Gallimard vient de publier ce recueil des
poèmes tardifs de
Louis Aragon, mis en valeur par une courte et magnifique présentation du poète
Olivier Barbarant. Sont rassemblés ici des textes écrits entre 1958 et 1977 qui avaient donné lieu à une publication en 1981 (
Les adieux) et 1982 (avec ajout autres
poèmes) aux éditions Temps Actuels. Que d'émotions quand un géant du XXe siècle nous fait de t
els adieux, le legs est immense, se déploient ici le bilan d'une vie, les amours, les joies, les doutes, les erreurs, les peurs de la nuit qui vient. Les oiseaux, qu'il évoque souvent dans ses
poèmes, planent au dessus de nous dans un vol majestueux, empreint de toute la tristesse d'une vie si intense qui s'en va et malgré tout reçu comme un réconfort face à notre condition trop humaine.
Dans son grand âge,
Aragon gagne encore en virtuosité, ses vers prennent des formes multiples, inattendues pour moi qui aime relire «
La diane française » ou «
Les yeux d'Elsa », des vers plus courts, plus abordables, plus libres. Comme l'écrit merveilleusement
Olivier Barbarant dans la préface : « …le vers se contracte, se distend ou se déchire, il offre aussi une extraordinaire résistance au désastre, et la lumière qui s'en dégage apparaît plus intense d'être lacérée... »
La première partie «
Les Adieux » est sombre comme peut l'être la douleur de dire adieu à la vie.
Aragon avait choisi le titre en référence à la sonate éponyme de Beethoven. le refus de la mort à venir est poignant, intemporel, magnifiquement exprimé dans « L'an deux mille n'aura pas lieu », une supplique désespérée.
La douleur quotidienne de vieillir éclate dans les mots de la longue suite poétique : «
Paroles perdues » et plus loin, des mots bilans dédiés au poète slovaque Novomesky.
Quand il dédie le poème « L'étreinte » à
Pablo Picasso, ce sont ses propres réminiscences d'éternel jeune homme qui a eu un jour vingt ans.
Les
derniers poèmes de
Louis Aragon sont d'une grande modernité et d'un esprit presque enfantin, bouclant une vie bien remplie qui en a tant vu et encore capable de regarder le monde comme un enfant, jusqu'à une épure digne de
Prévert (qu'il a côtoyé à l'école de Neuilly-sur-Seine).
Six mois après le décès d'
Elsa Triolet, sa muse pour la vie, formant avec le poète un couple mythique depuis leur rencontre en 1928, le violoncelliste Rostropovitch joue la sarabande de Bach, le 12 décembre 1970 devant la tombe. Cela donne « Slava », émouvant poème d'adieu à
Elsa.
Dans la deuxième partie « Autres
poèmes », je découvre une autre facette de
Louis Aragon. Il exprime son admiration, voire son envie pour ces peintres capables de créer des mondes nouveaux, simplement par les couleurs jetées sur la toile. Est aussi évoqué le poète allemand
Hölderlin qui l'a inspiré, avec lequel il s'identifie. Puis viennent les grands peintres, amis de toujours, compagnons de voyage, les George Malkine,
Paul Klee,
Pablo Picasso, Marc Chagall et André
Masson. Il faut sortir du texte de temps en temps pour retrouver les toiles évoquées et c'est tout ce que compte d'essentiel au siècle dernier qui renaît, magnifié par les mots d'
Aragon. Voir les toiles à travers ses yeux est une expérience unique. Je n'en cite qu'une sur toutes celles commentées – comme jamais je n'ai vu commenter des tableaux : « Les amants » de Marc Chagall « Celui qui dit les choses sans rien dire ».
Louis Aragon est né en 1897, il est décédé en 1982 à l'âge de 85 ans. Il a tout connu des espoirs de ce siècle là, les deux guerres, le front, la résistance, les combats politiques intenses, et les défaites idéologiques terribles, subissant alors le récit vengeur des vainqueurs. Il ne se plaint pas, le premier vers donne le ton : « Cesse de gémir Rien de plus ridicule / Qu'un homme qui gémit / Si ce n'est un homme qui pleure ».
Nous commémorons le quarantième anniversaire de sa mort, et ce recueil est parfait pour aborder ou retrouver
Louis Aragon, lui rendre l'hommage qu'il mérite. Je trouve que paradoxalement, ces
poèmes souvent sombres réconfortent par leur beauté, leur musique, l'éclat rendu à l'art et leur humour, malgré tout, ici où là. Il me tarde de visiter enfin le musée qui lui est consacré à la Maison d'
Elsa Triolet et
Louis Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines.
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