude qui stagne au fond de son verre de curiste.
Maigret s'ennuie de ce Vichy qui chaque jour montre les mêmes visages aux mêmes heures et aux mêmes endroits, s'invente un jeu pour s'égayer, celui de "profiler" certains curistes à distance.
Maigret occupe son temps en s'accrochant ainsi à sa raison d'être, le policier reprend le dessus. Une femme en lilas devient sa cible privilégiée. Elle est entre deux ages, toujours seule, chaque soir sur la même chaise jaune face au kiosque à musique. Elle l'intrigue. Il ne parvient pas à la cerner. C'est rapidement, pour lui, un mystère qui vire à l'obsession.
Le problème prend une toute autre tournure quand la dame est retrouvée étranglée chez elle.
Maigret se fera l'ombre silencieuse et attentive, parfois amusée et ironique face aux méthodes d'un de ses anciens subordonnés, désormais en charge de l'affaire.
Maigret suit l'enquête en dilettante, coincé entre ses soins thermaux auxquels il ne veut pas se soustraire et sa passion d'une vie: comprendre
les autres pour les démasquer ou les aider..
La personnalité de la victime ne va pas tarder a leur apporter du fil à retordre.
La suite appartient au roman...
Avec "
Maigret à Vichy",
Simenon a du changer ses habitudes d'écriture, sa mécanique d'auteur à l'oeuvre de la série. La méthode romanesque employée n'est pas celle d'ordinaire. Il y a du soleil dans les mots, y a du sourire dans les actes jusqu'à ce que l'épilogue recadre tout dans le drame . L'auteur livre ainsi un roman atypique dans sa production consacrée au Commissaire.
La raison de ce changement est simple,
Simenon doit s'adapter à Vichy, à ce que la ville représente.
On connaissait sa récurrence d'utilisation d'un background hivernal, froid et pluvieux pour dramatiser les situations humaines disséquées. Avec "
Maigret à Vichy", l'été se devait d'être là, bien à coeur. Cette saison est le temps béni des cures et des vacances associées. Il lui a fallu composer avec la chaleur, qu'il rendra bien entendu lourde et suffocante; le soleil, qu'il montrera omniprésent et brûlant. C'est pleine lumière, sous les ombrages des allées, près de l'Allier où rit la jeunesse en ski nautique, dans la chambre fraîche de l'hôtel derrière les persiennes fermées que se noue et se dénoue le drame en cours. Un orage du feu de Dieu ponctuera l'épilogue, le fracas du tonnerre en point d'orgue du drame qui couve. le calme reviendra dans la chaleur étouffante des habitations qui n'ont su profiter de la fraîcheur de l'orage.
Maigret tournera la page du drame sur un espoir: la foudre ne doit pas frapper deux fois au même endroit.
L'été est là, loin du froid et de la pluie de maints autres épisodes.
Vichy montre ses riches atours, ses luxueux hôtels et sa population saisonnière aisée, ses permanents aux aguets de la manne financière que la ville offre. La description de la cité thermale est délicieuse de justesse sociale, le lecteur se sent au coeur d'un oasis privilégié que
Maigret n'affronte pas car il a besoin de ses services.
Maigret se soumet aux rituels de cure, presque british d'attitude dans son respect des horaires et des convenances.
On se croirait dans un
Agatha Christie.
Maigret se fait Poirot d'une intrigue classique de déduction, près des curistes riches ostensiblement bien habillés et réservés.
Il n'y a pas d'antagonisme franc entre deux mondes sociaux opposés si ce n'est une opposition nette et tranchée entre l'aspect presque rieur des 9/10ème du roman et l'épouvante ressentie à l'épilogue.
Maigret ne s'implique pas comme à l'ordinaire. Et quand le drame trouvera son épilogue, il abandonnera son habit de détective belge fier de ses déductions académiques pour reprendre celui d'un
Maigret en prise directe avec un monde dur et sans pitié.
Parfait.
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