BABELIO MASSE CRITIQUE décembre 2022
QUI A TUE ROLAND
BARTHES ?
LA SEPTIEME FONCTION DU LANGAGE, scénario Xavier Betacourt, dessins
Olivier Perret , couleurs
Paul Bona, d'après le roman de
Laurent Binet**
Roland Barthes est renversé par une camionnette, accident ou assassinat ? le commissaire Jacques Bayard est chargé de l'enquête et il y entraîne le jeune sémiologue Simon Herzog, et la quatrième de couverture de nous dire « une enquête de routine qui se transforme rapidement en polar saisissant. »
Ligne nerveuse, traits accentués et les dessins deviennent expression, rythme fou, détails qui tentent de créer une certaine atmosphère par des gros plans ou plans d'ensemble ou rapprochés.
Il y a aussi deux personnages spectateurs/observateurs, le scénariste et le dessinateur, comme pour nous dire, peut-être, on y est on n'y est pas, on sait ce qui suit mais pas tout à fait, on comprend mais pas vraiment, faut-il comprendre quelque chose ?
Ce sont des éléments que j'ai déjà rencontrés dans la BD et à chaque fois avec plus ou moins de talent du coup de crayon, du scénariste, et du coloriste s'ils forment une bande à trois.
Les dessins ont la qualité de l'expression (surtout violente), de la narration (en détails ou en raccourci) et pourtant la séparation des cases, les séquences coupées en souffle opprimé et une certaine sécheresse liée aussi à la lourdeur du texte m'ont fait ressentir le béton armé, je tournais les pages en me disant c'est du plomb.
La linguistique n'est pas ce qu'il y a de plus simple comme discours et dans le cas de cette BD j'étais plutôt étouffée, même devant la sixième fonction du langage, la fonction poétique où la poésie me semblait un peu étranglée. La linguistique théorise ce que certaines personnes, il y en a beaucoup, plus ou moins ignorantes de la théorie, ont comme don ou talent ou résultat de lectures nombreuses et diverses et d'un travail acharné. Dans cette BD les discours sérieux même avec un bonne pointe d'ironie et d'humour, deviennent difficiles à avaler et encore moins à digérer (je peine à rédiger cette chronique).
« La fonction « phatique » est la plus amusante, c'est la fonction qui envisage la communication comme une fin en soi… La fonction « métalinguistique » vise à vérifier que l'émetteur et le récepteur se comprennent... »p.48
Des clins d'oeil et des références sont convoqués au RV, l'histoire des années 80 et quelques unes de ses personnalités politiques littéraires ou philosophiques, des citations connues deviennent dans ce contexte un peu fatiguées et fatigantes, le cinéma est appelé aussi, tout se délie dans un effort désespéré de tenir ensemble et debout. Mais si le but est de dire que tout se désunit, alors le désarticulé est un vrai succès.
Je me disais que je ressemblais au commissaire tout le temps perdu, fatigué, surpris, un point d'interrogation sillonnant sont front.
Pour ma part le suspense n'a pas fonctionné mais l'ennui grandement. Ou alors je n'étais pas à ce rendez-vous :
le fond : une intrigue intrigante
la forme : lignes nerveuses et lourdes, vigoureuses, anguleuses, le dessin, élément capital ne m'a donné aucune émotion
le scénario : vous avez dit suspense ? Les personnages plus ou moins vrais portent tous leur caricature et la tentative de faire revivre une époque avec quelques grains d'humour et de satire a été pour moi une vraie prise de tête. Chez le technicien de l'écrit je n'ai trouvé ni liberté ni rigueur, mais un entre-deux de qualité brouillon.
le style : embrouillé
la construction : cassée
A un moment donné,
Umberto Eco dit « Imaginons une fonction du langage qui permette, de façon beaucoup plus extensive, de convaincre qui que ce soit de faire n'importe quoi dans n'importe quelle situation. Celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d'une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Sa puissance n'aurait aucune limite. » J'y ai échappé de peu !
Une histoire de mots ? Une
leçon de linguistique ? Cette
leçon là je ne l'ai pas apprise mais choisie par curiosité et dans l'attente d'un exercice de langage, de style, d'un humour fin, d'un jeu subtil des images, d'une découverte de signatures que je ne connaissais pas. Suis restée sur ma faim.
Une expérience de lecture que je ne regrette pas bien au contraire, et remercie vivement la Masse critique de Babelio et les Éditions Steinkis de m'en avoir donné la possibilité.