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Critiques de Antoine Choplin (588)
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Radeau

Nous sommes à l'été 1940, c'est l'exode devant l'invasion allemande. En pleine débâcle, Louis, au volant d'un camion, fuit devant l'arrivée prochaine des Allemands, son camion roule pour passer au plus vite au sud de la Loire. Sa cargaison est précieuse.

De surprenants clandestins voyagent dans le ventre de ce camion : Ucello, Fra Angelico, Mantegna, Delacroix, le Caravage, Géricault...

En effet, Louis transporte des tableaux du Louvre qu'il faut absolument mettre à l'abri. Il s'agit de l'opération « Hirondelle ». Plusieurs camions sont ainsi partis de Paris, séparément, échelonnés, roulant vers la destination d'un château dans le Lot.

Nuit noire. Sur la route, Louis dépasse une femme qui marche pieds nus sur le bas-côté de la route, tenant ses chaussures à la main. Les consignes sont strictes, il ne doit pas s'arrêter. D'ailleurs, la femme ne fait aucun signe en sa direction. Et pourtant...

Elle s'appelle Sarah...

J'ai cru comprendre que Radeau était le premier roman publié par Antoine Choplin, auteur que j'aime beaucoup par sa douceur, sa pudeur, ses mots tout en retenue, pour dire parfois des choses graves, tristes, douloureuses, mais la joie aussi, éphémère parfois. Ici puisque c'est son premier roman il ouvre déjà le ton de cette manière merveilleuse.

J'aime la voix de cet auteur posée sur les existences de ses personnages qui se croisent, effleurant nos âmes par la même occasion...

La pudeur, les gestes retenus comme au bord d'un abîme, c'est ainsi que démarre la rencontre entre Louis et Sarah, une nuit, sur la route entre Saumur et Poitiers...

J'ai tourné les pages, je suis entré à mon tour dans l'histoire. Ne pas briser le silence entre eux, dans cet habitacle où s'engouffre la nuit, la route défile à la lisière des forêts.

Le visage de Sarah est triste, sa voix aussi, un peu à l'abandon, comme celle d'Antoine Choplin, elle lui ressemble comme une soeur... Ses yeux racontent autre chose, ce sont deux citadelles imprenables...

C'est une parenthèse, un temps suspendu au bord de l'enchantement, à l'intersection de deux routes, de deux vies, quelque part où tout est un peu sombre et peut-être déjà entrelacé.

Elle est secrète, esquive les questions de Louis...

Alors, ils parlent de peinture, d'art, de paysages et de lumière, comme pour retenir encore un peu la guerre là-bas au loin qui bruit, prête à dévaster l'aube qui arrive.

J'ai aimé les sentir être cueillis tous deux au matin par toute cette lumière qui venait sur les pages.

Radeau est un récit en trois temps, entre l'été 1940 et février 1944.

Mais ce roman est loin d'être seulement triste. Il y a des scènes de fraternité et de joie autour de ce fameux tableau de Géricault, le radeau de la Méduse, donnant son titre au récit, scène champêtre où des partisans déplient sur un jardin un peu sauvage au bord d'un vieux château presque à l'abandon la toile sortie de son cadre pour la faire respirer un peu... Magnifique instant bucolique, presque féérique, où chacun y va de son commentaire. Il y a même un résistant que l'on surnomme Michel-Ange...

On sent dans ces moments que le bonheur est fragile, ne tient qu'à un fil, mais on se réjouit de cette solidarité bonhomme qui lie, qui tisse des vies les unes aux autres. Antoine Choplin sait dire tout cela aussi avec justesse et le reste aussi qui viendra plus tard...

J'ai été touché par ce récit.

L'évocation des guerres passées me fait pleurer. Celles à venir tout autant. Comprenne qui pourra...

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La nuit tombée

Le temps d'un court récit, l'auteur nous remémore le drame de Tchernobyl.

La couverture dégage une force incroyable. On y voit une maison inhabitée au-dessus d'un immense trou noir. Elle semble y tomber, sans aucune chance de pouvoir s'en échapper.

Ce gouffre noir, sans fond, c'est la zone interdite.



*

Ce court roman s'ouvre sur une scène absolument saisissante.

Un homme, Gouri, revient seul, dans la région de Pripyat, deux ans après la catastrophe nucléaire.

Voyageant sur une vieille moto à laquelle est accrochée une remorque brimbalante, il traverse la campagne ukrainienne, les villages abandonnés pour se rendre dans la zone interdite.



"Il y a eu la vie ici

Il faudra le raconter à ceux qui reviendront

Les enfants enlaçaient les arbres »



Gouri est prêt à braver tous les dangers pour revenir dans son ancien appartement et récupérer quelque chose qu'il n'a pu emporter le jour de l'évacuation de la ville de Pripyat.

Qu'est-ce qui motive cette prise de risques insensée ?



Nous découvrons cette raison progressivement, mêlée aux pensées de Gouri qui nous ramènent sans cesse au drame du 26 avril 1986 et aux jours qui ont suivi le drame.



« La bête n'a pas d'odeur

Et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres

D'entre ses mâchoires de guivre

Jaillissent des hurlements

Des venins de silence

Qui s'élancent vers les étoiles

Et ouvrent des plaies dans le noir des nuits

Nous voilà pareils à la ramure des arbres

Dignes et ne bruissant qu'à peine

Transpercés pourtant de mille épées

A la secrète incandescence »



Ce voyage à la nuit tombée est l'occasion d'évoquer ce monde qui n'existe plus, cette vie qui n'existe plus, ce bonheur simple qui n'existe plus. Dès les premières lignes, j'ai ressenti de plein fouet, à travers les souvenirs de cet homme, sa solitude, sa peur, sa peine, son angoisse de découvrir les restes de sa vie d'avant, de ne pas retrouver ce qu'il est venu chercher.



« Ce n'était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d'obus. N'empêche, il fallait partir. »



Deux ans après la catastrophe nucléaire, Gouri retrouve ceux qui, bravant les interdits, ont décidé de rester malgré tout, préférant ne pas quitter leur maison, leur village et leur cadre de vie auxquels ils étaient attachés.



Gouri découvre ces lieux figés dans le temps, ces terres massivement contaminées, les arbres encrassés d'une suie noire et collante, Pripyat devenue ville fantôme avec sa grande roue et ses nacelles vides, ses immeubles abandonnés et pillés malgré la radioactivité environnante.



« Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt cette sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c'est ça qui te colle la trouille. »



*

Ce que je retiens principalement, ce sont les personnages de ce roman, attachants, esquissés avec beaucoup de finesse et d'attention. Antoine Choplin reconstitue avec une belle aisance ses vies brisées. On ressent les douleurs étouffées, les vies chamboulées, le traumatisme de ce déracinement forcé.



Iakov et Vera sont un parfait exemple de cette capacité de résilience. Leur vie à deux qui s'achève est bouleversante.

Mais il y a aussi la Ksenia, petite victime contaminée par la radioactivité.

Ou bien le jeune Piotr, traumatisé par la disparition de ses parents.



Les silences ont souvent plus de poids que les mots pour décrire l'horreur et l'incompréhension, et Antoine Choplin s'en sert avec raison. L'auteur ne rentre pas dans les détails des souvenirs douloureux, mais j'ai été particulièrement sensible à l'aspect psychologique des personnages, leur compassion, leur pudeur, tant dans la douleur physique que psychologique, mais surtout leur courage face aux épreuves de la vie.



*

Une nouvelle fois, je suis charmée par l'écriture d'Antoine Choplin qui entremêle habilement la fiction et la réalité.

J'y ai retrouvé le style qui m'avait tant plu dans « le héron de Guernica », cette écriture épurée, simple, profonde et vibrante d'émotions, qui s'affranchit de ponctuation dans les dialogues pour mieux se fondre dans le récit.

Ce choix d'une écriture sobre crée un fort contraste avec les événements dramatiques, rendant le récit d'autant plus émouvant et poignant.



*

Pour conclure, je referme ce roman très touchée par sa poésie, son humanisme. Les personnages m'ont impressionnée par leur courage et leur force morale.

« La nuit tombée » est un beau roman que je vous conseille.
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La nuit tombée

Gouri part pour un voyage dans La nuit tombée, là où le temps est suspendu, figé dans la douleur, à Tchernobyl. La poésie des décors vides dans la nuit se mêle à la souffrance des survivants de l’effroyable catastrophe nucléaire.

Il vient de Kiev sur sa moto, pour récupérer un objet inattendu qui cristallise ses souvenirs familiaux dans l’appartement qu’il occupait autrefois. Mais la zone est désormais interdite. La quête de Gouri dans ce no man’s land est bouleversante. En chemin, il s’arrête chez chez Eva et Iakov à Chevtchenko, dans un village contaminé. Ceux qui habitent encore là, ont perdu leurs illusions. Mais le temps d'un repas, on partagera une bouteille de vodka.

Son ami Kouzma le prévient : « Faut faire attention au plutonium, par ici. Un millième de gramme dans le ventre et t’es retourné en six mois. »

Un mot, un geste, un frisson dans la ville désertée, un oiseau qui vient se poser dans le silence assourdissant de la nuit, Antoine Choplin décrit subtilement les émotions de Gouri, comme de petites lucioles qui brillent dans la nuit, avec délicatesse et beaucoup d'humanité.

Des phrases courtes qui vont droit au cœur, une belle découverte.

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Le héron de Guernica

La rencontre n’a pas eu lieu. Et comment aurait-elle pu avoir lieu ?

Tout oppose ces deux peintres. Celui, reconnu, auquel on demande de dresser un tableau sur Guernica sans en avoir rien vu et qui met son nom au service d’un événement, et l’autre bien présent au moment des faits et tellement aspiré et inspiré par eux, qui découvre l’étendue de l’horreur et l’indicible ou l’invisible qui s’efforcent de transpirer dans son oeuvre.

L’un témoigne de l’horreur, l’autre essaie de l’effacer. Mais tous deux ont réussi à mettre de la grandeur dans leur art. L’Art est nécessaire à l’Homme.



Avril 1937. A Guernica, il y a des marais et des hérons. A Guernica, il y a le village avec le curé, l’oncle et ses deux cannes. A Guernica, il y a ce héron que Basilio ne cesse d’apprivoiser dans sa peinture, et Celestina qui est si jolie. Mais à Guernica, il y a aussi la guerre qui sépare Nationalistes et Républicains et il y a surtout des bombardiers allemands qui raseront tout.



C’est avec une extrême fluidité que la lecture se fait. Pourtant l’annonce du désastre est là. Mais il règne un grand calme, une palpitation discrète, un léger tremblement... On sent sourdre l’agitation du monde dans les mots d’Antoine Choplin, mais cette agitation, cette catastrophe annoncée (car connue des lecteurs) n’est pas tonitruante, sanguinolente, étourdissante de bruit et de fureur. Elle vient se déposer et recouvrir lentement le paysage comme si l’auteur lui-même étendait une couche de glacis sur son tableau terminé.

C’est beau. Et c’est terrible de dire ainsi que la guerre est belle. Les mots ont sublimé la folie.

Certains témoignent de l’horreur et d’autres essaient de l’effacer mais tous en parlent à leur façon. Les artistes sont capables de ça.



Merci berni_29 de m’avoir emmenée observer ces marais. Un bon lecteur est capable de ça aussi et Antoine Choplin est vraiment un écrivain-poète. Il m’avait déjà subjuguée avec « La nuit tombée » et son écriture pleine de candeur toute en opposition avec ce qu’il raconte. Du grand art !

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Une forêt d'arbres creux

Nous sommes en décembre 1941, à Therisienstadt, - aujourd'hui Terezin ville située en République Tchèque. C'est alors une ville-ghetto et un camp de concentration où sont détenus des prisonniers juifs.

C'est un ghetto, un camp de concentration comme notre Europe en a tant connu à cette époque en pleine Seconde Guerre mondiale.

Nous suivons le périple de Bedrich qui arrive ici avec sa femme Johanna et son tout jeune fils Tomi. Il est dessinateur. Il intègre le bureau des dessins en tant que responsable.

Officiellement, il s'agit de dessiner des plans d'architecture pour les Allemands, des aménagements de bâtiments, vous voyez, des choses qui n'inquiètent pas, rien de dangereux pour l'ordre imposé.

J'ai imaginé ce groupe d'hommes affairés à dessiner dans ce lieu confiné où ils avaient peur sans doute déjà.

Mais la nuit qui vient révèle à chaque fois autre chose. Ce sont les mystères des nuits impossibles, où j'imagine que la terreur, à chaque fois, à chaque guerre passée, actuelle ou à venir, devient alors un cauchemar éveillé. Ainsi vient comme cela presque sans les mots, comme un instinct de survie, un sentiment de cohésion spontané et presque naïf, la décision d'un collectif qui se forme de dessiner autre chose, secrètement. Un dessin vient, des dessins, d'autres dessins... Des sourires viennent aussi. On rit parfois. C'est jubilatoire. Ces dessins, on les enfouit après dans une simple fente cachée par une latte de bois...

Chaque jour se succède ainsi à l'autre. Dessiner, dessiner...

Chaque nuit, dessiner autre chose... On ne sait pas encore ce qu'on va en faire de tout cela.

Dessiner l'indicible, l'inconcevable, dessiner ce qu'est le quotidien d'un camp de concentration.

Oui, parce que l'endroit cherche à être considéré comme « exemplaire », les Nazis voudraient faire passer aux yeux de la communauté internationale l'endroit pour une colonie juive modèle, d'autant plus qu'une délégation de la Croix-Rouge internationale s'apprête à venir visiter les lieux prochainement et les hôtes allemands font tout pour rendre le lieu propre, « normal ». Alors, ces dessins, ce serait l'occasion rêvée de les sortir de leur cachette et de les partager à ces visiteurs inopinés, montrer à l'extérieur ce qu'ils vivent ici.

Une forêt d'arbres creux dit cela, rien d'autre, la vie en état de guerre, avec une manière de ne pas montrer la guerre de manière visuelle, frontale, mais de la suggérer, en dire l'horreur avec ce quotidien, ces gestes presque anodins, avec des destins qu'on imagine ployés déjà vers l'innommable, malgré l'espoir qui les tient encore debout.

Comme toujours Antoine Choplin aborde dans ce roman les heures sombres de l'Histoire, mais avec son écriture délicate, tout en retenue, il nous fait entrer comme cela dans un huis-clos, dans l'atmosphère de ce camp de concentration, il nous dit l'entraide, une humanité absolument bouleversante.

C'est une écriture sobre, un récit glaçant.

Évoquer plutôt que raconter.

Comment dire la puissance de la création qui se dresse comme un mur devant la barbarie et la volonté d'une destruction totale ?

Dessiner devient alors comme une arme, dire l'impensable, peindre l'inimaginable.

Lorsque la nuit vient, ces hommes ordinaires d'un bureau de dessin presque ordinaire deviennent des rebelles, des voyageurs clandestins, des résistants, des personnes qui disent Non, des personnes qui savent déjà que certains mourront pour cela.

N'oublions jamais celles et ceux qui savent dire Non à la guerre, résister avec leur art, leurs rêves, leurs bras dressés devant des tanks, au prix de leurs vies essentielles, quels que soient l'époque, l'endroit au monde, des êtres qui savent déjà que certains d'entre eux mourront pour cela.

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Le héron de Guernica

"Le héron de Guernica"est un roman surprenant que j'ai lu avait attention et curiosité.

Basilio est un peintre amateur qui se demande comment Pablo Picasso a pu peindre Guernica et la violence que cette ville a vécue alors qu'il n'était pas sur place et donc n'a rien vu. Il désire le rencontrer et en profiter pour lui montrer sa propre œuvre, lui qui aime ton peindre les hérons.



Il y a un contraste entre la violence de la guerre, les bruits assourdissants des bombardements et la quête du moindre mouvement, du plus petit souffle du Héron qu'il aime à observer et peindre.

Il y a un mélange d'horreur et de poésie, de précipitations et de lenteur, de trop plein et de vide...

" j'ai photographié la bicyclette, aussi. Quelle bicyclette ?

Celle qu'on voit là-bas, couchée par terre au milieu de la place.

C'est une drôle d'idée, dit le père Eusébio en regardant vers la bicyclette.

Les avions, ça suffit pas pour raconter ce qui se passe ici, du Basilio.

(...) Rien que ça, une bicyclette qui repose à terre, au milieu d'une place déserte. Je crois que c'est pas mal pour donner à deviner tout ce qu'on voit pas sur l'image. Toutes ces choses qui flottent dans l'air et qui fabriquent notre peur de maintenant. Qu'on peut pas graver sur du papier mais qui nous empêchent presque de respirer, par moments. (...)

Alors je trouve que cette image de bicyclette, elle fait la place à tout ça et c'est dans ce sens qu'elle vaut bien une photographie de bombardier."

Ce passage représente bien toute la sensibilité que l'on ressent à chaque page.
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Partie italienne

Installez-vous confortablement, l'auteur vient nous imposer le temps langoureux de parties d'échec. Notre héros part à Rome, s'installe à un café et invite les passants à venir s'exercer avec lui dans des parties libres, pour le plaisir de la rencontre sans mots forcés et le plaisir de la stratégie. Jusqu'au jour où c'est une passante qui s'assoit en face. A l'heure des rencontres rapides (pour pas dire furtives, des applications de rencontres sans lendemain), A. Choplin nous propose à travers une visite de Rome à pied, une partie de coeur, la décantation d'un vin, l'effleurage puis l'effleurement des sens ; on est dans la dégustation, la saveur, l'onctuosité. Le temps que nos deux amoureux prennent le temps de se mettre à nu (a tout point de vue) : ce temps-là ! Et je repense à cette phrase sans retrouver l'auteur : "C’est facile de se déshabiller et de faire l’amour… Tout le monde peut le faire ! Mais ouvrir son âme à quelqu’un, le laisser rentrer dans son coeur, son esprit, ses pensées, ses craintes, ses espoirs, ses rêves… Et bien c’est ça, se mettre à nu ! … ». Belle plume pour une (très) belle histoire.
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Une forêt d'arbres creux

Nous sommes en décembre 1941 à Terezin, en République Tchèque ..

Bedrich arrive avec femme et enfant dans la ville ghetto et intégre le bureau des dessins.

Chaque jour, avec son équipe de quinze hommes, vont se succéder commandes obligatoires, jours sombres, aménagements de bâtiments , traits soignés, plans du futur crématorium, discussions interminables des tâches en cours, échanges d'une voix blanche et égale.....visages silencieux et concentrés..

Chaque nuit, le groupe se reforme, en cachette......

Cet ouvrage pudique et intense, aérien et délicat, simple mais sublime , cet ensemble lumineux et ciselé, poétique et brillant comme sait les écrire" Antoine Choplin à l'image du "Héron de Guernica "rend la réalité de la noirceur du monde qu'il décrit magnifiquement à travers l'art pictural.

La poésie est partout présente dans l'effroi et la vaillance des regards , la noirceur de la réalité .....

Malgré les faits relatés, les descriptions comme la métaphore p8 des arbres martyrisés afin d'évoquer les hommes en souffrance est tout simplement sublime.

L'auteur conte la rébellion; la douleur et la peine, la colére, dissimulée ou non, le bonheur de toutes petites choses : le rayon du soleil , le trait du crayon gras qui dessine, la satisfaction des outils, des notes de musique, une promenade dans le ghetto avec son épouse, les formes qui apparaissent .

Ce livre extrêmement attachant , à l'écriture chatoyante donne l'impression du vécu, de l'angoisse de la faim , l'image imprimée de ces châlits superposés, ces nuques tendues, ces fronts inquisiteurs mais aussi cette évasion intense, cette pensée Libre, paradoxale dans l'exiguïté des espaces, l'épuisement des hommes et des corps fatigués.....

Cet ouvrage témoigne de l'impensable, barbelés et arbres entrelacés, élan et contrainte, vérité et illusion, mort et vivant ......

Lu dans le cadre du prix Jean d'heurs spécifique à mon département , prix du roman historique , sélection 2016.
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La nuit tombée

Antoine Choplin nous donne à vivre une journée et une nuit avec Gouri qui decide deux ans après la catastophe de Tchernobyl de retourner à Pripiat, Zone dorénavant interdite et surveillée. Il fait une escale avant chez des amis survivants puis part avec sa moto , sa remorque et Kouzma pour Pripiat, là où il a vécu. Il veut récupérer la porte de la chambre de sa fille sur laquelle, il avait noté les signes du temps qui passe, les mesures de sa fille qui grandissait au cours du temps. Cette porte , objet symbolique à plusieurs titres est celui qu'il a besoin pour avancer et peut- être aussi fermer une page de son existence.

Ce petit roman sombre nous donne à vivre quelques heures heures dans ce no man's land rafioactif, quelques heures qui suffisent à nous faire comprendre l'ampleur de la catastrophe .

L'écriture est sobre et pourtant sensible, parsemée de petits poèmes, le style EST celui qu'il fallait pour cette histoire. Pas de fioritures, les mots choisis sont emplis de pudeur.

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La nuit tombée

Ce court roman est très prenant car il embrasse plusieurs destinées brisées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. C'est un roman de nuit, de rencontres, de peur, de besoin de revoir des lieux, de toucher des objets, de silence et d'émotion discrète.



Gouri entreprend un voyage à moto d'une nuit vers Pripiat, sa ville devenue champ de désolation et de radioactivité. Dans son périple, il passe une soirée de partage chez des amis dans un village sur la route. Des vies simples, épluchage de pommes de terre, retrouvailles émues avec son ami Iakov, irradié vivant ses derniers jours. Les mots passent, naturellement, les silences sont hurlants, la délicatesse imprègne l'atmosphère pourtant si tragique.



Puis, Gouri continue son voyage avec Kouzma qui va le guider jusqu'à Pripiat. Son partenaire connaît les moyens de franchir les passages, de se faufiler dans la ville fantôme jusqu'à l'immeuble où vivait Gouri. Là, ce dernier va récupérer un objet qui ne pouvait intéresser les pillards, pas un objet de valeur, petit et précieux, mais une porte chargée de l'histoire de sa famille, portant les marques de mesure de la taille de sa fille, Ksenia. Cet attachement viscéral à cette porte et la nécessité de l'enlever à cette désolation nous font à la fois partager le passé de Gouri et mesurer l'importance pour l'humain de l'objet, inanimé... Lamartine se demandait s'il avait une âme. Gouri en est convaincu car cette porte détient sa vie et celle de sa fille.



Un livre condensé, des phrases brèves, des dialogues saisissants de simplicité, sur la détresse mais aussi la poursuite de la vie au-delà des souffrances. La qualité de l'écriture renforce la perception des maux de ces gens auxquels elle fait communier tout lecteur capable d'entendre les silences de la nuit de Gouri.
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Le héron de Guernica

Au marais, près du pont de Renteria, le héron toujours là, à l’avant de la roselière, dans sa posture aérienne et silencieuse.



Sur le chevalet le pinceau de Basilio tente de peindre les secrets de la lumière, le mystère des ombres des gestes lents, le silence qui bruisse. Il tente d’accrocher le vivant à la toile.



La chemise blanche déchirée à l‘épaule porte des traces noirâtres et le sang d’un soldat. Comme les prémices d’une autre blessure.



L’avion allemand enfante ses bombes, elles tombent de son ventre métallique sur le village de Guernica un jour de marché où les rires éclataient, comme des fleurs du mal.



Au marais, le héron cendré s’envole apeuré. Il ne comprend pas ce géant , oiseau de l'enfer venu fendre la paix, le printemps plein de promesses.



Il y a cette bicyclette couchée dans la poussière dont la roue tourne dans le vide. À ce moment de ma lecture j’ai pensé à l’image de l’homme à la bicyclette fauchée par une mitraillette, ou je ne sais plus par quel bras de malheur, dans un village ukrainien au début de l’invasion russe.

La fragilité, la vie simple et paisible face à la force sombre, écrasante, sans âme. Une image qui raconte au-delà des mots.



Puis, sur le fil du mur du couvent, Basilio semble faire le héron, en équilibre instable entre l’instant d’avant et le présent sans plus d’horizon, avec sa chemise blessée à l’épaule.



Picasso le peintre mondialement connu et Basilio, l’artiste anonyme, ont tous deux peint le bombardement de Guernica. Chacun avec sa sensibilité, l’un par les échos, l’autre par sa présence discrète et si attentive. La toile de Basilio restera invisible aux visiteurs de l'exposition, mais pourtant si réelle au lecteur et sans doute à Picasso en visite dans ce roman.



Deux témoins pour tenter d’accrocher le vivant à la toile, et la mort aussi.

Un roman puissant par sa pudeur et sa poésie. Puisse l’art raconter pour ne pas oublier, pour ne pas recommencer.







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Partiellement nuageux

Partiellement nuageux, c'est l'histoire d'Ernesto, astronome dans le modeste observatoire de Quidico, au Chili, en plein territoire mapuche. Son univers est partagé entre deux paysages, celui de l'Océan Pacifique le jour, celui des constellations la nuit...

C'est une lumière crue dans un ciel parfaitement bleu qui parfois devient partiellement nuageux, la pluie peut venir alors...

C'est un récit où les paysages agissent comme une sorte de miroir, où regarder le ciel peut emmener à l'intérieur de soi.

Ernesto a pour seul compagnon son chat qu'il appelle "Le Crabe", et Walter, son télescope. Mais ce dernier est vieux, a perdu de sa performance, il est encore possible pour Ernesto d'observer Saturne, la division de Cassini, de Titan, et aussi des mers lunaires, celles du Serpent , du Froid, des Dangers, des Humeurs ou le Marais des Épidémies,- ah ! tant de noms emplis de vertiges et d'enchantements -, mais désormais il lui est impossible d'aller scruter du côté des nuages de Magellan et puis d'une nébuleuse au nom étrange de Tarentule. Il fallait changer cette foutue Lame de Schmidt, une lentille indispensable pour que le vieux télescope retrouve de sa superbe.

Pour cela Ernesto a monté un dossier de demande de subvention et se rend à Santiago du Chili, au bâtiment de la Fondation, pour bien s'assurer de son instruction auprès des services compétents.

Au cours de ce bref séjour à Santiago, les pas d'Ernesto errent du côté du palais de la Moneda, la Plaza de Armas, le parc Quinta Normal, le centre culturel de Matucana et dans son prolongement le célèbre Musée de la Mémoire, dédié aux disparus... Les pensées d'Ernesto vagabondent, les nôtres aussi... Les fantômes de la dictature resurgissent. Nous sommes quelques années après cette sale période, cette tache indélébile dans l'Histoire du pays, le Chili continue de panser ses plaies dont certaines ne se refermeront jamais.

Ernesto se souvient... Paulina, son visage, son rire, le bruit des pas des colombes à bec jaune trottinant sur le toit en tôle de l'immeuble où ils habitaient...

C'est là, devant le mur des photographies des disparus, devant le visage de Paulina, qu'il fait la connaissance d'une jeune femme, Ema...

Les disparus ont des histoires multiples, comme autant de constellations dans le ciel... Toutes pareilles, chacune unique...

J'ai particulièrement aimé ce roman tout en pudeur et poésie, empli d'humanité et de mélancolie.

J'ai aimé les silences d'Ernesto et d'Ema, leurs déambulations dans les rues de Valparaiso, tandis que les échos du passé cognent sans cesse aux portes de leur mémoire.

Ernesto est partagé entre le souvenir de Paulina et la joie spontanée d'Ema dont le sourire se perd parfois au loin. Est-ce désormais un nouveau chemin possible ?

Ce sont deux êtres blessés qui ont tu leur douleur chacun à sa manière, Ernesto par l'observation des étoiles, Ema par la danse.

Chacun voudrait connaître l'histoire de l'autre, mais dans ce dédale où les voix des disparus sont encore présentes, ils ont simplement encore besoin de s'apprivoiser.

Pendant toute la lecture de ce récit, une chanson de Victor Jara, Te recuerdo Amanda, me trottait dans la tête comme ces colombes au bec jaune sur le toit en tôle, Victor Jara, emprisonné et torturé à l'Estadio Chile, assassiné par la junte militaire...

J'ai aimé aussi Diego l'artiste mapuche qui construit des totems et les plante en direction de l'Île des Morts, comme pour conjurer un sort. J'ai aimé son regard bienveillant posé sur Ernesto. En filigrane, nous devinons une culture indienne menacée, quelques phrases sont là pour dénoncer les terres ancestrales enlevées peu à peu aux mapuche...

Ici j'ai aimé retrouver les mots d'Antoine Choplin, merveilleux peintre des grands espaces de l'âme comme de la nature, dans ce récit concis et d'une pure beauté.

Antoine Chopin avec un ton juste et délicat sait dire le temps qui passe, la mélancolie, les blessures anciennes, la fulgurance de la joie, l'immanence de l'instant...

Se perdre dans les étoiles, y noyer un chagrin, une douleur, tenter de guetter le passage d'une comète... La nature est présente, qu'elle vienne par le ciel ou la mer, par le jour ou par la nuit. Elle est presque un personnage à part entière.

Une fois refermé ce petit récit de cent-trente-cinq pages, la puissance évocatrice de l'amour, de l'horreur, des souvenirs, de la résilience... résonne comme un coup au ventre. Totalement lumineux !

« Te recuerdo Amanda

La calle mojada

Corriendo a la fábrica

Donde trabajaba Manuel. »
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Le héron de Guernica

"T'as vu ça, fait Basilio, le regard toujours tendu vers la trouée par laquelle s'est envolé le héron.

Hein, t'as vu ça, il répète et cette fois, il se retourne vers Rafael et voit son air maussade.

Tu me fais marrer, grogne Rafael.

Pourquoi ?

Et tu me demandes pourquoi. Alors celle-là.

Il force un éclat de rire.

T'as l'aviation allemande qui nous passe à ras la casquette et qui balance des bombes sur nos maisons et tu voudrais qu'on s'émerveille devant un héron qui s'envole.

Basilio, bouche bée.

T'es vraiment dingue, continue Rafael.

Basilio, silencieux, le regard fixe."



Guernica : nul ne peut ignorer ce nom, synonyme de destruction, de violences et d'horreurs.

Guernica : commune martyre, victime de la haine et de la folie des hommes.



Mais quel rapport entre Guernica et un héron ?

Le rapport, le trait d'union, c'est Basilio. Un jeune peintre sans prétention mais rempli d'enthousiasme et de joie de vivre. Rempli de l'exaltation propre à la jeunesse.

Et amoureux.

Fasciné par un héron qu'il aperçoit régulièrement dans les marais, Basilio veut le peindre. Il veut réaliser le plus beau tableau possible pour l'offrir à sa bien-aimée.



Lorsque la ville est bombardée, massacrée, on pourrait penser comme Rafael que Basilio va cesser de s'intéresser à ce héron, qu'il y a bien plus urgent à faire.

Eh bien non, c'est une toute autre urgence que le jeune peintre ressent...



J'ai découvert Antoine Choplin avec La nuit tombée. J'avais beaucoup aimé ce texte dans lequel l'auteur avait su mettre un peu de poésie dans l'horreur et la tragédie.

Je retrouve cette capacité dans ce roman qui nous offre en prime une jolie réflexion sur la nécessite de l'art pour conjurer la laideur des hommes et de leurs actions.



L'art indispensable pour témoigner.

Un héron cendré contre une ville en cendres.

La vie contre la mort.

La beauté sauvage et pure contre la folie sauvage et destructrice.
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Une forêt d'arbres creux

Avec Une forêt d'arbres creux, Antoine Choplin poursuit sa réflexion sur la faculté de l'art à retranscrire la réalité, ou comment saisir le fracas et la laideur du monde surtout lorsque d'autres s'évertuent à dissimuler, falsifier la vérité. C'est ce qui s'impose au caricaturiste Berdrich déporté au camp tchèque de Terezin lorsqu'on lui demande d'élaborer les plans de construction du crematorium du ghetto.

Rien n'échappe à l’œil de l'artiste qui dessine clandestinement avec ses amis du bureau des dessins la lassitude, la faim, la maladie...tout ce qui exprime l'angoisse oppressive dont tout le monde souffrait. Même au péril de leur vie.

On retrouve dans ce court récit ce qui ressemble un peu à une obsession pour l'auteur: le pouvoir de suggestion de l'art et le regard singulier de l'artiste. Certes, l'image ou le visuel ont souvent un impact émotionnel plus fort que les mots. Évoquer plutôt que de raconter, frapper l'esprit pour mieux laisser une empreinte mémorielle. Encore faut-il avoir la faculté pour celui qui écrit sur ce thème de capturer avec les mots ce qui leur échappe.

Fort heureusement, Antoine Choplin maîtrise cet art de faire surgir avec une incroyable économie de mots une atmosphère, un sentiment, des instantanés qui frappent la rétine. Il s'illustre par un style cristallin, des phrases capables de renvoyer des images qui matérialisent sous nos yeux des fragments de vie dotés d'une réelle force méditative.

Pourtant, il n'y a pas de déflagration, ni d'exercices de style dans ces chapitres courts. J'aime lorsque un auteur écrit sans la nécessité d'emplir tout l'espace du récit. Tout est dans le détail, si bien qu'on a pas l'impression d'avoir sous les yeux une histoire, mais plutôt un compulsif d'images que seul un œil avisé et attentif à ce qui l'entoure est capable de restituer. Le détail est donc révélateur et l'évocation bouleversante.
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Partie italienne



Dans ce court roman, je n’ai, hélas, pas trouvé la grâce du « héron de Guernica ».

On y trouve pourtant deux personnages attirants. Tout d’abord le narrateur, Gaspar, un artiste qui a fait sa place dans l’art contemporain et qui aspire à une parenthèse en profitant de la dolce vita romaine. Attablé à une terrasse de café, il dispute des parties d’échec avec les joueurs de passage. C’est là qu’il rencontre Marya, femme mystérieuse qui le bat aux échecs et lui fait découvrir le vin. Elle a d’autres mystères, et un secret douloureux qui la hante et explique sa présence à Rome.

Il y a un troisième personnage omniprésent tout au long du récit, c’est le jeu d’échec qui est aussi au centre de l’histoire familiale de Marya.

« Nous nous attardons sur les positions les plus aigus de notre dernière partie. J’observe ses doigts aux ongles carminés tandis qu’elle manipule les pièces avec une agilité virtuose. »



Entre seconde guerre mondiale, parties d’échec et promenades dans Rome, on suit ce couple éphémère. Sa dernière nuit à Rome sera mystique, une dernière partie d’échecs, celle jouée par le grand-père de Marya . Ils joueront à la lueur des bougies au pied de la statue de Giordano Bruno, ce moine brûlé vif par l’inquisition à cause de ses théories sur le système solaire.

Malgré le charme de Rome et l’évocation de ses places, je ne suis pas arrivée à rentrer dans l’histoire. Il y avait matière, pourtant, avec l’histoire de cette dernière partie d’échecs jouée par le grand-père de Marya à Auschwitz et qui avait disparu.

J’ai trouvé les scènes artificielles, les dialogues trop apprêtés et un style qui finit par agacer à trop faire le faraud.

Dommage !



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La nuit tombée

La nuit est tombée pour longtemps sur cette partie du monde contaminée par la faute des hommes. Hormis les animaux qui ignorent l’interdiction de fouler leur sol, les lieux sont déserts et personne ne semble avoir pris le risque d’y revenir.



Pourtant Gouri, un ancien habitant de la zone interdite, va le faire, poussé par le devoir d’accomplir une mission. Il prendra même le temps de s’arrêter en chemin pour diner et boire de la vodka chez des amis restés dans un village infecté. Après quoi, rien n’arrêtera ce père désireux d'aider sa fille malade, victime de l’irresponsabilité humaine.



Une histoire simple et courte qui appelle une réflexion essentielle sur la nécessité d’agir contre une activité humaine irraisonnée.

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Le héron de Guernica

Quelle magnifique surprise que ce roman et que cet auteur ! Cela faisait des années que je l’avais dans ma PAL, et par un heureux hasard, je l’ai choisi et fait revenir par le réseau des bibliothèques.

Quelle lecture !



Déjà, tout ce qui concerne la guerre d’Espagne m’attire fortement, et le bombardement systématique de Guernica, où les avions allemands se sont essayés à une répétition de la 2e guerre mondiale, prélude à bien des massacres, le 26 avril 1937, en pleine guerre civile espagnole, me révolte profondément. Picasso d’ailleurs en a fait une toile célèbre dont on parle au début et à la fin de l’histoire, prélude et final intimistes et lumineux.



Ensuite, le thème de l’art m’enchante car le héros (et non le héron) de cette histoire est un jeune homme qui peint différemment, qui peint « toutes les choses qu’on ne voit pas. Tout ce qui palpite sans figurer sur les images, ce qu’on éprouve avec force et qui se refuse à nos sens premiers. Et dont on voudrait tellement témoigner pourtant ».

Il passe donc son temps à peindre des hérons, pour saisir leur nature première.

Et ce jour fatidique du 26 avril a commencé pour lui de bien belle façon. Tout entier ébloui par la lumière de l’aube, il a vu ce héron dans toute sa splendeur et sa fragilité au bord de l’eau. Et il a commencé à le peindre, le cœur rempli de l’amour qu’il éprouve pour la belle Celestina à qui il destine ce précieux cadeau.



La suite, eh bien la suite, tout le monde la connait… Un des personnages, poète à ses heures, décrit ce qu’il a vu de façon détournée, incapable de mettre des mots prosaïques :

« Et puis après seulement

Le nuage d’oiseaux acier laminant les nues

Pointant l’index vers nos maisons et vers nos âmes

Se glissant par les gouffres turquoise

Jusqu’à griffer nos toits

Et les cheveux des filles (…)



Et puis après seulement

J’ai vu pleuvoir l’averse de métal

Au moment où les visages de femmes

Se dévissaient vers le haut

Pour une courte épouvante

Et puis après seulement

J’ai vu les éclairs blancs

Dont celui-ci pour elle

Et son envol soudain dans le feu gris d’une flamme ».



Roman plein de sensualité, de couleurs, d’odeurs, émouvant, pudique, vrai, poignant.



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Partie italienne

Gaspar, artiste conceptuel en vogue, doit faire une conférence sur Henry Darger, artiste hors normes avec son « autobiographie de deux mille pages, ainsi qu'une oeuvre littéraire dactylographiée de plus de quinze mille pages » (https://www.artbrut.ch/fr_CH/auteur/darger-henry). Gaspar prend ce prétexte pour se rendre à Rome, son échiquier sous le bras. Il espère ainsi échapper aux pressions d'Amandine qui s'occupe de sa carrière et qui le sollicite de toutes sortes de manières... À Rome Gaspar s'installe avec son échiquier à la terrasse d'un café restaurant. Sur la petite place, les adversaires défilent, plus ou moins doués, sous le regard amusé d'un marchand de fruits et à l'ombre d'une tardive statue de Giordano Bruno, autre personnage remarquable, dominicain savant et philosophe, brûlé comme hérétique en 1600 précisément sur cette place. Un jour, en face de Gaspar s'installe Marya. Elle est d'origine hongroise, parle couramment le français et l'italien, et joue aux échecs mieux que lui ! Marya est une poète à sa façon : elle est oenologue et parle merveilleusement du vin. C'est son grand-père, Simon Papp, qui l'a initiée aux subtilités des échecs. Elle racontera à Gaspar la fascinante et terrible histoire de ce grand-père, et partant, ce qu'elle est venue faire à Rome…

***

Nul besoin de savoir jouer aux échecs pour apprécier ce roman sensuel, plein d'un intense amour de la vie et qui met en avant ses beautés et la résilience que peut favoriser une passion, qu'elle soit artistique ou autre. J'ai retrouvé avec un grand plaisir l'écriture d'Antoine Choplin, je l'ai attentivement suivi dans ses balades dans Rome, avec ou sans Marya, et j'ai apprécié leur délicate histoire d'amour. Contrairement au Héron de Guernica et à Partiellement nuageux, ce n'est pourtant pas un coup de coeur. Je ne sais pas vraiment dire pourquoi. Peut-être à cause du trop grand nombre de personnages réels abordés ou seulement effleurés dans un livre aussi court : Darger, Ossip Bernstein (qui inspire assurément l'anecdote terrible avec le grand père), Évariste Gallois, Camus, Artaud, et j'en oublie sûrement, ce qui crée un papillonage auquel je ne m'attendais pas. N'empêche ! il s'agit là d'un beau roman, que j'ai fermé sourire aux lèvres en lisant le dernier chapitre en italique qui éclaire avec poésie et délicatesse le curieux et déroutant prologue.

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La nuit tombée

Un petit bijou d'humanité...



Quelle douceur, quelle quiétude, quel silence sous cette épaisse couche de neige.

C'est ce qu'on pourrait penser. Mais là, pas de neige. L'épaisse couche qui recouvre le paysage est l'accumulation de poussières radioactives.

Le pays c'est l'Ukraine. La grande ville proche est Kiev. le paysage est celui de Tchernobyl et des villages voisins abandonnés.



Plus de deux ans après la catastrophe, Gouri revient dans son ancien village, là où il a vécu heureux avec sa femme et sa fille, mais devenu zone interdite depuis le jour de colère, le 26 avril 1986. Il lui faut récupérer la porte de la chambre de Knesia sur laquelle sont notés tant de souvenirs. Car sa fille est malade. Elle aussi fait partie des innombrables personnes touchées par cette gangrène insidieuse : "La bête n'a pas d'odeur / Et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres."



C'est pour lui l'occasion de retrouver, pour une soirée, des amis. Et ce sera pour eux l'occasion d'évoquer la catastrophe, les maisons abandonnées en toute hâte, le travail sur les réacteurs, la maladie, la résignation, le temps disparu, le temps suspendu, la nuit tombée.

Gouri parcourra son ancien village, à la beauté figée dans le temps sous un ciel étoilé, à la senteur des bois résineux alentour, mais englué irrémédiablement dans des poussières post-apocalyptiques. Un village se préparant à la fête, si plein de vie, si plein de rires et si cruellement silencieux aujourd'hui. Ici pas de destruction, pas de guerre, pas de trou d'obus, juste "des fragments de ciel étoilé se faufilent parmi les frondaisons et c'est comme si l'univers dégringolait jusque-là pour se mettre à exister pour de bon, presque à portée de main". Fallait-il vraiment partir, se questionne t'il encore, alors que tout semble endormi...





C'est avec des mots simples, doux et pudiques qu'Antoine Choplin nous dévoile les lendemains de Tchernobyl au cours desquels la solidarité et l'amitié soutiennent les hommes. Un grand moment de lecture à laquelle j'ai associé quelques vers De Lamartine :



Ô temps ! Suspends ton vol...



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Radeau

Cela se passe en 1940 (l’exode) puis en 1943 (la résistance) une femme marche le long d’une route déserte, Louis au volant de son camion, transporte des tableaux sortis du Louvre, pour empêcher les allemands de faire main basse sur ces trésors. Il ne doit pas s’arrêter et pourtant …

Antoine Choplin compte son histoire avec beaucoup de délicatesse, de retenue, de pudeur, comme s’ il ne voulait pas importuner ces personnages, il les observe, s’attache à des détails, avec une économie de mots comme si cette « bulle amoureuse » les protégeaient du danger potentiel.

Et puis, il y a ce fameux radeau, celui de Jéricho et le parallèle est tentant entre ces héros naufragés sur des routes dangereuses et la célèbre méduse prise dans les flots.

Ajoutez à cela une réflexion sur l’art, des personnages secondaires attachants et pittoresques et ce court roman sans en avoir l’air vous touche par sa justesse et sa sensibilité. Jolie découverte.



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